Auteur : Alexandre Alecse

Lettre d’Amérique (2) : quelle vérité aux Etats-Unis ?

par Alexandre Alecse , Elise Torché , Thomas Clay le 21 octobre 2024 élections américaines
Alors que les États-Unis se préparent à une nouvelle échéance électorale décisive, l'ombre du doute et de la désinformation plane sur le processus démocratique. Dans cette deuxième "Lettre d’Amérique", nos laborantins sur place partagent leurs observations sur un climat politique où la vérité semble devenir un enjeu secondaire, reléguée derrière des stratégies de communication agressives et des mensonges répétés. Ce phénomène, déjà aperçu lors des élections de 2016, semble aujourd’hui s'intensifier à l'intérieur même du pays, mettant à rude épreuve la démocratie américaine.
Chers Laborantins, À mesure que l’échéance approche la fébrilité gagne partout. Sur la côte est, le pessimisme gagne chez les libéraux qui ne comprennent pas cette Amérique capable de voter pour ce Donald Trump, aussi caricatural. Lui-même n’en cure et il a même trouvé cette semaine de nouveaux caps à franchir dans l’ignominie et le mensonge. Rien ne l’arrête. Et il a raison puisque ça marche. On reproche même désormais à Kamala Harris d’être trop lisse… C’est sûr que, par comparaison avec les fantasmes agités, celle qui dit la vérité pourrait paraître ennuyeuse par rapport à celui qui la traite de déficiente mentale. Faut-il insulter pour être entendu ? Faut-il mentir pour être compris ? Tel est le sujet de cette deuxième lettre d’Amérique : la vérité. La vérité des propos, mais aussi la vérité des résultats, dont on annonce déjà qu’ils seront contestés par Donald Trump s’il perd. En somme, soit il gagne, et les résultats sont exacts, soit il perd et ils sont faux. La vérité n’est clairement ici ni une préoccupation ni une finalité. Lors de la campagne de 2016, la désinformation semblait venir de l’extérieur, notamment de Russie. Pour ce nouveau scrutin, elle semble nourrie de l’intérieur. Véritable cheval de Troie contre la démocratie, la désinformation ou mésinformation semble avoir pénétré la société américaine. La Constitution américaine accorde une place proéminente à la liberté d’expression, les tentatives de modération de contenu sont presque automatiquement considérées comme de la censure. Il faut faire la distinction entre l’expression sur les réseaux sociaux qui bénéficie d’une protection quasi-absolue, et la liberté de la presse. Les réseaux sociaux ont permis de faire émerger un nouveau mode d’expression permettant d’échanger globalement et d’avoir une audience plus large que par les médias traditionnels. Il est très compliqué pour le gouvernement américain de réguler les réseaux sociaux. Même les tentatives de modérations par les plateformes elles-mêmes peuvent être très critiquées. Il s’agit d’un nouvel espace de discussion mais aussi de campagne. Les personnalités politiques profitent de ce nouveau moyen de communication, protégé par la Constitution, pour faire une campagne plus agressive, choc, agrémenté de formules chocs et d’informations erronées. La digitalisation généralisée de la campagne actuelle renforce la pratique de désinformation. Théâtres des dérives antidémocratiques, les réseaux sociaux pullulent de fausses informations sur les candidats. Dans ce déluge de mensonges, difficile pour l’électeur de faire un choix éclairé. Plus difficile encore d’avoir un espace de débat politique neutre et analytique alors que la plupart des médias prennent parti. Donald Trump est bien connu pour son utilisation compulsive de son propre réseau social, malicieusement nommé « Truth Social », ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour celui qui a érigé le mensonge en mantra. Singulier retournement de l’histoire que ce réseau social créé après avoir été évincé de Tweeter, alors que celui-ci, devenu X, est désormais la propriété d’Elon Musk, lequel fait campagne pour Trump en épousant totalement les excès et les mensonges. Mais où est la vérité si elle n’est ni sur X ni sur Truth Social ? Les médias traditionnels sont eux aussi de plus en plus traversés par des postures politiques revendiquées. C’est la « Foxnewsisation » des médias. CNN fait office de contrepoids, même si elle ne transige pas, elle, avec la vérité. Ainsi la première interview de Kamala Harris sur Fox News fut édifiante : on a assisté à une réelle passe d’armes avec Bret Baier, le plus politique des présentateurs de la chaine d’extrême droite. Parfait exemple de framing, la façon de formuler les questions influait sur ce que le spectateur allait retirer de l’interview. Demander à la candidate Harris “ how many illegal immigrants [the Biden administration had] released into the country” (se traduisant par : combien d’immigrants illégaux l’administration Biden a libéré dans le pays) sous-entend directement, peu importe la réponse, que l’administration actuelle aurait délibérément “lâché” dans la société américaine des immigrants illégaux. La collusion entre les médias et la campagne est particulièrement délétère pour la démocratie. La presse, qui devrait jouer un rôle de supervision des politiques, semble malléable et partisane. Avec ces vérités plurielles, difficile d’imaginer comment les électeurs de la city upon the hill peuvent faire un choix éclairé et libre de toute influence dans deux semaines. L’ironie de telles pratiques dans la plus vielle démocratie du monde devrait nous inquiéter. L'exercice démocratique semble entaché de mensonges qui brouillent la capacité de réflexion, et de choix. Les jours qui nous séparent de l’élection risquent de voir une course à la surenchère de fausses informations pour discréditer la partie adverse. Espérons que mensonges et demi-vérités ne triompheront pas car c’est bien la démocratie qui est en jeu. Et, malheureusement, on le sait, les Etats-Unis sont souvent à l’avant-garde de ce qu’on trouve ensuite en Europe. Thomas Clay Alexandre Alecse Elise Torché Laborantins actuellement aux Etats-Unis

Lettre d’Amérique

par Alexandre Alecse , Elise Torché , Thomas Clay le 14 octobre 2024 Maison blanche
Cette Lettre des Etats-Unis hebdomadaire a pour objectif de profiter de la présence de certains membres du Laboratoire aux États-Unis pendant cette période politique exceptionnelle que constitue l’actuelle campagne électorale pour l’élection du 5 novembre. Chacun sait que ce qui se joue ici n’est pas seulement l’élection du prochain président des Etats-Unis, mais une part de l’avenir du monde, en même temps qu’une pratique de la démocratie, qui correspond au cœur de métier du Laboratoire de la République.
Chers Laborantins de la République, Cette Lettre des Etats-Unis hebdomadaire a pour objectif de profiter de la présence de certains membres du Laboratoire aux États-Unis pendant cette période politique exceptionnelle que constitue l’actuelle campagne électorale pour l’élection du 5 novembre. Chacun sait que ce qui se joue ici n’est pas seulement l’élection du prochain président des Etats-Unis, mais une part de l’avenir du monde, en même temps qu’une pratique de la démocratie, qui correspond au cœur de métier du Laboratoire de la République. Vu d’ici, la perspective n’est pas exactement la même que de France, et ce qu’on observe au contact, comme disent les militaires, mérite d’être rapporté aux membres de notre Laboratoire. Car c’est bien aussi une forme d’expérimentation, non pas de la République, mais de la démocratie qu’on observe ici, tels des laborantins avec leurs paillasses et leurs éprouvettes. Le scrutin qui désignera le prochain occupant de la Maison Blanche se tiendra dans un peu moins d’un mois. Les votes par correspondance ont déjà ouvert, en témoignent les boîtes postales couvertes de signes “Official Ballot Drop Box”. Suite au résultat du 5 novembre prochain, Donald Trump (Républicain) reprendra ses quartiers à la Maison Blanche ou bien Kamala Harris (Démocrate) déménagera de l’Observatory Circle à Pennsylvania Avenue pour le bureau Ovale. Le scrutin de novembre voit se disputer deux candidats aux parcours et aux personnalités très différentes : Donald Trump, Président de 2016 à 2020, Républicain, prétendument milliardaire, ancien animateur de télé-réalité et Kamala Harris, Vice-Présidente des Etats-Unis (2020-2024), ancienne procureure générale de Californie, fille d’un immigrant jamaïcain et indien. Les élécteurs américains vont-ils élire pour la première fois une femme à la Maison Blanche ou bien réélire pour un second mandat leur Président le plus clivant sur la scène internationale, par ailleurs pénalement poursuivi et condamné ? Mais vu d’ici, il y a match et c’est très serré. Les derniers sondages, conduits du 4 au 7 octobre, indiquent 50% des voix pour Kamala Harris, 48% pour Trump (sondages conduit sur les électeurs inscrits sur les listes). Mais le système de scrutin indirect avec les Grands électeurs par État, au scrutin parfois majoritaire parfois proportionnel, rend l’examen des projections nationales inutiles, puisque tout se joue dans les sept fameux Swing States. C’est là que la bataille se mène et que les électeurs sont sur-sollicités, voire harcelés, pour voter pour lui ou elle. Parmi ces sept Swing States, le plus important est la Pennsylvanie (19 grands électeurs) et la plupart des cantons de cet État sont déjà figés. Résultat : le vote de deux cantons fera pencher la balance vers un candidat ou l’autre et tranchera l’élection du chef de la première puissance mondiale. Sans parler des débats politiques qui sont d’un niveau extrêmement faible et dans lesquels clairement la recherche de la vérité n’est un objectif. La punchline sert de viatique. Le sujet principal est le montant des fonds de soutien qui auront été levés, et le soutien supposé de certaines catégories de la population, qui se trouve saucissonnée. Le vote est recherché en fonction de ce qu’on est et non pas de ce qu’on pense. Il faut convaincre la femme noire de plus de 50 ans habitant dans le canton sud de Pittsburg. C’est là que ça se joue ! Est-ce vraiment cela la démocratie ? Quels enseignements en tirer pour nous, pour la République, pour le Laboratoire de la République ? Les histoires mutuelles de la France et des Etats-Unis n’ont-elles pas des influences communes ou réciproques, dans lesquelles ils font à nouveau se plonger pour en tirer le meilleur des deux côtés de l’Atlantique ? Tel est l’objet de cette lettre des Etats-Unis. Suite au prochain numéro. Thomas Clay Alexandre Alecse Elise Torché Laborantins actuellement aux Etats-Unis

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