A l'heure où les rapports du GIEC sont remis en cause et les débats sur l'environnement font face à des menaces et des actions de blocage, le Laboratoire de la République interroge François-Marie Bréon, président de l'Association française pour l'information scientifique pour qu'il nous donne son éclairage.
Dans cet entretien, François-Marie Bréon, président de l’Association française pour l’information scientifique, offre un éclairage expert sur les défis contemporains liés à la communication de l’information environnementale. Il aborde des sujets brûlants tels que le climatoscepticisme, les blocages des conférences sur l’environnement, et la propagation de la mésinformation.
M. Bréon partage ses réflexions sur la manière dont la société peut mieux faire face à la diffusion de fausses informations et promouvoir une compréhension fondée sur des faits scientifiques. Il met en lumière les obstacles actuels et les nouvelles dynamiques qui influent sur la perception publique des enjeux environnementaux.
Le 30 mars 2023, la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France" a rendu son rapport. Ses conclusions décryptent les raisons de ce constat. Le député Antoine Armand évoque pour la commission Défi environnemental du Laboratoire les pistes de solution pour regagner en souveraineté et favoriser sobriété et transition énergétique vertueuse.
Antoine Armand, dans le cadre des travaux de la commission "défi environnemental" du Laboratoire de la République, nous éclaire sur les décisions politiques qui ont conduit à la situation de dépendance énergétique actuelle.
Celle-ci a impliqué, l'hiver dernier, la nécessité de prendre des mesures d'urgence en matière de sobriété. Le parlementaire, en revenant sur les principales conclusions de la commission d'enquête, nous explique les grandes orientations qui permettront de retrouver notre souveraineté énergétique et d'optimiser la transition écologique.
Regarder l'entretien en entier sur notre chaîne Youtube :
https://www.youtube.com/watch?v=z4asUsyY8co
Entretien avec le député Antoine Armand, rapporteur de la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France"
Cet été 2023, 62 % des nappes phréatiques sont toujours sous leur niveau normal. De nombreux départements ont ainsi été placés en état de « crise », limitant drastiquement l’usage de l’eau par les particuliers et professionnels. Nicolas Roche, professeur en Génie des Procédés à Aix-Marseille Université et chercheur au CEREGE, nous apporte un éclairage sur ces épisodes de sécheresses.
Le Laboratoire de la République : La France ne réagit-elle pas trop tard en ce qui concerne la sécurisation de ses ressources hydriques ?
Nicolas Roche : La sécurisation des ressources hydriques n’est pas principalement liée à des mesures à court terme mais sur une vision à moyen et long terme de l’évolution des ressources et des besoins en eau tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif. Les tensions sur les usages, du fait notamment des impacts importants du changement climatique sur le cycle de l’eau, s’intensifient au fil des années, il est donc urgent de ne plus considérer l’eau comme une ressource illimitée et d’investir fortement dès à présent sur ce changement de paradigme, en 2030 il sera sûrement trop tard.
Le Laboratoire de la République : Est-elle suffisamment consciente du degré de risque encouru ces prochaines années ?
Nicolas Roche : Si l’on regarde l’augmentation des épisodes de sécheresses en France sur les 30 dernières années, il est clair que les scientifiques observent une accélération continue de l’ampleur de ces phénomènes, au même titre que la fréquence accrue des épisodes de pluies diluviennes. L’effet combiné de ces deux phénomènes diminue de fait les quantités d’eau douce disponible, dites eaux conventionnelles ou eau bleue[1]. De ce point de vue, si l’on regarde les cinq dernières années, à part pour l’année 2021, toutes les autres années ont été marquées par des arrêtés sècheresses pris dans plus de 75 % des départements français. Il est clair que l’été 2022, avec une sécheresse plus généralisée en France, a été un marqueur fort de la prise de conscience politique et de la société dans son ensemble de l’impact du CC sur le cycle de l’eau et c’est tant mieux.
Le Laboratoire de la République : Quelle est l’efficacité des restrictions mises en place par le gouvernement ? Un changement des usages permettra-t-il d’atténuer visiblement les effets des épisodes de sécheresse ?
Nicolas Roche : Dans les mesures annoncées, il est important de distinguer celles à court terme, qui reposent essentiellement sur des aspects de sobriété (diminution des prélèvements), nécessaires sur les territoires en tensions, car il n’y pas d’autres choix actuels que de mettre en place des restrictions temporelles d’usages. Par contre, il est urgent de mettre en place, dans une vision à moyen et long terme, des actions de préservation des ressources et des usages dans un contexte de raréfaction des ressources en eau. C’est une équation complexe à résoudre, où il faut absolument, à l’échelle de chaque territoire, intégrer simultanément quatre piliers, (i) la restauration et la préservation des écosystèmes (désimperméabilisassions des zones urbanisées, nature en ville, solutions fondées sur la nature, biodiversité, ...), (ii) la sobriété d’usage (réduire les consommations), (iii) l’efficacité d’usage (réduire les pertes) de l’eau ainsi que (iv) la complémentarité des usages avec, dans ce cadre, l’étude systématique, par territoire, de l’intérêt ou non et de l’ampleur nécessaire de la réutilisation des eaux usées traitées (REUT). Si les mesures annoncées dans le plan eau national, en mars dernier, sont en adéquation avec ces enjeux majeurs, il est important que leurs mises en œuvre rapides le soient aussi, pour ne surtout pas rester sur des effets d’annonces qui seraient catastrophiques pour l’avenir.
Le Laboratoire de la République : Plus particulièrement, l’approvisionnement en eau potable est crucial. Comment assurer ce dernier tandis que la pollution des eaux accroît le risque de pénurie engendré par les épisodes de sécheresse ?
L’eau est utile et nécessaire pour toutes les activités humaines, qu’elles soient liées à l’alimentation, à l’hygiène, à la production agricole, à la production énergétique et industrielle, à des besoins urbains mais aussi à des usages de confort, d’agrément ou de loisirs. Dans les régions en stress, il est donc crucial de bien hiérarchiser tous les usages et leurs intérêts, de bien quantifier tous les besoins, et de les mettre en regard des ressources dans une vision et une gestion temporelle essentielle (les problèmes ne sont pas les mêmes en hiver et en été). Il est important aussi, de ce point de vue, de se préserver de la politique du bouc émissaire, qui si elle donne une impression d’action reste souvent, sur ces problématiques complexes très limitées en termes de résultats et d’efficacité.
Le Laboratoire de la République : Quelles solutions techniques apporter pour sécuriser la disponibilité en eau douce, tout en assurant sa répartition équitable ? Un mécanisme économique, tel que la mise en place de quotas de consommation d’eau, symétrique à la mise en place d’un marché du carbone, serait-il efficace ?
Nicolas Roche : Globalement, les solutions techniques existent et ont même été la plupart du temps déjà expérimentées ailleurs sur la planète et même dans l’espace où 100 % des eaux sont en permanence recyclées. Il s’agit surtout de le mettre en œuvre sur une vision territoriale globale et partagée, et en y associant tous les acteurs, qu’ils soient politiques, tant au niveau national que local, étatiques (agences, directions territoriales, ...), industriels, citoyens, associatifs, ou encore scientifiques. Il est important aussi de revoir complètement le modèle économique des usages de l’eau afin d’y intégrer une valeur environnementale de la ressource en eau qui sera différente selon les usages, les territoires et les saisons. Le temps de la ressource gratuite[2] est sûrement un temps révolu même si pour les usages liés à l’alimentation et à l’hygiène il est important qu’elle le reste partout et pour tous. La mise en place de cette nouvelle approche nécessite donc de revoir complètement notre rapport à l’eau et la manière dont nous l’utilisons, notamment et surtout dans les zones urbaines où cette question est absolument essentielle. Cela passe notamment par une connaissance et une comptabilisation précises et continues, les plus individualisées possible, de tous les usages tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif. Il faut ensuite intégrer, à l’échelle de chaque territoire, systématiquement les quatre piliers cités précédemment (ressources, sobriété, efficacité et complémentarité) et s’approprier localement les modes de gestion de la ressource et des usages. Cela nécessite de décider rapidement et de prioriser des investissements importants avec des échéanciers, des indicateurs et des objectifs clairs. Si le temps de l’évolution de la planète reste un temps long, le temps de l’action est quant à lui très court car la réversibilité du système est tout aussi lente que son évolution.
[1] Sur un volume de précipitations, il est important de distinguer l’eau qui va alimenter les réservoirs naturels (rivières, lacs et nappes), dite eau bleue et celle qui va être utilisée directement par la nature et les végétaux, dite eau verte. En moyenne sur la planète, l’eau verte va mobiliser 62% des précipitations avec des variations saisonnières très importantes.
[2] en France on ne paye essentiellement que les services liés à l’eau sans y intégrer sa valeur
Depuis 2005, le marché européen du carbone met en pratique le système du pollueur-payeur, afin de contrôler et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce marché s’applique à environ 40% des émissions du continent via son système d’échange de quotas d’émissions (ETS « Emissions Trading System »). Christian Gollier, économiste, directeur et co-fondateur de la Toulouse School of Economics, spécialiste de l’économie de l’environnement, co-auteur des 4èmes et 5èmes rapports du GIEC, nous apporte son éclairage sur l’état actuel et les enjeux de ce marché.
Le Laboratoire de la République : Dans une économie mondiale mettant en avant la maximisation du profit, l’Europe a choisi de prendre en compte financièrement les externalités environnementales grâce à ce marché du carbone. Quelles ont été les conséquences de sa mise en place ? Sont-elles celles attendues ?
Christian Gollier : En augmentant le coût des énergies fossiles par rapport aux énergies renouvelables, ce système a effectivement permis de réduire significativement les émissions des secteurs industriels et électriques en Europe. Les secteurs non-couverts par ce système, comme le transport et le chauffage, ont au contraire vu leurs émissions croître sur la période. Néanmoins, jusqu’à récemment, le prix d’équilibre du carbone sur ce marché est resté trop bas pour rendre le charbon non-rentable. Mais aux prix actuels, le charbon n’est aujourd’hui plus rentable, et les électriciens polonais et allemands ont aujourd’hui un intérêt financier à s’en dégager.
Le Laboratoire de la République : Le prix du carbone a quadruplé depuis 2020, atteignant environ 100€ la tonne en 2023. Comment l’Europe parvient à maintenir sa compétitivité industrielle tout en prenant en compte ce prix du carbone grandissant ? Une croissance verte est-elle atteignable ?
Christian Gollier : Il est complètement évident que si l’Europe reste incapable à rétablir une juste compétition entre les producteurs européens exposés à ce prix du carbone et les producteurs étrangers qui peuvent polluer gratuitement, beaucoup des premiers devront mettre la clé sous la porte, et se feront remplacer sur les marchés par les seconds. La planète n’y gagnera rien. Rien ne sert d’être vertueux si c’est pour en mourir ! C’est pour cela que l’Union a décidé récemment de rétablir une saine concurrence vertueuse en imposant dès 2026 des ajustements carbone à ses frontières externes qui obligeront les importateurs de produits carbonés à payer le même prix du carbone que les producteurs locaux.
Le Laboratoire de la République : Un nouveau marché du carbone (ETS2) est prévu, spécifique au chauffage des bâtiments et aux carburants routiers. Un fonds social sera créé afin d’atténuer les conséquences néfastes de ce nouveau marché pesant directement sur les plus modestes. Ce fonds garantira-t-il un pouvoir d’achat suffisant aux ménages ? Des évènements tels que la crise des Gilets Jaunes ne risquent-ils pas de se reproduire ?
Christian Gollier : On peut associer lutte contre le changement climatique et lutte contre les inégalités en redistribuant une partie du revenu issu de la vente de permis d’émission aux pollueurs vers les ménages les plus modestes, de manière à ce que ces derniers soient pleinement compensés, voire sur-compensés, pour la perte de pouvoir d’achat associée au renchérissement des produits les plus carbonés, sans modifier leur incitation à décarboner leur mode de vie. C’est ce que la France n’avait pas fait avec sa taxe carbone, ce qui avait déclenché le mouvement des gilets jaunes. Mais c’est ce que l’Europe s’apprête à faire.
Le Laboratoire de la République : Plus largement, les critères extra-financiers ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) sont mis en avant de façon croissante par les entreprises. Lorsqu’il s’agit de réorienter les décisions des investisseurs dans une logique de réduction des émissions de gaz à effets de serre, ces critères ESG ont-ils un poids significatif ou sont-ils principalement un instrument de communication aux conséquences négligeables par rapport à celles du marché du carbone ?
Christian Gollier : Il est incontestable que beaucoup d’entreprises ont pris conscience de leur responsabilité environnementale. Maintenant, que peut faire un chef d’entreprise dans les secteurs où les marges ne permettent pas d’affronter la hausse des coûts des modes de production moins carbonés ? Prenons l’exemple de l’acier. Selon certaines estimations, le remplacement des hauts fourneaux utilisant le charbon pour réduire le minerai de fer par des technologies utilisant de l’hydrogène et de l’électricité verte irait jusqu’à doubler les coûts de production de cet acier. Concrètement, sans un prix du carbone ou d’autres mécanismes de soutien public, une entreprise qui adopterait cette technologie verte serait certes responsable, mais ferait rapidement faillite. Les critères ESG sont utiles pour faire évoluer les mentalités, mais il ne faut pas en attendre beaucoup. Seul l’Etat est en situation de changer les « règles du jeu » de l’économie de marchés pour aligner la myriade d’intérêts individuels avec l’intérêt général.
Beaucoup d’activistes et ONG soutiennent une stratégie climatique consistant à obliger les compagnies pétrolières et gazières à réduire leur offre de produits pétroliers aux consommateurs. Comme on l’a vu l’an dernier avec l’embargo sur les produits fossiles russes, une baisse de l’offre fait exploser les prix de l’énergie. Certes, cette hausse des prix incite à la sobriété et à une transition vers des modes de vie et de production moins carbonés. Mais cette stratégie atteint cet objectif en réduisant significativement le pouvoir d’achat, en particulier des ménages les plus modestes, tout en accroissant les profits des « majors » et la rente pétrolière empochée par leurs actionnaires. La taxe carbone a aussi cet effet très décrié d’accroître les prix pour inciter à la décarbonation, mais au lieu d’enrichir les compagnies pétrolières, elle remplit les caisses de l’Etat qui peut utiliser ce revenu fiscal pour compenser certaines catégories de ménages. Je suis effaré que ces activistes et ces ONG militent pour une telle stratégie, alors qu’une tarification du carbone la domine clairement dans toutes les dimensions environnementales et sociales.
Nous vivons une période d’intense frustration et tension sociale au sujet du changement climatique dont nous sommes individuellement et collectivement responsables. Trop d’impensés des politiques climatiques proposées continuent à prospérer. Les scientifiques des sciences sociales, en particulier les économistes, ont échoué à apporter au débat public dans ce domaine les éclairages de la science. Cet échec, tout comme le manque de courage politique et la nature peu altruiste de l’Homme, mettent en danger notre démocratie libérale tout comme notre avenir sur cette planète, alors que de nombreuses voix s’élèvent pour que nous « bifurquions » et que nous « désertions » de cette organisation du « vivre ensemble », sans offrir une alternative claire et acceptable.
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