Dans L'Obs, Jean-Michel Blanquer et l'historien Patrick Weil débattent sur la laïcité.
Dans cet article de l’OBS, les deux hommes partagent leur vision sur le principe de la laïcité en France et sa potentielle évolution.
Pour Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et président du Laboratoire de la République, la laïcité « protège » et « garantit la liberté« . Et il met en garde contre certains groupes qui « cherchent à faire croire que ce principe serait périmé, inadapté à notre époque ». Pour Patrick Weil, historien et auteur du livre « De la laïcité en France« , les Français sont « inquiets » pour la laïcité et « ont du mal à la définir ». Ce qui explique pour lui en partie les tensions qu’on peut observer aujourd’hui.
Dimanche 26 août, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a annoncé que le port de l’abaya et des qamis serait désormais interdit à l’école. Une note et un protocole publiés le 31 août ont permis aux chefs d’établissements de mettre en œuvre le dispositif avec succès lors de la rentrée scolaire, lundi dernier, 4 septembre. Caroline Yadan, députée de Paris, nous fait part de son regard sur la laïcité et l'interdiction de ces tenues.
Les chefs d’établissements ont globalement salué un texte clair et sécurisant. Pourquoi était-il essentiel de préciser l’application de la loi de 2004 pour ces deux tenues vestimentaires ? Le procès en « islamophobie » n’a pas manqué de ressurgir, venant en majorité d’influenceurs fréristes, mais aussi de LFI. Pourquoi est-il infondé ? Que dire aux jeunes qui revendiquent sincèrement leur liberté de porter des signes religieux ostentatoires ? Selon un sondage IFOP pour Charlie Hebdo publié le 4 septembre, 70% des Français (48% des sympathisants LFI, 71% des sympathisants PS) associent l’abaya à des tenues ayant un caractère religieux. Comment comprendre l’entêtement de certaines figures de gauche alors que le consensus paraît solide ? Comment s’assurer de l’application de la loi dans les prochains mois ? Comment contrer les minorités religieuses qui vont essayer d’en contourner la lettre ?
Toutes ces questions ont été posées à Caroline Yadan, députée de Paris.
Entretien complet sur notre chaîne Youtube :
https://www.youtube.com/watch?v=DTdDhtUatSE&list=PLnuatIJNLTZWAbN4pAsF9KCsAqUX9Bn9F&index=6
Le 16 septembre 2022, Mahsa Jina Amini décède dans un hôpital de Téhéran des suites de mauvais traitements subis pendant sa détention. Elle avait été arrêtée, trois jours avant, par la police des mœurs pour avoir prétendument enfreint les lois strictes sur le voile. Sa mort a provoqué des manifestations à travers le pays qui ont été violemment réprimées par les autorités. Un an après, la Révolution iranienne continue le combat pour renverser la République islamique d’Iran. Shaparak Saleh, co-fondatrice et Secrétaire générale de « Femme Azadi », association sensibilisant l'opinion publique à cette cause et voulant porter la voix du peuple iranien, a accepté de présenter la situation et les enjeux de cette révolution pour le Laboratoire de la République.
Le Laboratoire de la République : Qu’y-a-t-il d’inédit dans la révolution en cours en Iran depuis le 16 septembre 2022 ?
Shaparak Saleh : La révolution en cours depuis le meurtre de Mahsa Jina Amini par la police des mœurs, le 16 septembre 2022, est inédite à plusieurs égards. Elle l’est déjà si l’on se situe au niveau de l’Iran. En effet, pour la première fois, les manifestations ne sont pas régionales. Elles ont envahi tout le pays, c’est-à-dire aussi bien les villes que les villages. La révolution gronde même dans les villes réputées pour être les plus croyantes, à l’instar de la ville sainte de Qom, ville natale du guide suprême iranien Ali Khamenei. Ensuite, cette révolution n’est pas comparable aux précédents mouvements de révolte. Ainsi, contrairement au mouvement vert de 2019 pendant lequel les jeunes scandaient : « Où est mon vote ? » en arborant la couleur verte – symbole de Mir Hossein Moussavi, candidat floué prônant un islam réformé et plus ouvert – c’est aujourd’hui le principe même d’une république islamique qui est contesté. Les Iraniens ont compris que les conservateurs et les modérés faisaient partie d’un même système visant à maintenir sur pied une théocratie. Ils souhaitent la mise en place d’un état de droit et d’une démocratie, laquelle ne sera possible que si le régime des mollahs chute. Enfin et surtout, pour la première fois, la peur a changé de camp. Malgré la répression féroce, le mouvement ne s’est pas éteint. Tandis que les mollahs n’osent plus porter leur tenue dans la rue, de crainte de subir des agressions, de nombreuses femmes refusent de porter le voile. Pour ne plus qu’on leur dicte ce qu’elles doivent porter, elles refusent de courber l’échine devant la redoutable police des mœurs, risquant arrestation, coups de fouet, viol ou mise à mort. Cependant, ces femmes n’ont plus peur. Elles préfèrent prendre ce risque que de vivre éternellement sans être libres. Mais ce n’est pas qu’en Iran que cette révolution est inédite : une révolution menée par des femmes, pour tout un peuple, c’est une première mondiale. C’est notamment pour cela qu’elle ne peut pas échouer. Un échec serait un revers pour toutes les femmes. La chute du régime des mollahs serait aussi la défaite de la première république islamique au monde et, par conséquent, l’échec de l’islamisme politique.
Le Laboratoire de la République : A quoi ressemblerait le monde si la révolution aboutit et conduit à la chute du régime des mollahs ?
Shaparak Saleh : C’est une évidence : le monde serait bien meilleur sans la République islamique d’Iran. Toute une partie du globe retrouverait la paix. Il s’agit avant tout d’une théocratie qui rêve d’exporter son modèle dans le monde. Soutien aux mouvements radicaux dans le Moyen-Orient, la République islamique n’hésite pas à utiliser le terrorisme pour régner. Prises d’otages, attentats, répressions, massacres sont autant d’armes utilisées pour dominer le monde. La République islamique déploie une énergie sans limite pour augmenter son influence et sa politique de déstabilisation de la région : elle parraine le Hezbollah, soutient le Hamas, livre des drones à la Russie pour l’aider à dominer l’Ukraine, aide les milices en Irak, tout en appelant à la destruction d’Israël. La liste n’est pas exhaustive. Si on se situe au niveau de la France, l’aboutissement de la révolution et la chute du régime des mollahs présenteraient de nombreux avantages. Du point de vue des droits humains, la chute du régime tyrannique et sanguinaire qui pratique l’apartheid des genres ne peut qu’être accueillie favorablement par la France, pays des droits de l’Homme. Ce serait la fin d’un régime qui autorise les mariages des fillettes dès l’âge de huit ans ou pour qui la parole d’une femme dans un procès vaut quatre fois moins que celle d’un homme (si une femme dépose une plainte pour viol, quatre autres femmes devront témoigner avec elle pour qu'on lui accorde plus de crédit face à son agresseur présumé). Il s’agirait également d’une bonne nouvelle pour le quai d’Orsay puisqu’à l’heure actuelle, on compte quatre otages français. Cette politique des otages a été mise en œuvre par le régime dès son accession au pouvoir en 1979 avec « la crise des otages américains en Iran ». Enfin, un Iran libre et démocratique où règnerait l’état de droit serait seul à même d’attirer des investisseurs étrangers. On entend des rumeurs selon lesquelles des négociations seraient en cours entre les pays occidentaux et la République islamique d’Iran pour raviver le Plan d’action global commun (dit JCPOA). Pense-t-on sérieusement que des investisseurs ne mesureraient pas le risque financier et réputationnel d’un accord avec l’Iran ? Les pays occidentaux ont tout à gagner à la liberté de l’Iran. C’est un pays stratégique en raison de ses réserves de pétrole, mais également un marché à gros potentiel pour les industriels français dans tous les domaines : aéronautique, agroalimentaire, automobile, construction, hôtellerie, luxe ou encore télécommunications. En effet, après quarante-trois années de privations générées par l’isolement de la République islamique d’Iran sur la scène internationale, le succès serait nécessairement au rendez-vous. Les démocraties du monde libre ont tout intérêt à abandonner les efforts visant à pactiser avec un régime à l’agonie qui n’a rien à leur apporter. Elles doivent se concentrer à la réussite d’une révolution qui comporte en elle l’assurance de nombreux débouchés. Pour l’heure, tant que le régime sera en place, aucune négociation ne peut et ne doit avoir lieu. En attendant, la République islamique d’Iran a adhéré au BRICS, ce qui va lui permettre de développer son réseau commercial avec les autres membres de ce club des puissances anti-démocratiques.
Le Laboratoire de la République : Quel soutien peut-on apporter ?
Shaparak Saleh : Le peuple iranien et la diaspora iranienne ont du mal à se faire entendre. En Iran, l’accès à internet est souvent coupé afin que le régime puisse commettre ses exactions à huis-clos. En dehors du pays, nous avons aussi du mal à nous faire entendre. Nous avons besoin que notre combat soit visible. Dans l’ensemble, les médias ne font pas bien leur travail sur ce sujet. La recherche du scoop ou du clic les conduit à traiter en priorité les faits divers nationaux au détriment des sujets de fonds internationaux qui ont du mal à rester visibles avec pour seule exception l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Alors mon premier message s’adresse aux journalistes : nous avons besoin de vous ! Rendez visible cette révolution. Chaque information relayée dans la presse internationale suscite tant d’espoir en Iran. Mais, me direz-vous, comment soutenir quand on n’est pas journaliste mais simple citoyen ? Personne ne doit minimiser son pouvoir. Il faut s’abonner aux pages Instagram, Twitter et LinkedIn des associations qui font un formidable travail d’investigation. Vous pouvez suivre les comptes de Femme Azadi ou de This is a Revolution pour avoir des informations traduites en français. S’informer, c’est déjà bien. Partager, c’est encore mieux. Notre première vidéo de sensibilisation a atteint 10 millions de vues sur les différents réseaux sociaux. La dernière dans laquelle nous annoncions avoir porté plainte contre un dignitaire du régime lors de son déplacement à Paris à l’occasion de la préparation des JO a atteint 130.000 vues. Enfin, vous pouvez soutenir des associations comme la nôtre en faisant par exemple des dons. Pour prendre notre exemple, les montant des dons récoltés par notre collectif nous permettent d’apporter un soutien financier, juridique et administratif aux réfugiés, d’organiser des évènements en France pour amplifier la voix du peuple iranien, d’aider les activistes sur place à continuer de mener le combat, et de financer VPN et Starlinks afin que le peuple iranien puisse nous envoyer des images de cette révolution, malgré les efforts du régime pour couper internet et massacrer en toute discrétion. Pour nous soutenir, vous pouvez également participer à la marche, aujourd'hui samedi 16 septembre, date anniversaire de la révolution (l'emplacement exact est communiqué sur nos réseaux).
Vendredi 13 octobre 2023, trois jours avant l’hommage à Samuel Paty, Dominique Bernard, professeur de français, était assassiné devant son collège-lycée à Arras par un terroriste de nationalité russe, ayant fait allégeance à l’État islamique quelques minutes avant les faits. Dans ce contexte de tensions et d'attaques des valeurs et principes de la République française, le Laboratoire de la République interroge Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie et responsable du DU "référent Laïcité" à la faculté des lettres de Sorbonne Université.
Le Laboratoire de la République : L’assaillant, Mohammed M., a revendiqué un combat contre la République lors de l’attentat. Il aurait par exemple crié à une personne qui tentait de joindre les secours : "Appelle Marianne, appelle ta République". Pourquoi ce combat spécifique ? A quoi s’attaque l’islamisme en ciblant l’école ?
Pierre-Henri Tavoillot : Toute l’idéologie du fondamentalisme islamiste le conduit à la contestation et à la destruction de l’école républicaine. En Afrique, ce mouvement a un nom : Boko Haram, soit littéralement « livre (book) impur » ou encore « l’éducation occidentale est un péché ». L’école est donc une cible, voire une zone de guerre, pour cette idéologie totalitaire. Voilà pourquoi des professeurs sont tués ; voilà pourquoi des étudiants et particulièrement des étudiantes sont enlevés ; voilà pourquoi des établissements scolaires sont brûlés. Voilà aussi pourquoi on note soudain, dans le courant de l’année 2021, une arrivée massive du port des abayas et des qamis. Elle est téléguidée par des influenceurs sur les réseaux sociaux, qui fournissent aux jeunes élèves les éléments de langage que l’on retrouvera partout en France. Au nom de la liberté de s’habiller pudiquement, on n’hésite pas à exhiber son appartenance religieuse : la pudeur corporelle prétexte à l’impudeur et à la pression spirituelle.Ce qu’il faut comprendre, c’est que le fondamentalisme ne prône pas une religion au sens occidental et moderne du terme car nous nous sommes habitués à considérer que la religion, c’est beaucoup de foi et un peu de pratique. Pour le fondamentalisme, la religion régit et dicte tout, du matin au soir, du berceau à la tombe dans tous les domaines de l’existence privé, public et civil. Il est donc normal que l’école, lieu de construction de la personne, soit visée, car il s’agit bien de conquérir les jeunes esprits et de les protéger des impuretés et des mensonges.
Le Laboratoire de la République : Mardi 17 octobre, Gabriel Attal a haussé le ton à l’Assemblée nationale. "Le pas de vague, c’est fini", a-t-il promis, à la fin d’une prise de parole pour évoquer les 179 élèves qui ont perturbé la minute de silence d’hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard. A quelles conditions cette promesse peut-elle être tenue ?
Pierre-Henri Tavoillot : Une seule condition : il faut être ferme contre tout espèce de comportement « manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse ». Le texte de la loi de 2004 est — c’est assez rare pour le noter à propos d’une loi — bref, clair et net. Je suis ébahi que l’on ait eu, à propos des abayas et qamis, exactement les mêmes controverses (heureusement en moins développées) qu’en 2004 à propos du voile. Or cette loi a été particulièrement efficace ; il faut donc l’appliquer. La difficulté est que notre école républicaine est affaiblie de l’intérieur par une forme de mauvaise conscience structurelle. C’est là, où l’ennemi fondamentaliste rencontre un précieux allié : l’hyperinvidualisme woke. Celui-ci dit aux élèves : « Venez comme vous êtes, vos identités sont remarquables ; n’en changez surtout pas. Nous autres adultes, coupables par nature, avons trop peur de vous discriminer pour pouvoir encore vous éduquer. Nous autres adultes avons trop de doutes sur nos savoirs pour espérer vous instruire. Nous autres adultes avons trop honte de notre histoire pour oser vous la transmettre ». Et voici l’autre message qu’il adresse à la jeunesse : « la France d’aujourd’hui est patriarcale, raciste, néocoloniale, indifférente au sort de la planète, inégalitaire, islamophobe, homophobe, transphobe, anti-jeune et oublieuse des vieux, inhospitalière, discriminatoire, immorale, égoïste, rance…» On pourrait sans peine continuer la liste (où l’antisémitisme est « étrangement » absent) de cette auto-détestation qui dépasse de très loin les limites d’une légitime autocritique. Car il ne s’agit pas non plus de s’adorer sans réserve ; mais à force de se haïr, on en vient à se détruire. Aucune école, nulle transmission n’ont de sens dès lors qu’une culture commence à avoir honte d’elle-même.
Le Laboratoire de la République : Mohammed M. résidait en France depuis l’âge de 5 ans et était fiché S. Cet attentat a donné lieu à une polémique sur les modalités d’expulsion du territoire des ressortissants étrangers. Les questions soulevées sont-elles selon vous légitimes ?
Pierre-Henri Tavoillot : C’est une évidence et même une exigence démocratique : un peuple doit pouvoir être maître de son destin. L’Etat de droit doit certes protéger les droits des individus, mais sans mettre en péril la collectivité. Pourtant la gestion de l’immigration n’est pas seule en cause, puisqu’à côté des flux, il y a, si je puis dire, le stock ; c’est-à-dire une part notable de la population française qui n’accepte pas le cadre de la laïcité et qui, pour une autre part, plus réduite, mais non négligeable, aspire à le détruire. Le défi est donc immense.
Le Laboratoire de la République : Cet attentat intervient dans un contexte marqué par l’attaque terroriste du Hamas en Israël et sa résurgence dans le débat politique national. La période est-elle révélatrice de nos fragilités ?
Pierre-Henri Tavoillot : La montée des actes antisémites, les prises de position irresponsables de trop nombreux courants et organisations qui continuent de qualifier le Hamas de « mouvement de résistance » et non d’organisation terroriste, totalitaire et génocidaire, … tout cela en effet est très inquiétant. La République aujourd’hui doit faire face non seulement à des ennemis redoutables, mais à tous ceux qui, en son sein, que ce soit par déni, par peur ou par cynisme, n’hésitent pas à leur faciliter la tâche.
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