Compte-Rendu (antenne de Sciences Po) : « Vers quel type de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ? »

par L'antenne de Sciences Po le 16 avril 2025
Le mercredi 9 avril 2025, l’antenne de Sciences Po du Laboratoire de la République a organisé, à la Maison de l’Amérique Latine, une conférence afin d'évoquer un sujet particulièrement sensible et dont les médias se font trop peu l'écho : la négociation d'un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Si celui-ci semble devoir se conclure, quelle en sera la teneur réelle et pourra-t-il mettre un terme définitif au conflit et à l'instabilité dans la région ? Le référent de notre antenne de Sciences Po et modérateur de cet évènement Jean Lacombe a réuni autour de lui un panel d’expert : le géopolitologue et essayiste Frédéric Encel, l’écrivain et aventurier Patrice Franceschi, le représentant du Haut-Karabagh en France Hovhannès Gevorgyan, le coprésident du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France Franck Papazian et la journaliste actualité/International au Figaro Elisabeth Pierson.
Jean Michel BLANQUER rappelait en introduction qu’en parlant de l’Arménie, de Boualem Sansal ou des risques liés à la nouvelle philosophie de Washington, nous sommes dans des valeurs communes. Il est crucial de garder des idées claires dans un monde qui semble s’engager dans des directions inquiétantes. Ces idées claires, à condition que des gens comme nous se rassemblent, réfléchissent ensemble et avancent en toute liberté d’esprit, finiront par être les plus fortes. Jean LACOMBE : Le 13 mars dernier, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont annoncé avoir conclu un nouvel accord de paix, qui semble résoudre la question du Haut-Karabagh. Ce traité nous amène à nous interroger sur le type de paix vers lequel ces deux nations se dirigent.Je me tourne maintenant vers vous, Monsieur Guezorkian, pour aborder le contexte historique. Hovhannès GUEVORKIAN a choisi de répondre à cette question en effectuant un bref rappel l’Histoire de l’Artsakh, à travers quatre mots, qui résument l’Histoire de mon peuple. Le premier mot : identité. Le Haut-Karabakh n’est pas seulement un territoire, c’est une part essentielle de l’identité arménienne, ayant traversé toutes les grandes étapes de l’Histoire du peuple arménien.   Le deuxième mot : effacement. L’Histoire arménienne dure depuis 2500 ans, et pourtant, en 2003, cette Histoire s’est arrêtée. L’adversaire ne cherche pas seulement la domination, mais l’effacement de la culture arménienne. Il s’agit d’une politique systématique et méthodique d’effacement culturel. Le troisième mot : sécurité. Si l’on considère ce conflit uniquement sous l’angle territorial, la seule réponse semble être l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Cependant, la sécurité des Arméniens doit aussi être prise en compte. Après la chute des dernières forces de défense d’Artsakh en 2023, des déplacements forcés ont eu lieu. Le quatrième mot : responsabilité. Quelle réponse pouvons-nous offrir aux minorités qui ont été, et sont encore, menacées par les États ? Si la seule réponse de notre communauté face à ces menaces est de défendre l’intégrité territoriale des États, cela conduira à la suppression de ces minorités. Nous nous trouvons dans une situation où il est possible de détruire une population, puis d’imposer un fait accompli, avec l’aval international en prime. Jean LACOMBE : En 2020, a eu lieu la guerre des 44 jours, marquant un tournant dans le conflit du Haut-Karabakh. Elisabeth, pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ? Elisabeth PIERSON : Oui, en 2020, l’Azerbaïdjan, bien plus puissant militairement qu’en 1994, lance une offensive éclaire avec l’aide de la Turquie et d’armements israéliens. Après 44 jours, un cessez-le-feu est signé sous l’égide de la Russie, mais très vite violé par l’Azerbaïdjan. L’Arménie subit de lourdes pertes, et des mercenaires syriens sont engagés par Bakou. Depuis, les tentatives de discussions se sont succédé, une quinzaine de rencontres ont eu lieu entre Aliyev et Pachinian. Mais en parallèle, l’Azerbaïdjan a imposé un blocus de neuf mois sur le corridor de Latchine, coupant le Haut-Karabakh de l’Arménie, dans des conditions humanitaires terribles. Jean LACOMBE : Et ce nouvel accord de paix, annoncé en mars dernier, comment s’est-il construit ? Elisabeth PIERSON : Il s’agit d’un accord bilatéral, sans médiation internationale, ce qui montre que l’Arménie ne compte plus sur la Russie ni sur l’Europe. L’annonce a été faite unilatéralement par l’Azerbaïdjan, qui affirme l’existence de 17 articles, non divulgués. L’accord n’est pas signé ni ratifié, et depuis, Bakou continue d’accuser Erevan presque quotidiennement. Jean LACOMBE : A-t-on une idée du contenu de ces 17 articles ? Elisabeth PIERSON : Ce que l’on sait, c’est qu’ils contiennent uniquement des points de coopération bilatérale, sans évoquer les sujets sensibles comme les frontières, le retour des déplacés Artsakhiotes ou le sort des prisonniers politiques. Ces points doivent être abordés dans un processus ultérieur. Donc, c’est un texte très incomplet. Jean LACOMBE : Franck Papazian, quelle est la position de la diaspora arménienne face à cet accord ? Franck PAPAZIAN : Cet accord n’est pas un véritable traité de paix, mais un texte imposé par l’Azerbaïdjan. L’Arménie n’avait pas de choix, dans un monde où les rapports de force sont déséquilibrés. L’Azerbaïdjan a utilisé des armes interdites, mené une guerre atroce avec le soutien de la Turquie et des djihadistes syriens. Le blocus du Haut-Karabakh a été condamné par la Cour Internationale de Justice (CIJ), mais aucune action concrète n’a été prise. En septembre 2023, une « épuration ethnique » a eu lieu, qualifiée de « génocide » par Luis Moreno Ocampo, l’ancien procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI). Et maintenant, on parle d’un accord de paix qui entérine la disparition de l’Artsakh, sans aucune garantie de retour pour ses habitants, ni reconnaissance de leurs droits. L’Arménie est forcée d’accepter la dissolution du groupe de Minsk et de négocier seule, dans une position de faiblesse. Il n'est plus possible de discuter de l'autodétermination des Arméniens ni du droit au retour, un droit pourtant reconnu internationalement, comme l’a souligné Mme Colonna. Ce texte impose la dissolution du groupe de Minsk, ce qui a été accepté par l’Arménie, qui doit désormais négocier bilatéralement, sous la pression du rapport de force. Il y a aussi la demande de retrait des observateurs de l'Union européenne et l’abandon des poursuites pénales contre l’Azerbaïdjan, une requête émise par ce dernier. L’Azerbaïdjan exige également que l’Arménie modifie sa Constitution, qui considère le Haut-Karabakh comme faisant partie de l'Arménie. Un point crucial reste la présence militaire azerbaïdjanaise sur le territoire arménien, qui n’est pas abordé. Enfin, l’Azerbaïdjan n’a pas respecté l’accord de libération des prisonniers de guerre de 2020, capturant de nouveaux prisonniers, dont 8 dirigeants du Karabakh en 2023. Jean LACOMBE :  Nous allons maintenant évoquer les conséquences spécifiques pour le Haut-Karabagh, notamment la question du patrimoine, en particulier des églises.Le Haut-Karabagh va changer. Monsieur Guevorkian, quelles sont vos inquiétudes concernant ces transformations ? Hovhannès GUEZORKIAN : Sans une Arménie forte, il n’y a pas de Karabakh. Si l'Arménie n'est pas renforcée, le Haut-Karabakh n'aura aucun avenir. Les destins des deux entités sont liés. Ce n’est pas seulement une question de patrimoine ou de population déracinée, mais d’un avenir commun. L’Azerbaïdjan revendique des territoires depuis 1918 : le Haut-Karabakh, le Nakhitchevan et la région de Zhangzhou. Au Nakhitchevan, il n’y a plus d’Arméniens, au Karabakh, ils sont très peu. Si cet accord de paix est signé, la question n’est pas de savoir si une guerre aura lieu, mais quand. Ce conflit est lié à une revendication centenaire… Patrice FRANCESCHI : Les mots ont un sens. Bien que j’aie de la sympathie pour les Arméniens, je ne peux pas accepter l’usage du terme « génocide ». Si un véritable génocide a lieu en Arménie, que fera-t-on ? Il y a une différence entre guerre et génocide. Quant à la situation, en 24-48 heures, les conséquences militaires et géopolitiques se feront ressentir, avec des déplacements massifs et des impacts sur la région dans les 10-20 ans à venir. Jean LACOMBE : A ce sujet, Monsieur Encel, pourriez vous développer sur les conséquences régionales déjà mentionnées par Monsieur Franceschi ? Frédéric ENCEL : Si l’on regarde l’histoire, on constate que, depuis la fin de l’Empire ottoman, la Turquie n’a cessé de persécuter ses minorités, et cela de façon particulièrement violente envers les Arméniens. Je crois, et peut-être à tort, que cette dynamique perdure depuis 150 ans. La Turquie, et avec elle son allié historique, l’Azerbaïdjan, continue d'agir dans cette logique d’agression. Les persécutions contre les Arméniens se sont transformées au fil des décennies, mais elles ne se sont jamais arrêtées. À cela s’ajoute l’Iran, qui, bien que déclinant, reste un acteur majeur de la région. L’Iran, contrairement à ce que l’on pourrait penser, s’oppose fermement à une domination turque dans la région. C’est un rival de l’Azerbaïdjan, mais dans cette rivalité, l'Iran parvient à préserver une certaine influence, notamment à travers sa relation avec la Russie. Il faut comprendre que la position géographique de l’Arménie, notamment le corridor du Zanguézour, joue un rôle stratégique essentiel en reliant l’Iran à la Russie. Cela permet à ces deux puissances de maintenir une forme d’influence dans la région, et cela freine, à mon sens, l’expansionnisme azerbaïdjanais. L’Arménie, cette petite nation, se trouve donc dans une position extrêmement stratégique. C’est un État de passage, une clé de voûte géopolitique qui facilite les échanges entre la Russie et l’Iran. Et si l’on regarde les choses de près, on comprend bien que l’Arménie, malgré sa situation difficile, a encore des cartes à jouer. Parlons maintenant des États-Unis. Ce pays, sous la présidence de Donald Trump, est une grande inconnue. L’imprévisibilité de son président fait qu’il est impossible de savoir dans quelle direction il va aller. Bien que je doute qu’il s’engage militairement pour défendre l’Arménie, il n’est pas totalement impossible que, par une étrange logique de circonstances, l’Arménie puisse recevoir un soutien américain. Mais là encore, tout cela reste hautement incertain. Eh bien, l’Europe, dans sa configuration actuelle, est une puissance essentiellement économique. Il n'y a pas de politique de défense commune, et cela limite énormément son influence stratégique et militaire. Mais je pense qu’il y a une petite chance que les choses changent. Si l’Europe se réorganise et commence à prendre la question de sa puissance politique et stratégique à bras-le-corps, alors cela pourrait avoir un impact important dans cette région. Une Europe qui s’affirmerait en tant que puissance militaire, ce serait un vrai tournant pour la région, et cela pourrait bien changer les rapports de force en faveur de l’Arménie. Enfin, la France joue un rôle non négligeable. Ces derniers mois, des accords ont été signés entre la France et l’Arménie, notamment des accords militaires. Bien sûr, rien n’est encore joué, et la situation reste fragile. Mais ces accords marquent un soutien de plus en plus visible à l’Arménie, et je pense que cela pourrait avoir des conséquences stratégiques importantes. La cause arménienne, elle, ne date pas d’hier. Elle existe depuis des siècles. Et dans toute crise, celui qui l’emporte à la fin, c’est celui qui est le plus résilient, celui qui a la capacité d’endurer. C’est là que l’Arménie, malgré toutes les adversités, pourrait bien finir par l’emporter. Jean LACOMBE : Monsieur Franceschi, pourriez vous nous parler davantage du rôle de la France dans le conflit ? Patrice FRANCESCHI : Tout à l'heure, j’ai eu l’occasion de discuter avec la commission militaire. C’est maintenant qu’il faut agir, car la situation devient critique. L’Europe, dans son ensemble, manque de personnel militaire. Les marins manquent, les bateaux sont inutilisables, et l’armée souffre d’un énorme manque de moyens. On vit dans une Europe qui ne veut pas se battre, qui est endormie. Ce n’est pas l’Arménie, ce n’est pas le Haut-Karabakh, mais c’est la réalité. On peut mettre des milliards, mais ça ne résout rien à court terme. Les attaques politiques sont inévitables. Les armées de l’Iran sont en faiblesse, mais ce qui se passe au Karabakh est une leçon. La situation est ouverte et dangereuse. En France, on se débat avec des politiques qui ne changent rien. Les "17 articles" de paix sont des illusions, rien ne bouge réellement. J’ai passé des mois dans les tranchées en Arménie, et l’écart avec l’ennemi est énorme. Les Arméniens se battent avec des moyens dérisoires, mais leur moral est exceptionnel. Mais tout est une question de politique du fait accompli. La Turquie attaque, et que fera-t-on ? Rien, à part des protestations. Le problème, c’est que la politique française et européenne ne prend pas au sérieux cette situation de guerre imminente. La défense de l’Arménie n’est pas assurée, et il est grand temps de prendre des mesures concrètes avant qu’il ne soit trop tard. Retrouvez l'intégralité de la captation vidéo ici : https://youtu.be/3bp-NN4rD8o

Lettre d’Amérique latine (5) : Le Brésil sous tension : espoirs écologiques, divisions politiques

par Erévan Rebeyrotte le 22 avril 2025
Du sommet des collines de Rocinha aux plages lumineuses de Copacabana, le Brésil déploie ses paradoxes. Terre de contrastes et de luttes, il oscille entre aspirations sociales et urgence environnementale. Alors que la COP30 approche à grands pas et que le monde aura les yeux tournés vers Belém, le pays s’efforce de concilier développement économique, justice sociale et préservation de l’Amazonie. Dans les rues de Rio, les tensions politiques restent vives : Lula, revenu au pouvoir avec une promesse de réconciliation, suscite autant d’espoirs que de défiance. Entre les partisans du renouveau social et les nostalgiques d’un ordre autoritaire incarné par Bolsonaro, notre correspondant en Amérique latine, Erévan Rebeyrotte, prend le pouls de cette société brésilienne fragmentée.
Lors de mes pérégrinations à Rio de Janeiro, j’ai eu l’occasion d’échanger avec de nombreux habitants. Tous partagent la même ville, mais évoluent dans des réalités profondément contrastées. Ces rencontres m’ont permis de saisir une fracture marquée : d’un côté, ceux qui placent leurs espoirs en Lula ; de l’autre, ceux qui voient dans sa politique une source d’insécurité, estimant qu’elle favorise les favelas en leur apportant soutien et protection. Lors de mon voyage, j’ai d’abord exploré la favela de Rocinha, guidé par Renaldo, un habitant né et élevé dans ce quartier. Avec passion et lucidité, il m’a partagé son regard sur les transformations vécues sous la présidence de Lula. Selon lui, l’arrivée de ce dernier au pouvoir a marqué un tournant : des écoles, des hôpitaux et des gymnases ont vu le jour, offrant enfin des infrastructures essentielles à une population trop longtemps oubliée. Malgré la persistance d’une criminalité omniprésente — armes et drogues circulant presque librement — ces améliorations ont insufflé un nouvel espoir à de nombreux habitants. La présence de touristes y est paradoxalement protégée non par la loi, mais par la peur : celle que l’irruption de la police, à la suite d’un incident, ne déclenche une fusillade sanglante. Dans cette société parallèle, hors du cadre étatique, des règles strictes s’imposent : quiconque menace un visiteur risque des représailles sévères, comme la mutilation, tant les conséquences pourraient être dramatiques pour toute la communauté. Rocinha vit en marge du système, mais elle obéit à ses propres lois. Plus tard, dans un tout autre décor, sur la plage de Copacabana, j’ai rencontré Luis, un policier, et Anita, une avocate. Autour d’un café, face à l’océan, ils m’ont livré une vision radicalement opposée. Tous deux s’inquiètent du retour de Lula au pouvoir, qu’ils accusent de fermer les yeux sur la violence des cartels et des milices qui gangrènent le pays. À leurs yeux, sa politique est trop laxiste et contribue à fragiliser encore davantage les quartiers populaires. Pour cette raison, ils ont voté Bolsonaro lors des dernières élections, espérant une réponse plus ferme face à l’insécurité. Encore aujourd’hui, l’ombre de Jair Bolsonaro, reste omniprésente. Le 26 mars dernier, la Cour suprême brésilienne a décidé d’ouvrir un procès contre l’ancien président pour tentative de coup d’État. Bolsonaro, qui a gouverné de 2019 à 2022, se trouve désormais accusé d’avoir fomenté une conspiration pour conserver le pouvoir à tout prix après sa défaite en 2022 face à Luiz Inácio Lula da Silva. Selon les enquêteurs, il aurait même envisagé l’assassinat de Lula et d’autres figures politiques. Les charges contre lui, parmi lesquelles "coup d’État" et "organisation criminelle armée", pourraient lui valoir plus de 40 ans de prison. Enfin, la question écologique, notamment la gestion de l'Amazonie, constitue un autre champ de bataille pour le Brésil. Sous Jair Bolsonaro, la politique environnementale du pays avait sombré dans un abandon préoccupant. Un "laisser-faire" quasi officiel avait ouvert grand les portes à une déforestation galopante, dont l’ampleur devenait chaque jour plus dramatique. Mais l’arrivée de Lula au pouvoir a marqué un tournant. Entre août 2023 et juillet 2024, la déforestation a chuté de moitié. En un an, ce sont 6 288 kilomètres carrés de forêt qui ont disparu — l’équivalent de la Savoie — contre 13 000 km² en 2021, au paroxysme de l’ère Bolsonaro. Pourtant, malgré cette embellie relative, l’Amazonie continue de souffrir. La déforestation demeure à des niveaux alarmants, et les flammes, attisées par une sécheresse d’une rare intensité, poursuivent leur œuvre dévastatrice au cœur de la forêt. Pourtant, même sous Lula, l’Amazonie demeure une frontière entre développement économique et préservation écologique. Le président, tout en affichant une politique ambitieuse pour la sauvegarde de la forêt, soutient également des projets controversés, comme la construction d’une autoroute traversant l’Amazonie, pour faciliter l’accès aux ressources et au commerce. Cette contradiction entre les discours écologiques et les projets d’infrastructure illustre la complexité des choix auxquels le pays fait face à l’aube de la COP30, qui se tiendra à Belém en novembre prochain. Sources : https://www.lemonde.fr/international/article/2025/03/15/les-actions-de-lula-en-faveur-de-l-amazonie-ne-doivent-pas-masquer-le-fait-qu-il-a-cede-sur-d-autres-dossiers-environnementaux_6581387_3210.html https://reporterre.net/Au-Bresil-malgre-ses-promesses-ecologiques-Lula-promeut-le-petrole-et-la-deforestation https://www.francetvinfo.fr/monde/bresil/assaut-contre-des-lieux-de-pouvoir/l-ex-president-bresilien-jair-bolsonaro-sera-juge-pour-tentative-de-coup-d-etat_7153254.html Les dernières lettres : https://www.lelaboratoiredelarepublique.fr/debattre/lettre-damerique-4-la-bolivie-fete-ses-200-ans-dindependance-dans-une-annee-delections-et-de-crises/ https://www.lelaboratoiredelarepublique.fr/debattre/lettre-damerique-latine-3-le-perou-une-histoire-de-douleur-doubli-et-de-larmes/ https://www.lelaboratoiredelarepublique.fr/debattre/lettre-damerique-du-sud-2-la-colombie-entre-pacification-et-reconciliation-un-chemin-seme-dembuches/ https://www.lelaboratoiredelarepublique.fr/debattre/lettre-damerique-latine-1-le-mexique-face-aux-defis-internationaux-sous-la-reelection-de-donald-trump/

Les titres de séjour pour soins : Un enjeu de transparence démocratique, budgétaire et sanitaire

par la commission Démographie-Immigration le 24 avril 2025
Les titres de séjour pour soins représentent un dispositif unique au monde, sans cesse étendu par le juge et le législateur – la condition relative à « l’existence » du traitement dans le pays d’origine ayant été remplacée par celle de « bénéfice effectif ». Or, les rapports de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) relèvent un coût important mais « invisible », puisque englobé dans les dépenses du régime général de l’Assurance maladie. Il est donc préconisé de faire basculer la prise en charge financière de ce dispositif dans le cadre de l’Aide Médicale d’Etat (AME), pour plus de transparence, et ce afin de mieux contrôler les critères d’attribution de ces titres de séjour. Une réflexion serait alors engagée pour une refonte globale de l’AME, qui assurerait désormais la prise en charge des différentes catégories d’étrangers extra-européens non-contributeurs.
Les titres et autorisations provisoires de séjour pour soins sont des dispositifs peu connus du grand public, mais pourtant bien documentés dans les rapports officiels. Créé en 1998 sous le gouvernement de Lionel Jospin, ce dispositif permet, sous certaines conditions, à un étranger, résidant depuis un certain temps en France, gravement malade d’obtenir une carte de séjour « vie privée et familiale » afin de bénéficier gratuitement de soins en France. Ainsi, l’OFII estime que 228 275 demandes ont été déposées entre 2017 et 2024, avec 206 923 avis transmis au préfet, pour un taux moyen d’avis favorables s’élevant à 58,8 %. Or, ce dispositif unique au monde des titres de séjour pour soins ayant été sans cesse élargi par le législateur et le juge (I), celui-ci présente un caractère difficilement soutenable, son opacité budgétaire posant par ailleurs une question de transparence démocratique et du principe même de cette contribution (II). Un dispositif unique au monde, sans cesse élargi par le législateur et le juge Formellement, en vertu des articles L. 425-9 à L. 425-10 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), les étrangers qui veulent obtenir un titre de séjour pour soins doivent remplir trois conditions : Justifier d’une résidence habituelle en France depuis au moins un an (sans qu’aucun texte ne fixe de délai réglementaire) ; Nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité ; Ne pas pouvoir bénéficier d’un traitement effectif et approprié, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays d’origine. Titres de séjour pour soins, AME, soins urgents et vitaux, visas pour motifs de santé : des dispositifs de prise en charge à ne pas confondre   Les titres de séjour pour soins confèrent un statut administratif qui ne doit pas être confondu avec celui de l’Aide médicale de l'État (AME), qui garantit l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière – et qui n’ont, par définition, pas de titre de séjour. Pour bénéficier de l’AME, il est demandé de justifier : D’une résidence habituelle sur le territoire national depuis trois mois, contre un an pour bénéficier d’un titre de séjour pour soins (à défaut, les étrangers en situation irrégulière peuvent néanmoins bénéficier du dispositif des soins urgents et vitaux) ;De ressources ne dépassant pas un certain plafond (10 166 € annuels pour une personne seule en métropole).   L’AME ouvre droit à la prise en charge à 100% de l’ensemble des soins médicaux et hospitaliers, avec dispense d’avance de frais, sous réserve de quelques exceptions : les cures thermales, l’assistance médicale à la procréation et les médicaments à service médical faible.   Les étrangers en situation irrégulière qui ne remplissent pas les critères d’admission à l’AME – en particulier celui de la résidence habituelle sur le territoire depuis trois mois – sont néanmoins couverts par le dispositif des « soins urgents et vitaux », qui assure l’ensemble des soins nécessaires pour préserver la vie ou éviter une altération sévère et durable de la santé, mais aussi le traitement et la prévention de la propagation des maladies ainsi que les soins maternels et obstétriques. En revanche, les Français non-inscrits à la Sécurité sociale (ex : expatriés de retour en France, travailleurs frontaliers …) ne peuvent pas bénéficier de ce dispositif, puisque par définition ils ne remplissent pas le critère d’irrégularité du séjour sur le territoire national.   Les titres de séjour pour soins ne doivent pas non plus être confondus avec les visas pour motif de santé, qui permettent également à un étranger de venir se faire soigner en France. Cependant, il s’agit alors d’un visa de courte durée, valable 90 jours, régi par l’annexe II du Code communautaire des visas, lequel prévoit que « pour des voyages entrepris pour raisons médicales, [le demandeur doit produire] un document officiel de l’établissement médical confirmant la nécessité d’y suivre un traitement, et la preuve de moyens financiers suffisants pour payer ce traitement médical ». L’établissement de santé en France peut aussi demander le versement d’une provision au patient titulaire de ce visa. Dans les faits, le législateur et le juge n’ont cessé d’étendre ce dispositif, lequel est unique au monde : Dans un premier temps, une loi du 24 juillet 2006 a dispensé les demandeurs de l’obligation de justifier de la régularité de leur entrée sur le territoire national. De même, la condition d’une résidence habituelle en France depuis au moins un an, qui fait l’objet d’un contrôle limité, connaît par ailleurs de larges exceptions : en effet, l’article R.425-14 du CESEDA permet à tout étranger de bénéficier d’une autorisation « provisoire » en la matière – ce qui a pour effet de vider la loi de sa substance[1]. Par ailleurs, si le refus de faire droit à une demande de séjour pour soins revient à interrompre un traitement en cours, le juge en tient compte lors de son examen du respect des conditions d’octroi. En effet, d’autres dispositifs de soins spécifiques permettent d’entamer un parcours de soins sur le territoire national pour les étrangers en situation irrégulière, à savoir l’AME et le dispositif de soins urgents et vitaux ; c’est pourquoi, comme le souligne l’OFII « l’AME n’est souvent que la première étape avant la demande d’un titre de séjour pour soins »[2]. Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat a décidé, dans un arrêt de 2010[3], d’interpréter largement les termes de la loi, faisant valoir qu’il incombait au Préfet d’apprécier « si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine », c'est-à-dire soit que « de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement ». Cette notion de « bénéfice effectif » (et non de « l’existence ») d’un traitement approprié a été consacrée par le législateur dans une loi de 2016. Par ailleurs, l’OFII souligne dans ses rapports que la jurisprudence ne respecte pas toujours les trois critères légaux en la matière : Le critère des « conséquences d’une exceptionnelle gravité » de l’absence de soins « est souvent omise par rapport au critère d’accès aux traitements dans le pays d’origine, quelle que soit la gravité de la maladie »[4]. A titre d’exemple, 14,7% des demandes de titre de séjour pour soins concernaient pour l’année 2022 des troubles mentaux et du comportement, alors que le traitement des pathologies concernées « ne nécessite pas de plateau technique » tandis que « les molécules des grandes classes pharmacologiques en psychiatrie sont universellement disponibles, à faible coût »[5] ; Le critère de « l’offre de soins » et des « caractéristiques du système de santé dans le pays d’origine » paraît également éludé, puisque de nombreuses décisions judiciaires « semblent considérer qu’aucun traitement n’existe par définition dans un certain nombre de pays, ce qui fait fi de l’évolution considérable constatée ces vingt dernières années »[6]. Ainsi, le juge peut refuser de prendre en compte la disponibilité de traitements dans certains pays, notamment contre l’hépatite B et l’hépatite C[7], ou même l’existence d’un système de soins raisonnablement performant, comme au Chili[8] ; Le critère de l’impossibilité de bénéficier « d’un traitement effectif et approprié » dans le pays d’origine ne semble pas non plus correctement appliqué, puisque l’OFII relève, pour l’année 2022, que 687 demandes déposées étaient issues de ressortissants de pays du G20 (hors UE)[9], dont le système de santé est d’un niveau comparable, voire supérieur à celui de la France pour certains d’entre eux. En effet, « Les malades viennent d’abord du Maghreb et dʼAfrique. Mais peuvent aussi bénéficier [du dispositif] des Américains n’ayant pas de couverture sociale suffisante dans leur pays ou ne pouvant s’endetter pour se faire soigner et qui trouvent les moyens de résider en France le temps de guérir »[10]. Pour l’année 2023, l’OFII relève 618 demandes de séjour pour soins provenant de ressortissants de pays du G20 (2,5% du total des demandes). La même année, l’OFII explique que 40,6% de ces demandes clôturées ont reçu un avis favorable, et détaille les nationalités les plus représentées : « la nationalité brésilienne est en 1ère position avec 32,5 % des demandes des pays du G20, ensuite la nationalité russe avec 30,3 % des demandes, puis la nationalité turque avec 14,1 % des demandes et enfin la nationalité chinoise avec 8,3 % des demandes » [11] ; De même, l’OFII souligne que les décisions judiciaires « écartent parfois tout argument fondé sur l’existence d’un traitement comparable, comme si la loi exigeait la prescription de la même molécule, exactement »[12], certaines allant même jusqu’à exiger une identité de posologie[13] ; enfin, certaines décisions de refus d’octroi d’un titre de séjour pour soins sont annulées par le juge, alors même qu’elles concernent des pathologies pour lesquelles aucun traitement efficace n’existe à la date du jugement. C’est le cas en particulier pour des handicaps. Ainsi, « la France est, dans ce domaine, le pays dont la législation est la plus bienveillante »[14] ; mais ce dispositif présente un caractère difficilement soutenable pour nos finances publiques et les capacités d’accueil de notre système de santé. Un dispositif difficilement soutenable et dont l’opacité budgétaire pose une question de transparence démocratique Le coût du dispositif de titres de séjour pour soins n’a jamais été quantifié – ou publié – par l’Assurance maladie. Néanmoins, si l’OFII n’est pas en mesure d’opérer une estimation chiffrée, de nombreux éléments issus de ses rapports tendent à accréditer la thèse d’un caractère difficilement soutenable pour les finances publiques : Ainsi, l’OFII rappelle que « les soins fournis aux « étrangers malades » dans le cadre de cette procédure sont sans limitation, avec un coût invisible [….] le coût peut être très important et sans limitation. Il est simplement non visible puisque pris en charge de manière globale par l’Assurance maladie »[15] ; Or, «l’impact financier du recours à certaines thérapies médicales ou médicaments onéreux est conséquent »[16] puisque certains traitements liés à des pathologies justifiant le recours aux séjours pour soins peuvent être lourds, parfois innovants, donc très coûteux, et bien souvent pour toute la vie du patient. A titre d’exemple, l’OFII relève que certains d’entre eux peuvent « atteindre 1 million d’euros la 1ère année de traitement selon les protocoles »[17], voire un « coût journalier de 6 206 euros soit un coût annuel estimé à 2,265 millions d’euros par an »[18].  De même, certains patients bénéficient en plus d’un accompagnement social et éducatif (Maison Départementale pour les Personnes Handicapées, Allocation adulte handicapé, Allocation d’éducation de l’enfant handicapé, Institut Médico-éducatif, Aide aux vacances pour les enfants …). Dans son rapport pour 2021, l’OFII donne une série d’exemples de pathologies particulièrement coûteuses dans le cadre des titres de séjour pour soins : Exemple des médicaments coûteux observés dans les dossiers Etrangers malades (EM) entre le 1er et 31 décembre 2021* Pathologie  MédicamentsPrix / an (approximatif) par personneHémophilie B + anticorps anti facteur IX  Novoseven1 019 611,00 €Hyperoxaliurie primitive de type 1  Lumasiran814 842,32 €Hémophilie B  Benefix + Idelvion464 400,00 €Amyotrophie Spinale III  Spinraza420 000,00 €Amyotrophie Spinale  Spinraza420 000,00 €Myasthénie  Soliris402 608,00 €Porphyrie érythropoïétique héréditaire  Allogreffe de moelle400 000,00 €Beta thalassémieGreffe de moelle ou thérapie génique400 000,00 €Hémophilie A  Elocta303 264,00 €Hémophilie A  Hemlibra279 480,00 €Adénocarcinome de l’iléon  Nivolumab133 000,00 €Néoplasie sein  Kadcyla108 252,00 €Adénocarcinome pulmonaire  Osimertinib 8062 555,16 €Recto-cholite hémorragique  Stelara50 873,00 €Hépatite delta  Bulevirtide23 000,00 € *certains plusieurs fois, estimations selon les informations disponibles fournies sur la fréquence et durée Figure 1 : OFII, Procédure d’admission au séjour pour soins – rapport au Parlement 2021 De plus, au-delà de cette lourde charge pour les finances publiques, l’OFII souligne également que ce dispositif « participe à la pression exercée sur notre système de santé »[19]. Une telle pression oblige parfois des services médicaux et hospitaliers, pratiquant dans des secteurs déjà sous forte tension, à procéder à des choix contraints au détriment des résidents qui peuvent être déprogrammés comme pour la dialyse afin d’accueillir les urgences. À titre d’exemple : 3 377 greffes de rein ont été réalisées en France en 2022, avec un temps d’attente médian de 2,5 ans[20] ; Cette même année, 1 740 demandes dont le dossier médical faisait état d’une insuffisance rénale chronique, dialyse ou greffe de reins ont été recensées[21] ; En 2023, 1 962 demandes dont le dossier médical faisait état d’une insuffisance rénale chronique (IRC), d’une dialyse ou d’une greffe de rein ont été clôturées, soit 8,4% du total des demandes clôturées cette année (contre 5,2% en 2021)[22] Figure 2 OFII, Procédure d’admission au séjour pour soins – rapport au Parlement 2023 Or, l’exemple du traitement rénal est frappant à deux titres : Un effet d’éviction sur la filière de greffes, celle-ci étant particulièrement sous tension ; Un coût majeur pour les finances publiques : la dialyse coûte environ 80 000 euros par an et par patient, avec des dépenses additionnelles selon l’état de santé de patient et d’éventuelles complications (analyses biologiques régulières, examens complémentaires, consultation médicales, hospitalisation) et d’importants frais de transport (20 à 25% du coût total de la prise en charge pour l’hémodialyse en centre). Plus globalement, l’OFII fait savoir que le nombre total de titres de séjour pour soins en circulation s’élevait à 20 600 à la fin de l’année 2022, contre 30 400 à la fin de l’année 2018. Pour l’année 2023, elle estime à 3 090 le nombre de premiers titres de soins délivrés, contre 3 291 en 2022 (-6,1%)[23] Figure 3 OFII, Procédure d’admission au séjour pour soins – rapport au Parlement 2023 Enfin, au-delà de la seule problématique des titres de séjour pour soins, l’ensemble des dispositifs dédiés aux soins des étrangers font preuve d’un manque de cohérence globale. Ainsi, les demandeurs d’asile ont accès à la protection universelle maladie (PUMa), mais ceux-ci doivent rebasculer dans le régime de l’AME s’ils sont déboutés de leur demande – après un délai de carence de 3 mois de présence irrégulière sur le territoire. Dans l’intervalle, ceux-ci sont néanmoins éligibles au dispositif des soins urgents et vitaux. Or, cette situation est préjudiciable à plusieurs égards : Elle entraîne des lourdeurs administratives, les services instructeurs de l’Assurance maladie, comme les assistantes sociales des hôpitaux étant mobilisés pour distinguer les demandeurs d’asile des étrangers en situation irrégulière en matière de couverture santé ; Elle mène à une « rupture de droits » pour les personnes concernées, d’une durée moyenne de « près d’un an pour les demandeurs d’asile déboutés qui n’ont pas directement bénéficié de l’AME », et concernerait plus de 100.000 personnes bénéficiaires actuels de l’AME[24]. Elle pose la même question d’opacité au regard des finances publiques, puisque les statistiques ne distinguent pas le coût spécifique des demandeurs d’asile et des bénéficiaires des titres de séjour pour soins. Enfin, le dispositif des titres de séjour pour soins implique plus globalement la question de la prise en charge des étrangers extra-européens non-contributeurs à l’Assurance maladie, et celle de l’équité avec les Français non rattachés à la Sécurité sociale (ex : expatriés de retour en France, travailleurs frontaliers …) qui n’y sont par définition pas éligibles. En ce qui les concerne, un processus de réaffiliation à la Sécurité sociale est un processus très lourd, long et complexe, qui peut entrainer d’importantes ruptures de couverture, alors même qu’ils ne bénéficient pas de filets de sécurité similaires à ceux dédiés aux étrangers extra-européens non-contributeurs. Pistes et propositions 1) Faire basculer le coût des soins dispensés aux demandeurs d’asile et aux bénéficiaires d’un titre de séjour « étranger maladie » dans le dispositif de l’AME pour une quantification plus transparente. A ce jour, les demandeurs d’asile comme les bénéficiaires d’un titre de séjour pour soins relèvent de la protection universelle maladie (PUMa), c’est-à-dire du régime général de l’Assurance maladie, sans forcément y cotiser. Ainsi, pour davantage de cohérence, de lisibilité mais aussi de transparence du montant des dépenses engagées et afin d’éviter les ruptures de soins dans l’intérêt des étrangers concernés, il est recommandé de faire basculer ces deux catégories de soins dans le cadre de l’AME, et de distinguer dans les statistiques publiques en la matière entre les soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière, ceux accordés aux demandeurs d’asile et ceux octroyés aux bénéficiaires d’un titre de séjour pour soin. 2) Entamer une réflexion sur la réforme globale de l’AME et sa transformation en aide médicale des étrangers extra-européens non-contributeurs L’AME étant aujourd’hui un dispositif de soins dédié aux étrangers en situation irrégulière, le basculement des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’un titre de séjour pour soins dans son périmètre changerait de fait sa nature et sa dimension ; elle deviendrait alors un dispositif de soins plus large, dédié à l’ensemble des catégories d’étrangers extra-communautaires non-contributeurs à l’Assurance Maladie. Cette transformation appellerait une réflexion plus globale, portant notamment sur sa nouvelle dénomination, le panier de soins retenu, le caractère provisoire ou non des soins dispensés et les conditions pour en bénéficier : durée de résidence, niveau de ressources… Elle s’inscrirait dans une démarche de meilleure distinction des prestations contributives (relevant du modèle « assurantiel » historique de la Sécurité sociale) et non-contributives. En tout état de cause, elle serait la première étape pour repenser en profondeur le système de soins dédiés aux étrangers en situation irrégulière. Les mécanismes d’assistance et de solidarité pour prendre en charge les patients étrangers doivent être préservés, mais ils doivent être cadrés pour ne pas remettre en cause le principe fondamental de contribution dans l’assurance. Une séparation claire entre assurance contributive et dispositifs de solidarité est essentielle pour ne pas créer une confusion entre les deux logiques et éviter que le système assurantiel ne se transforme en modèle redistributif total, insoutenable à long terme. 3) Restreindre le critère d’octroi du titre de séjour « étranger malade » à l’absence du traitement dans le pays d’origine et non à ses difficultés « d’accès effectif » Afin de contrecarrer la jurisprudence du Conseil d’Etat du 7 avril 2010 qui a opéré une interprétation extensive du dispositif de séjour pour soins, et de revenir sur la réforme législative de 2016 qui l’a consacrée, il est préconisé de modifier l’article L. 425-9 du CESEDA, pour remplacer les termes de « bénéfice effectif » par celui « d’existence » d’un traitement approprié dans le pays d’origine. Le dispositif de séjour pour soins a été largement étendu, bien au-delà des conditions initialement énumérées par le législateur – ce qui le rend difficilement soutenable sur le long terme, tant pour l’équilibre des finances publiques que pour les capacités d’accueil du système de santé. Une clarification de ses critères d’attribution s’avère indispensable, tandis qu’une véritable démarche de transparence et de mise en cohérence doit être menée plus globalement pour l’ensemble des dispositifs de soin dédiés aux étrangers. Ont contribué à cette note de synthèse : Grégoire Daubigny, Fernand Gontier, Thanh Le-Luong, Didier Leschi, Nicolas Pouvreau-Monti, Charles Rodwell, David Smadja, Frederic Wehrle [1] Pour les mineurs demandeurs d’un TS pour soins, comme tout mineur sont dispensés de TS, ce sont les parents ou représentants qui bénéficient d’une APS renouvelables en tant que de besoins. [2] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins [3] Conseil d’Etat, section du contentieux 7 avril 2010, n°316625 [4] OFII, Rapport au Parlement 2021 - Procédure d’admission au séjour pour soins [5] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins [6] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins [7] TA de Lyon, 1er décembre 2023, instance n° 2306000 [8] CAA de Marseille, 3 avril 2023, n° d’instance 22MA01769 [9] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins [10] Didier Leschi, Ce grand dérangement, tracts Gallimard, 21/09/2023 [11] OFII, Rapport au Parlement 2023 – Procédure d’admission au séjour pour soins [12] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins [13] CAA de Douai, 11 avril 2023, n° 22DA01323 [14] Fondapol, Migrations : la France singulière, Didier Leschi, octobre 2018 [15] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins [16] Idem [17] Idem [18] OFII, Rapport au Parlement 2023 – Procédure d’admission au séjour pour soins [19] Idem [20] Rapport d’information sur l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière, rapporteure spéciale Véronique Louwagie, 17/05/2023 [21] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins [22] OFII, Rapport au Parlement 2023 – Procédure d’admission au séjour pour soins [23] Idem [24] Rapport sur l’Aide médicale de l’Etat, établi par Patrick Stefanini, décembre 2023

Nos commissions

  • République indivisible
  • République laïque
  • République démocratique
  • République sociale
  • Environnement
  • Economie
  • Technologie
  • Géopolitique
  • Défense
  • Démographie/Immigration
  • Education
  • Santé
  • Espace public
  • Justice
  • Agriculture
Cliquez sur l’image pour en savoir plus

Adhérer ou soutenir le Laboratoire

Si vous souhaitez vous engager avec nous dans le Laboratoire de la République, plusieurs solutions…

Cliquez sur l’image pour en savoir plus
Cliquez sur l’image pour en savoir plus

Notre dernière vidéo

Retrouvez les comptes-rendus de nos derniers événements :

Pour rester informé
inscrivez-vous à la newsletter

S'inscrire