République démocratique

Jean-Michel Blanquer : « Jamais l’offre politique n’a été autant en inadéquation avec la demande »

le 27 juin 2024
EXCLUSIF. L’ex-ministre de l’Éducation nationale regrette que le « en même temps » soit apparu, à partir de 2022, comme une « série de zigzags ». Et juge la tripolarité « mortifère ».
Jean-Michel Blanquer_Le_Point

Propos recueillis par Jérôme Cordelier

Publié le 26/06/2024 à 06h20, mis à jour le 26/06/2024 à 08h07

Jean-Michel Blanquer sort du silence. Celui qui fut un des piliers du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, au poste stratégique de ministre de l’Éducation qu’il a occupé de bout en bout durant cinq ans (longévité record), ne s’était pas exprimé depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République. En exclusivité pour Le Point, le professeur de droit public à l’université Paris 2 Panthéon-Assas et fondateur du cercle de réflexion et d’action Laboratoire de la République tire les premiers enseignements politiques et institutionnels du séisme politique que nous vivons.

Jean-Michel Blanquer sort du silence. Celui qui fut un des piliers du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, au poste stratégique de ministre de l’Éducation qu’il a occupé de bout en bout durant cinq ans (longévité record), ne s’était pas exprimé depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République. En exclusivité pour Le Point, le professeur de droit public à l’université Paris 2 Panthéon-Assas et fondateur du cercle de réflexion et d’action Laboratoire de la République tire les premiers enseignements politiques et institutionnels du séisme politique que nous vivons.

Le Point : On ne vous a pas entendu depuis le choc de la dissolution. Pourquoi ? Vous avez été sidéré par cette décision comme nombre de Français ?

Jean-Michel Blanquer : Il faut prendre le temps de la réflexion avant de s’exprimer. Les circonstances sont graves. Elles exigent de parler avec parcimonie et justesse si l’on veut être entendu et si l’on cherche ce qui permettra à la France de sortir par le haut de cette crise.

Vous qui avez été l’un des piliers des gouvernements Macron pendant cinq ans, quelle lecture faites-vous de la confusion politique actuelle ?

Jamais l’offre politique n’a été autant en inadéquation avec la demande politique. J’ai le sentiment que trois Français sur quatre veulent pour l’essentiel la même chose : une société avec plus d’ordre et de justice, un pays qui saurait mieux maîtriser son destin par une ligne claire et équilibrée. Or, ils n’ont pas les canaux politiques pour réaliser cette attente. C’était la promesse de 2017. À mes yeux, elle garde toute sa valeur mais elle a été perdue en chemin.

En premier lieu, il y a eu une déstructuration de l’offre politique à partir du moment où le « en même temps » est apparu, en 2022, comme une série de zigzags au lieu d’être un dépassement des clivages par le haut. Cela supposait en particulier une ligne républicaine claire, simple et constante. J’ai été l’un des inspirateurs et des fermes soutiens du discours des Mureaux d’octobre 2020. Si cette ligne d’autorité républicaine avait été tenue jusqu’à aujourd’hui, il y aurait eu en 2022 une majorité absolue et nous serions actuellement dans une situation stable et sereine.

« Le face-à-face macronisme-lepénisme ne peut rien porter de bon. Et la tripolarité avec une gauche inféodée à LFI est plus mortifère encore. On doit rétablir de la biodiversité politique. »

En second lieu, l’offre politique est confuse parce qu’on a laissé monter les extrêmes, ce qui a d’abord détruit la gauche et la droite républicaines et menace maintenant le centre. Le face-à-face macronisme-lepénisme ne peut rien porter de bon. Et la tripolarité avec une gauche inféodée à LFI est plus mortifère encore. On doit rétablir de la biodiversité politique. Cela signifie que l’on doit appeler l’électorat, non pas à un front républicain, mais à un vote pour les partis républicains. Ce n’est pas la même chose. Il faut desserrer l’étau. Il faudra ensuite des coalitions saines permettant de gouverner le pays. Aujourd’hui, chaque circonscription est un cas particulier. Et la seule certitude est qu’il faut empêcher à tout prix les duels de deuxième tour entre le soi-disant « Nouveau Front populaire » et le soi-disant « Rassemblement national ». Au passage, notons que jamais deux noms n’ont été si mal portés.

Édouard Philippe, François Bayrou, Bruno Le Maire et même Gabriel Attal ont pris leur distance avec le chef de l’État. Et vous ?

J’ai une âme de mousquetaire. Je ne lâche jamais une cause ou un être que je sers. Mais, dans mon cas, c’est le président qui a pris ses distances parce que ma ligne agaçait par son républicanisme intransigeant.

Édouard Philippe a pour la première fois acté sa rupture avec Emmanuel Macron en lui reprochant d’avoir « tué (sa) majorité ». Il a raison ?

Ces questions devront être traitées et approfondies après les élections législatives. Ce qui compte maintenant, c’est que les forces républicaines l’emportent dans un maximum de circonscriptions.

Gabriel Attal joue-t-il pour son camp ou pour lui-même ?

Gabriel Attal a des talents de communication que personne ne conteste. Ils n’ont pas servi à empêcher la montée du RN, dont l’écart avec Renaissance a triplé de janvier à juin. Espérons que son implication actuelle sera plus efficace pour son camp.

Peut-on éviter que ces élections se réduisent à un affrontement RN LFI ?

Oui ! C’est une question de volonté. Encore une fois, c’est un enjeu d’offre politique. La proposition du camp républicain ne peut pas n’être que défensive. Ce ne doit pas être seulement d’empêcher les extrêmes d’arriver au pouvoir. Elle doit correspondre à un projet de société. L’environnement, l’éducation, la santé, la sécurité sont les piliers de cette définition d’un bon avenir pour nos enfants. Il y a tant de choses à proposer. Les idées ne manquent pas. Nous sortirons de cette nasse par un nouveau projet de société, pas en nous enfermant uniquement dans la lutte contre les extrêmes. Le retour à l’équilibre des comptes passera par un changement complet d’approche de la dépense publique. Nous dépensons beaucoup trop pour réparer et pas assez pour investir. La prise en compte des grandes révolutions de notre temps, je pense surtout à l’intelligence artificielle, et des grands défis présents – environnementaux et géopolitiques en particulier – appellent à une nouvelle créativité politique. C’est pourquoi la recomposition politique devra être totale.

Pensez-vous qu’une coalition de modérés soit encore possible ? Qui pourrait l’incarner ?

Oui, une coalition de modérés est possible. Mais aujourd’hui, il faut surtout avoir le sens du collectif. L’incarnation ne doit pas précéder le projet. Il y a plus le trop-plein que le vide en la matière. N’excluons pas l’hypothèse d’une personnalité neuve en mesure de fédérer des forces différentes.

Bernard Cazeneuve, Manuel Valls et Jérôme Guedj sont les trois seuls à avoir dénoncé l’accord du Nouveau Front populaire avec LFI. Pourquoi sont-ils si isolés à gauche ?

Ces trois hommes sont très estimables. Ils ont sauvé l’honneur de la gauche. C’est certainement avec eux qu’il faudra compter pour qu’elle se reconstruise sur des bases saines. Le Nouveau Front populaire est un déshonneur pour ceux qui viennent de s’y adonner. Ils usurpent un nom glorieux pour une cause honteuse. Comment au XXI siècle peut-on s’associer à un parti dont l’antisémitisme est malheureusement avéré ? ! Qu’auraient dit les mêmes si des personnalités de droite avaient fait le même calcul ? On peut paraphraser la formule utilisée envers les munichois : « Ils ont perdu et leur honneur et la guerre. »

Car s’asseoir sur ses valeurs est non seulement une faute morale mais aussi une erreur stratégique. Former un cartel purement électoral pourrait ne pas être productif pour la gauche. Et totalement contre-productif pour vaincre l’extrême droite, cela, c’est certain.

Trop souvent, nous aurons le cas d’un candidat « Front populaire » se qualifiant pour le second tour qui s’effondrera face au RN alors qu’un candidat des forces républicaines l’aurait emporté. On est donc en présence d’un cynisme au carré. Voter Nouveau Front populaire, c’est, premièrement, cautionner l’alliance avec des antisémites, et, deuxièmement, favoriser le Rassemblement national. Cela devrait faire réfléchir nombre d’électeurs de gauche. Le leadership doit complètement changer de ce côté-là. Il est inouï de voir des « chefs » transformer l’or de 14 % à l’élection européenne en plomb de la soumission aux Insoumis.

Vous qui venez de la société civile, croyez-vous encore à la politique ?

Oui, bien sûr. Affirmer le contraire n’aurait aucun sens. Qu’est-ce que la politique sinon la réunion des citoyens pour définir ensemble un destin commun. Notre société est travaillée par l’individualisme, le communautarisme et le matérialisme. Elle se détériore à cause de cela et cela laisse la place aux extrêmes qui bénéficient de l’angoisse ainsi créée. Il faut plus que jamais retrouver le sens du contrat social.

« Parmi d’autres idées, je finis par me demander s’il ne faudrait pas introduire dans la Constitution l’exigence d’avoir exercé une activité professionnelle pendant au moins dix ans pour accéder à une fonction gouvernementale. »

De nombreux Français sont affligés par le spectacle que donnent les responsables politiques, toutes tendances confondues. Et vous ?

On ne retient que ce qui est affligeant. Le bien ne fait pas de bruit. Il y a pourtant de nombreux responsables politiques qui agissent pour le bien commun. Cela se voit à l’échelle locale. À l’échelle nationale, il n’y a pas moins de vertus. Mais elles sont plus attaquées. Tout tire vers le bas par l’excitation des passions, l’esprit de dérision, la critique caricaturale. La dévalorisation de la fonction politique risque d’éloigner les profils les plus valables. Parmi d’autres idées, je finis par me demander s’il ne faudrait pas introduire dans la Constitution l’exigence d’avoir exercé une activité professionnelle pendant au moins dix ans pour accéder à une fonction gouvernementale. La domination de la logique de communication est délétère.

Vous qui êtes professeur de droit public et constitutionnaliste percevez-vous une crise de régime ?

Il y a la lettre et l’esprit des institutions. Les deux doivent être respectés. L’article 12 – qui permet la dissolution – fait partie des « pouvoirs propres » du président, de ces prérogatives qu’il peut exercer sans contreseing des ministres. Mais pouvoir propre ne veut pas dire pouvoir discrétionnaire. Dissoudre un soir d’élection est un contresens. Cette décision ouvre une cicatrice d’un siècle et demi. En 1877, l’usage de la dissolution par le président Mac Mahon avait abouti à une crise de la III République naissante et à une éclipse de la fonction présidentielle jusqu’à 1958.

Les dissolutions ont été très rares depuis 1955 et un recours exceptionnel à l’initiative d’Edgar Faure. Elles ont servi à résoudre des désaccords entre l’exécutif et le Parlement, à aligner une majorité parlementaire sur une nouvelle majorité présidentielle ou à faire trancher par les urnes des troubles dans la société. Déjà, la dissolution de 1997 avait été mal fondée et aurait dû servir de cuti de rappel. Le président aurait pu dissoudre à la rentrée pour tenir compte d’une éventuelle impasse parlementaire. Cela aurait été naturel et compréhensible.

Mais on ne fait pas arbitrer une élection – dont on a dit en plus à l’avance qu’elle ne concernait que l’Europe – par une autre élection. La dissolution n’est pas faite pour cela. Cela peut ouvrir une crise de régime. Cela dépend de nous. Prenons garde de ne pas perdre au passage ce que les institutions de la V République gardent de très précieux pour nous dès Mais on ne fait pas arbitrer une élection – dont on a dit en plus à l’avance qu’elle ne concernait que l’Europe – par une autre élection. La dissolution n’est pas faite pour cela. Cela peut ouvrir une crise de régime. Cela dépend de nous. Prenons garde de ne pas perdre au passage ce que les institutions de la V République gardent de très précieux pour nous dès lors que l’on en fait bon usage.

Lire : EXCLUSIF. Jean-Michel Blanquer : « Jamais l’offre politique n’a été autant en inadéquation avec la demande » (lepoint.fr)

Crédit photo : © Gregoire Elodie / BLANQUER-Gregoire Elodie/ABACA

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