République sociale

Droits des Femmes : progrès réalisés et obstacles à surmonter

par Barbara Regent , Joséphine Coz le 8 mars 2024
En cette journée internationale des droits des femmes, le Laboratoire de la République s’entretient avec Maître Barbara Regent et Maître Joséphine Coz, avocates en droit de la famille et du travail. Maître Barbara Regent a cofondé l’association « Les avocats de la paix », les réseaux interprofessionnels « Humanetic » et les « Elles du business ». Pour elles, « l’objectif derrière les droits des femmes est d’aller vers plus d’humanité pour toutes et tous ».
Illustration pour la journée des Droits des femmes

Le Laboratoire de la République : Pour commencer, un mot sur cette journée du 4 mars 2024, où le Parlement réuni en Congrès a adopté la constitutionnalisation de l’IVG ?

Barbara Regent : Cette journée était historique pour les femmes du monde entier. Le symbole est fort. Le corps des femmes n’appartient à personne. On  ne le répètera jamais assez. Cependant, il reste terrible de devoir constitutionnaliser ce droit. Imaginerait-on devoir le faire au sujet du corps des hommes ?

Le Laboratoire de la République : Quels sont les principaux défis auxquels les femmes sont confrontées en matière de droits dans le système juridique français actuel ?

Barbara Regent : Notre priorité est d’améliorer la condition des femmes dans le  monde du travail, mais il faut aussi le faire au sein de la famille. Les déséquilibres de genre y sont récurrents,  notamment en matière patrimoniale et financière. Si on prend l’exemple de la pension alimentaire, les femmes sont confrontées à une inégalité fiscale puisque les pensions doivent être déclarées pour celle/celui qui la perçoit, bien que cette somme soit rapidement dépensée pour les besoins des enfants, alors que pour celui ou celle qui la paye, généralement l’homme, elle est déductible fiscalement, donc beaucoup plus neutre financièrement. Les pensions alimentaires exposent également les femmes  à un risque de contrôle coercitif.  Elles peuvent, notamment si elles sont issues d’un accord entre les parents non homologué devant un juge,   être utilisées pour faire pression sur l’ex-compagne. Leur règlement, ou pas, devient, pour l’ex-conjoint, un levier pour obtenir un arrangement au sujet des enfants ou de ses exigences.

Nous engageons vraiment les femmes, pour le respect de leurs droits, à consulter un avocat avant leur séparation, et même durant la vie maritale, pour connaître ceux-ci et les préserver.  Il ne faut pas craindre de demander conseil à un avocat. Ils sont en première ligne pour la protection des droits des individus et celle-ci peut aussi se faire au travers des modes amiables de manière très pacifique. Il existe de multiples possibilités tant pratiques qu’en matière d’aides financières (des permanences au sein des barreaux, la prise en charge de tout ou partie de leurs honoraires  par l’aide juridictionnelle, une protection juridique, une intervention d’une assistante sociale ou d’une consultante sociale libérale dont le travail pour débloquer des fonds est formidable).

Les femmes sont éduquées pour être des mères, des aidantes, celles qui se dédient généralement aux autres, mais trop souvent au détriment d’elles-mêmes et de leurs propres intérêts. Lorsqu’elles se séparent, nous constatons que ce dévouement à leur famille les pénalisent durablement (train de vie, retraite, patrimoine…). Il nous semble important qu’elles se saisissent dès le début de la vie de couple de ces questions en imposant un meilleur équilibre financier et de partage des tâches… (à prendre ou à laisser  dirais-je !). Pour cela, elles doivent aussi apprendre à lâcher prise sur certains sujets pour laisser de la place aux hommes dans l’éducation et les soins des enfants, la gestion de la maison… Cessons de nous obliger à être parfaites tout le temps :  Osons imposer  nos propres besoins. Ainsi, nous abolirons des  frontières. Ayons confiance en notre courage, en notre force, en notre valeur, en nos compétences. La vague MeToo permet de se dire que notre parole a un sens et du poids.  

Le Laboratoire de la République : Comment les avancées dans les droits des femmes en France se comparent-elles à celles d’autres pays européens ?

Barbara REGENT: La question des droits des femmes est une question mondiale. En France, nous la voyons par le prisme occidental. Mais, elles ont un tel courage partout dans le monde. Je suis émerveillée par ce qu’elles font, par exemple, en Afrique pour le développement de leurs droits, leur reconstruction et autonomie après parfois avoir subi tant de violences. Le corps de la femme demeure un enjeu partout dans le monde. Toutes les deux, nous sommes persuadées que les  (r)évolutions viendront des femmes. Nous pouvons prendre l’exemple des iraniennes qui ont enlevé leur voile avec tant d’héroïsme. Les femmes sont bien plus puissantes qu’on ne l’imagine. Elles n’en ont pas toujours conscience et pas toujours la possibilité de le démontrer parce qu’elles sont étouffées par plein de carcans. Mais chaque geste compte. N’oublions pas que l’engagement de résistante de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, a commencé par décrocher un fanion nazi sur un pont à Rennes…

Joséphine COZ : En France, nous ne sommes pas les meilleurs élèves. En Europe, l’Espagne est beaucoup plus avancée que nous sur les droits des femmes, notamment en matière de lutte contre les violences conjugales. Les Espagnols ont été les premiers à installer le dispositif du « Téléphone grand danger », puis le bracelet anti rapprochement que nous avons cloné en France.

Le Laboratoire de la République : Quelles sont les lacunes persistantes dans la législation française en matière de droits des femmes et quels efforts sont déployés pour les combler ?

Barbara Regent : Elles sont multiples : financières, professionnelles, sociales, médicales… Si nous reprenons le sujet de la fiscalité des pensions alimentaires, comment continuer à accepter que celle-ci continue à être considérée comme un gain imposable pour le créancier, généralement la mère, et une charge déductible pour le débiteur, généralement le père ? Il faut réfléchir à des mesures comme la suppression de la fiscalité sur les pensions alimentaires ou des crédits d’impôts en faveur du créancier. En effet, une pension ne couvre que très rarement les besoins des enfants. La grande majorité des dépenses (logement, nourriture, énergie, soins, activités, scolarité, vêtements…) continue à être à la charge des mères. Certaines ont parfois des décisions de justice qui condamnent le père à payer une pension…qu’il ne règle jamais. Pourtant, elles ne la font pas saisir, par peur des représailles. D’autres,  n’en demandent jamais pour les mêmes raisons. Certains pères ne prennent pas les enfants, les laissant 365 jours par an à la charge de la mère. Mais d’un autre côté, certaines mères refusent de  les laisser plus de temps aux pères ou d’accepter la mise en place d’un résidence alternée. Pourtant, on constate que de plus en plus de pères veulent s’engager auprès des enfants. Je demeure persuadée que la résidence alternée, lorsque les conditions en sont réunies, est une mesure qui permet d’aller vers plus d’égalité de genre et serait bénéfique pour une meilleure égalité salariale. On ne peut continuer à voir les écarts se creuser et à ce que les femmes s’appauvrissent. En 1998, les hommes avaient  un patrimoine supérieur de 8,4% à celui des femmes. Aujourd’hui, ce chiffre est de  15%.

Le Laboratoire de la République : Comment la justice française traite-t-elle les cas de harcèlement et d’agression sexuelle ? La possibilité de recours pour les victimes est-elle à améliorer ?

Barbara REGENT : Il y a beaucoup de textes, mais nous avons aussi besoin de mesures concrètes sur le terrain, d’une meilleure prise en charge des femmes et de leur parole. Cela reste encore difficile. Certains commissariats ou gendarmeries sont pionniers. En Normandie par exemple, il existe des unités dédiées avec du personnel très formées. Il y a des avancées, mais il demeure indispensable de développer la formation. On ne peut accepter que lorsqu’une femme raconte la violence psychologique dont elle est victime, on lui réplique comme cela a été le cas à l’une de nos clientes  « Madame, il n’y a pas de coup, alors c’est léger ».

Joséphine COZ : Les commissariats et les gendarmeries évitent certains féminicides ou violences extrêmes grâce à la remontée des informations. L’une des dernières avancées est la création, dans les tribunaux, des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales. Les magistrats pourront identifier les familles problématiques de la région et  mieux suivre les dossiers.

Entretien enregistré le 07/03/24

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