Auteur : Jean-Claude Mailly

Grèves et dialogue social : « La démocratie sortirait grandie d’un changement de méthode » selon Jean-Claude Mailly

par Jean-Claude Mailly le 18 janvier 2023
Le 19 janvier fait figure de test grandeur nature pour les organisations syndicales, dans leur opposition à la réforme des retraites annoncée par le gouvernement le 10 janvier. Il est l’occasion pour le Laboratoire de la République de réfléchir à l’avenir du dialogue social en France, en interrogeant Jean-Claude Mailly, secrétaire général du syndicat FO de 2004 À 2018.
Le taux de syndicalisation a considérablement baissé depuis 1950. Il s’est stabilisé autour de 10% depuis le début des années 2000. Par ailleurs, de plus en plus de mouvements sociaux sont organisés dans les entreprises par des collectifs extérieurs aux organisations professionnelles. Une partie de l’avenir du syndicalisme se joue-t-elle dans le conflit social en cours ? Quelles conséquences sur le dialogue social pourrait avoir à long terme la réforme des retraites ?  Jean-Claude Mailly : Historiquement, le taux de syndicalisation n’a jamais été très élevé en France excepté en 1936, après la Seconde Guerre mondiale et pour des périodes relativement courtes. Cela est notamment dû à notre structure des relations sociales basée sur les valeurs républicaines. Ainsi, la valeur d’égalité implique un minimum d’égalité de droits entre les citoyens, entre les salariés et entre les entreprises. Cela a conduit à la mise en place d’une hiérarchie des normes ou principe de faveur se caractérisant par une articulation des niveaux de négociation entre l’interprofessionnel national, la branche et l’entreprise avec obligation, pour un niveau, de respecter ce qui a été conclu au niveau supérieur. Ainsi, si vous perdez votre emploi, vous avez les mêmes droits que vous soyez salarié d’une TPE ou d’une multinationale, syndiqué ou non. Dans d’autres pays, chaque syndicat gère sa caisse d’assurance chômage. Le salarié choisi est de facto syndiqué. Au demeurant, les travailleurs en France n’ont pas à rougir de leurs droits si on les compare à ceux de pays équivalents. Ce système a progressivement été remis en cause en affaiblissant le principe de faveur et en transférant au niveau de l’entreprise un rôle plus important. Dès lors, l’un des défis pour les syndicats est de s’implanter dans plus de PME et ETI, ainsi que chez les travailleurs des plateformes, ce qu’ils ont entrepris d’ailleurs. S’agissant de collectifs extérieurs aux syndicats, ce n’est pas un phénomène nouveau. Rappelons-nous de ce qu’on appelait les coordinations à la SNCF ou chez les infirmières. La nouveauté est qu’ils sont plus faciles à mettre en place avec les réseaux sociaux permettant des contacts et des mobilisations horizontales. Je ne pense pas que l’avenir du syndicalisme se joue sur le conflit en cours avec les pouvoirs publics même s’il est préférable qu’il marque des points. Et même si la loi passe, l’histoire montre qu’il y a toujours un effet boomerang, souvent sur un plan politique. Cela devrait nous alerter compte tenu du paysage politique actuel. Enfin, n’oublions pas que le total des syndiqués est nettement supérieur à celui des adhérents politiques et que leurs implantations sur le terrain se comptent en dizaines de milliers. LFI souhaite s’imposer comme un acteur majeur de la mobilisation sociale. La politisation croissante des mouvements sociaux est-elle une bonne nouvelle pour le dialogue social en entreprise ?  Jean-Claude Mailly : La politisation des mouvements sociaux n’est jamais une bonne nouvelle. Les partis jouent un rôle dans la démocratie politique et les syndicats dans la démocratie sociale. Les mobilisations sociales ne sont pas du ressort des partis politiques. LFI rêve vraisemblablement d’un modèle dans lequel le syndicat est courroie de transmission du parti comme la CGT le fut avec le PC. De mon point de vue, le syndicat doit rassembler les salariés actifs, chômeurs et retraités en toute autonomie et indépendance et avoir une vie démocratique intense. Un parti d’opposition a vocation à s’opposer. Un syndicat a d’abord vocation à négocier et à s’opposer si nécessaire. Un manque de représentativité, de crédibilité, une centralisation jacobine du conflit social, une minorité dissidente, des contestations systématiques, une politisation... les critiques adressées contre le syndicalisme sont-elles légitimes ? Si oui, quelles pistes pour réformer le dialogue social ?   Jean-Claude Mailly : La représentativité des syndicats ne se mesure pas au nombre d’adhérents mais aux résultats électoraux dans les entreprises et administrations. Les critiques sur leur politisation sont le reflet de ce que j’expliquais plus haut concernant la CGT et dont l’image perdure. Plus que dans le privé où la négociation domine, le problème des relations sociales se situe au niveau national avec les pouvoirs publics. On ne négocie pas formellement puisqu’à la fin il y a une loi ou un décret. Il s’agit d’une concertation. Cependant, il y a deux pratiques possibles de la concertation. Dans la première, vous prenez en compte les points importants de vos interlocuteurs et vous fixez comme objectif de parvenir à un compromis. En quelque sorte, c’est une négociation non formalisée par une signature. Dans la deuxième, vous ne menez qu’une consultation sans intégrer les lignes rouges de vos interlocuteurs. La première formule est la meilleure mais est loin d’être systématique. La deuxième conduit au conflit et au rapport de forces. Il est donc important de sortir de ce schéma et de préférer le réformisme à ce que l’on peut qualifier d’une expression de l’autoritarisme. De ce point de vue, il faudrait s’atteler à une révision de la loi de 2007 dite loi Larcher en renforçant les obligations des pouvoirs publics quand ils veulent intervenir sur le champ social. Aujourd’hui, il y a une opposition unanime des syndicats de salariés, d’étudiants et de lycéens sur le recul de l’âge. Cela aurait mérité une réelle concertation ou quasi-négociation. Comme toujours, une bonne négociation suppose, des deux côtés, un climat de confiance et de respect. Il s’agit finalement de mettre en avant la raison, facteur de responsabilité. Cela doit passer par une co-construction sans mélange des rôles car il ne s’agit pas, comme ce fut le cas à l’intérieur, à l’éducation nationale ou à l’agriculture, d’installer une forme de cogestion. La démocratie sortirait grandie d’un changement de méthode.

Jean-Claude Mailly : « L’entreprise ne doit pas être un lieu de débat ou d’expression religieux, pas plus qu’elle ne doit être un lieu politique. »

par Jean-Claude Mailly le 23 février 2022
Secrétaire général du syndicat Force Ouvrière de 2004 à 2018, Jean-Claude Mailly soutient que les entreprises ont un rôle à jouer dans la défense des valeurs républicaines, rôle qui doit être étroitement contrôlé. Il analyse les risques d’augmentation de la conflictualité religieuse et politique en entreprise.
Selon une étude de l'IFOP pour Havas, publiée en février 2021, 80% des Français font confiance aux PME pour défendre les valeurs de la République, 46% aux grandes entreprises. Les entreprises ont-elles un rôle à jouer dans la défense des valeurs républicaines ? Jean-Claude Mailly : Comme tous les acteurs de la vie sociale et économique les entreprises ont un rôle à jouer dans la promotion des valeurs républicaines. Cela doit s’exprimer notamment dans la qualité du dialogue social en termes de liberté de négociation, d’égalité de droits et d’esprit collectif. Même si elles ne sont pas en charge de l’intérêt général elles peuvent aussi y contribuer avec une RSE active et approfondie en matière d’environnement, de gouvernance et de social, ce qui nécessite, au-delà des procédures déclaratives, la réalisation d’audits indépendants pour éviter le green ou social washing. Par ailleurs le fait que les Français font plus confiance aux PME est, entre autres facteurs, dû à la moindre internationalisation et à la proximité. Dans les périodes de crise et de doute la tendance est de faire plus facilement confiance à ce que l’on connait le mieux. Comme le disait Bernard Henri Lévy (dans les années 80) les périodes de crise revoient surgir les concepts de race, corps, terre et nation. Selon la même étude, les Français ne sont que 38% à accorder leur confiance aux syndicats pour défendre les valeurs de la République. Comment expliquez-vous ce mauvais résultat pour les forces syndicales ? Jean-Claude Mailly : Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. En premier lieu, les syndicats ont tendance à être considérés comme des institutions, des institutions qui aujourd’hui sont critiquées comme les partis politiques ou les médias. En second lieu une partie de la population les considère comme étant trop politisés et pour certains d’entre eux pas assez indépendants. Ce qui est un faux problème dans la mesure où ce qui pèse surtout en la matière c’est que l’accent a plus été mis sur le conflit que sur la négociation (notamment historiquement avec la CGT) et que, y compris encore aujourd’hui, les médias parlent plus des manifestations que des accords signés. En troisième lieu la majorité des salariés qui adhèrent à un syndicat le font par rapport à l’image et aux résultats sur leur lieu de travail. Or depuis de nombreuses années, en France comme ailleurs, les résultats sont plus difficiles à obtenir. Enfin les pouvoirs publics peuvent aussi avoir une responsabilité quand ils ne sont pas adeptes et pratiquants du dialogue social ou qu’ils considèrent que la place des syndicats est prioritairement dans l’entreprise ou l’administration, ce qui n’est pas conforme aux valeurs républicaines. En effet la structure des relations sociales en France, pour assurer un minimum d’égalité, s’est organisée autour de trois niveaux de négociation (interprofessionnel, branche et entreprise) et de relations spécifiques loi/contrat. Quand l’entreprise comme niveau devient prioritaire les inégalités se creusent. Pour ne prendre qu’un exemple, celui de l’assurance chômage, en France vous bénéficiez des mêmes droits, quelle que soit la taille de votre entreprise et que vous soyez ou non syndiqué. En 2017, dans Quand la religion s'invite en entreprise, Denis Maillard alertait sur la multiplication de conflits religieux en entreprise. Depuis 2017, la situation a-t-elle évolué ? Comment faire appliquer le principe de laïcité en entreprise ? Jean-Claude Mailly : La situation a évolué compte tenu des problèmes rencontrés ici ou là. Mais tout n’est pas encore réglé, loin s’en faut, et l’idéologie woke peut faire des dégâts, tout comme ceux qui à l’extrême droite, rejettent l’autre ou ceux qui, à l’extrême gauche, voient dans le même autre le nouveau prolétariat. De mon point de vue la fermeté sur les principes de la laïcité, un des fondements de notre vie en commun, s’impose. L’entreprise ne doit pas être un lieu de débat ou d’expression religieux, pas plus qu’elle ne doit être un lieu politique. L’outil à privilégier est le règlement intérieur qui doit être très précis en la matière et prévoir les sanctions en cas de non-respect. On peut aussi s’inspirer de ce qu’ont mis en place certaines entreprises comme Paprec avec leur charte de la laïcité. Il faut d’ailleurs arrêter de penser que dans l’entreprise nous sommes des citoyens, nous y travaillons pour produire des biens et des services. Nous sommes citoyens en dehors de l’entreprise. Dans les deux cas nous avons des droits et des devoirs mais la confusion génère des dérapages. Il en est de même quand faute de social on fait du sociétal. Notre république laïque est aussi sociale.

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