
Les violences intrafamiliales désignent, selon Julie Klein, une forme de maltraitance, qu’elle soit physique (brûlures, abus sexuels…), psychologique (punitions) ou économique, exercée au sein de la cellule familiale. Or, ces violences ont, pour Steffi Alexandrian, des conséquences qui doivent être mesurées au moment où elles sont commises. En effet, la cellule familiale est un repère de confiance pour les enfants, qui ne se rendent pas compte de suite que les situations vécues sont anormales.
Julie Klein, a tenu à rappeler que le cadre judiciaire des violences intrafamiliales avait évolué. De ce fait, si le Code civil de 1804 autorise un père à faire emprisonner son enfant, une loi de 1991 abroge la légalité de cette violence. De même, l’inceste est définit dans le Code Pénal comme une relation sexuelle entre un mineur et un membre de sa famille (relation de parenté ou d’autorité). La peine encourue peut aller jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle (dix ans d’emprisonnement s’il s’agit d’une agression sans pénétration). Cela met en lumière le progrès de la législation concernant ces violences.
Nonobstant, les progrès législatifs demeurent plutôt récents et certaines pratiques pouvant être qualifiées d’incestueuses sont ancrées dans les mœurs. Steffy Alexandrian relève que si embrasser son enfant sur la bouche est relativement admis, l’acte peut être vu comme une violence. De même, selon une étude publiée par l’IFOP en 2022, 79% des parents sont auteurs de violences éducatives ordinaires; alors que la loi « anti fessée » de 2019 interdit les pratiques punitives. Elle a pour objectif de rappeler aux parents qu’ils peuvent éduquer leurs enfants sans les frapper ou les humilier. Mmes Klein et Alexandrian portent néanmoins un regard critique sur cette loi puisque celle-ci incrimine sans réprimer : il n’y a pas de sanctions véritables pour les parents exerçant ce type de violence.
Ainsi, la question des violences éducatives ordinaires témoigne des difficultés du lien entre le droit et la sociologie, alors qu’ils devraient être ramenés sur le même plan, pour défendre un modèle d’éducation plus bienveillant. Quelles procédures pour sortir de ces violences faites aux enfants ? En cas de violence intrafamiliale révélée ou suspectée, il peut y avoir saisie de la justice pénale ; souvent a posteriori, et/ou des signalements par des alertes sur les réseaux sociaux. Des déclarations, de la part des systèmes médicaux ou scolaires peuvent faire intervenir la justice et les travailleurs sociaux, qui prennent des mesures sur les plans pénal et civil.
Un reproche récurrent est fait au gouvernement : le manque de statistiques (14% des filles et 10% des garçons signalés comme ayant subi des violences psychologiques, 160 000 enfants par an concernant les violences sexuelles, les enfants en situation de handicap ont trois fois plus de risque d’être victimes de violences sexuelles, à l’échelle nationale un enfant est tué tous les cinq jours.) Sur 1000 français, 24% se sont dit avoir été victimes de maltraitance grave pendant leur enfance et sur les enfants exposés aux violences conjugales, 98% des enfants sont victimes indirectes pour 37% de victimes directes. Enfin, 51 754 mineurs sont victimes de violences physiques.
Un mouvement est cependant observable : la société a envie de s’intéresser à ce sujet, de se former ; le principal problème étant de donner les moyens aux acteurs désireux de changements. Il existe un problème de moyens pour la justice : notamment un manque de magistrats dédiés à ces questions. Il faut noter aussi un manque de temps, de formation et des principes qui se confrontent (parole de l’enfant, présomption d’innocence). Le risque majeur demeure l’erreur judiciaire grave. La parole de l’enfant peut être instrumentalisée dans le cadre d’une séparation difficile.
La question du retrait de l’autorité parentale est une question très discutée dans l’actualité juridique. Tout l’enjeu pour la défense étant de montrer que dans le cadre de violences intrafamiliales, les parents ne sont plus en mesure de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant. La question d’une suspension de l’autorité parentale se pose alors, un droit-fonction selon Steffi Alexandrian avec comme contrepoids l’intérêt même de l’enfant. Le cas de l’affaire Marina a beaucoup fait réfléchir les autorités juridiques quant à la nécessité de motiver cette suspension d’autorité : il faut des indices graves montrant que l’intérêt de l’enfant a été mis en danger.
En dernier lieu, Julie Klein revenait sur le point de la prescription dans les affaires des violences sur des mineurs, qui perdure souvent dans le temps. La prescription a augmenté le 3 août 2018 — la victime de violences peut maintenant porter plainte jusqu’à 48 ans sans que les conditions ne changent. De même, le 21 avril 2021, l’option de prescription glissante permet de concevoir que même si l’auteur agit sur des victimes différentes, on utilisera automatiquement la prescription de la dernière victime pour l’ensemble.
Comment améliorer la protection des enfants ? Nos deux intervenantes défendent la nécessité d’impliquer plus de moyens : matériels et humains. Elles s’entendent sur la possibilité de la prescription glissante, l’augmentation des moyens pour les magistrats et les travailleurs sociaux, l’augmentation de la prévention. D’après les intervenantes, on possède en France un arsenal légal perfectible mais plutôt satisfaisant, et il faut laisser du temps pour que la loi puisse « faire ses preuves » — changer de manière régulière est contre-productif. Il est essentiel que l’on instruise davantage la réflexion et les travaux sur le sujet : la théorie apporte toujours beaucoup d’éléments à la pratique et leur union ne peut que renforcer l’efficacité du système.
Les deux intervenantes ajoutent, au sujet de l’impossibilité de supprimer les délais de prescription, qu’un risque de ne plus pouvoir réunir les preuves nécessaires à une condamnation des décennies après les faits est très présent, et pourrait constituer un obstacle sur la route des victimes cherchant à tourner la page.
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