Alors même qu’elle a été pensée et concrétisée comme le meilleur moyen de libérer les individus, la laïcité est désormais perçue, notamment chez les jeunes, comme un instrument de coercition qu’exerceraient sur eux les pouvoirs publics. La hiérarchisation entre lois républicaines et préceptes religieux, l’émancipation de l’individu des emprises communautaires, l’égalité hommes-femmes, autant de principes auxquels la laïcité donne des fondements théoriques et des réponses concrètes, qui sont aujourd’hui remis en question.
Depuis la Troisième République jusqu’à la Constitution de 1958, instituée sur la base d’un solide corpus juridique initial (lois de 1880 à 1906) la laïcité comme vivre-ensemble, accorde pourtant à chaque citoyens des libertés individuelles et collectives, dans le respect de l’égalité de tous les individus, et bénéficie à ce titre d’une cohésion sociale d’un consensus qui assure la paix civile.
L’Église catholique, dont la domination morale sur les esprits et les corps était à l’origine la première visée par les lois laïques, étant rentrée dans le cadre républicain avec la sécularisation du pays, on a pu estimer que le combat laïque était achevé. Oubliant le caractère éminemment subversif de l’esprit laïque, on n’a par ailleurs pas envisagé les possibles résurgences, sous d’autres formes, de l’hostilité à la laïcité.
Aujourd’hui encore, à travers l’acquisition de connaissances et par la combinaison de l’exercice du raisonnement et de la sensibilité, l’École laïque, a un rôle majeur pour valoriser la construction de l’autonomie individuelle de chacun, dans l’assimilation des règles de vie communes. Lieu essentiel de socialisation et de la formation des esprits des enfants et des jeunes-gens, le cadre scolaire doit avoir le courage de redevenir le lieu primordial de l’affranchissement des dogmes, des préjugés et de certains interdits, parfois imposés par le milieu social et familial. Car si l’École a constitué l’enjeu central du combat laïque passé, elle se trouve aujourd’hui au cœur de nouveaux affrontements autour du rapport au religieux, de la séparation de la sphère privée et de la sphère publique, sommée de poser à nouveau la question de la vérité et de la science.
Il est urgent de ne pas se complaire dans le déni, afin de regarder nos sociétés démocratiques avec lucidité pour retrouver courageusement les voies de la cohésion sociale et de l’engagement pour une unité toute républicaine. Si la tolérance demeure une exigence éthique, elle ne doit pourtant pas dériver dans une tolérance de l’intolérable. Si le dialogue entre les pouvoirs publics et les autorités religieuses s’impose, son objectif demeure l’acclimatation des religions au cadre laïque français et non pas la faillite de la laïcité face aux idées religieuses et/ou traditionnelles.
Notre engagement en faveur de la laïcité doit nous conduire, d’une part à un réarmement intellectuel et moral pour revivifier les fondements de l’esprit laïque et sa défense des trois Libertés, de conscience, de pensée et d’expression, et d’autre part, pour dire et mettre en œuvre la laïcité dans des termes actuels, afin de promouvoir une nouvelle dynamique laïque, un réenchantement et un réarmement de la laïcité. Il s’agit-là d’une vaste mobilisation citoyenne dans laquelle les acteurs de terrain (enseignants personnels de santé, agents des services publics) et les élus sont en première ligne, et où les intellectuels jouent un rôle fondamental.
Par ailleurs, si la laïcité a trouvé son origine autant dans la philosophie du libertinage que dans la philosophie humaniste du siècle des Lumières, et si elle doit sa mise en forme juridique dans le cadre de la formation de l’État-nation, de 1789 à la Troisième république, elle n’est pas qu’une spécificité française. Aujourd’hui, la laïcité est explicitement défendue comme modèle libérateur notamment dans les régions que les islamistes considèrent comme Dar al Islam (« Terre d’Islam ») que ce soit en Iran, en Algérie ou au Kurdistan syrien. La solidarité laïque internationale est donc une dimension importante du renouveau laïque auquel nous travaillons.
Afin de réarmer nos esprits et agir, cette première rencontre de la Commission laïcité du Laboratoire de la République, marque le lancement de notre action et propose de réfléchir autour de trois tables rondes conviant des praticiens de terrains, des élus, des grands témoins et des acteurs de la laïcité.