Le Laboratoire de la République : L’assaillant, Mohammed M., a revendiqué un combat contre la République lors de l’attentat. Il aurait par exemple crié à une personne qui tentait de joindre les secours : « Appelle Marianne, appelle ta République ». Pourquoi ce combat spécifique ? A quoi s’attaque l’islamisme en ciblant l’école ?
Pierre-Henri Tavoillot : Toute l’idéologie du fondamentalisme islamiste le conduit à la contestation et à la destruction de l’école républicaine. En Afrique, ce mouvement a un nom : Boko Haram, soit littéralement « livre (book) impur » ou encore « l’éducation occidentale est un péché ». L’école est donc une cible, voire une zone de guerre, pour cette idéologie totalitaire. Voilà pourquoi des professeurs sont tués ; voilà pourquoi des étudiants et particulièrement des étudiantes sont enlevés ; voilà pourquoi des établissements scolaires sont brûlés. Voilà aussi pourquoi on note soudain, dans le courant de l’année 2021, une arrivée massive du port des abayas et des qamis. Elle est téléguidée par des influenceurs sur les réseaux sociaux, qui fournissent aux jeunes élèves les éléments de langage que l’on retrouvera partout en France. Au nom de la liberté de s’habiller pudiquement, on n’hésite pas à exhiber son appartenance religieuse : la pudeur corporelle prétexte à l’impudeur et à la pression spirituelle.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que le fondamentalisme ne prône pas une religion au sens occidental et moderne du terme car nous nous sommes habitués à considérer que la religion, c’est beaucoup de foi et un peu de pratique. Pour le fondamentalisme, la religion régit et dicte tout, du matin au soir, du berceau à la tombe dans tous les domaines de l’existence privé, public et civil. Il est donc normal que l’école, lieu de construction de la personne, soit visée, car il s’agit bien de conquérir les jeunes esprits et de les protéger des impuretés et des mensonges.
Le Laboratoire de la République : Mardi 17 octobre, Gabriel Attal a haussé le ton à l’Assemblée nationale. « Le pas de vague, c’est fini », a-t-il promis, à la fin d’une prise de parole pour évoquer les 179 élèves qui ont perturbé la minute de silence d’hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard. A quelles conditions cette promesse peut-elle être tenue ?
Pierre-Henri Tavoillot : Une seule condition : il faut être ferme contre tout espèce de comportement « manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse ». Le texte de la loi de 2004 est — c’est assez rare pour le noter à propos d’une loi — bref, clair et net. Je suis ébahi que l’on ait eu, à propos des abayas et qamis, exactement les mêmes controverses (heureusement en moins développées) qu’en 2004 à propos du voile. Or cette loi a été particulièrement efficace ; il faut donc l’appliquer. La difficulté est que notre école républicaine est affaiblie de l’intérieur par une forme de mauvaise conscience structurelle. C’est là, où l’ennemi fondamentaliste rencontre un précieux allié : l’hyperinvidualisme woke. Celui-ci dit aux élèves : « Venez comme vous êtes, vos identités sont remarquables ; n’en changez surtout pas. Nous autres adultes, coupables par nature, avons trop peur de vous discriminer pour pouvoir encore vous éduquer. Nous autres adultes avons trop de doutes sur nos savoirs pour espérer vous instruire. Nous autres adultes avons trop honte de notre histoire pour oser vous la transmettre ». Et voici l’autre message qu’il adresse à la jeunesse : « la France d’aujourd’hui est patriarcale, raciste, néocoloniale, indifférente au sort de la planète, inégalitaire, islamophobe, homophobe, transphobe, anti-jeune et oublieuse des vieux, inhospitalière, discriminatoire, immorale, égoïste, rance…» On pourrait sans peine continuer la liste (où l’antisémitisme est « étrangement » absent) de cette auto-détestation qui dépasse de très loin les limites d’une légitime autocritique. Car il ne s’agit pas non plus de s’adorer sans réserve ; mais à force de se haïr, on en vient à se détruire. Aucune école, nulle transmission n’ont de sens dès lors qu’une culture commence à avoir honte d’elle-même.
Le Laboratoire de la République : Mohammed M. résidait en France depuis l’âge de 5 ans et était fiché S. Cet attentat a donné lieu à une polémique sur les modalités d’expulsion du territoire des ressortissants étrangers. Les questions soulevées sont-elles selon vous légitimes ?
Pierre-Henri Tavoillot : C’est une évidence et même une exigence démocratique : un peuple doit pouvoir être maître de son destin. L’Etat de droit doit certes protéger les droits des individus, mais sans mettre en péril la collectivité. Pourtant la gestion de l’immigration n’est pas seule en cause, puisqu’à côté des flux, il y a, si je puis dire, le stock ; c’est-à-dire une part notable de la population française qui n’accepte pas le cadre de la laïcité et qui, pour une autre part, plus réduite, mais non négligeable, aspire à le détruire. Le défi est donc immense.
Le Laboratoire de la République : Cet attentat intervient dans un contexte marqué par l’attaque terroriste du Hamas en Israël et sa résurgence dans le débat politique national. La période est-elle révélatrice de nos fragilités ?
Pierre-Henri Tavoillot : La montée des actes antisémites, les prises de position irresponsables de trop nombreux courants et organisations qui continuent de qualifier le Hamas de « mouvement de résistance » et non d’organisation terroriste, totalitaire et génocidaire, … tout cela en effet est très inquiétant. La République aujourd’hui doit faire face non seulement à des ennemis redoutables, mais à tous ceux qui, en son sein, que ce soit par déni, par peur ou par cynisme, n’hésitent pas à leur faciliter la tâche.