Fin janvier 2024, les tractations à Paris entre les services de renseignements israéliens, américains, qataris et égyptiens ont permis de négocier les termes d’une possible trêve des combats ainsi que la libération d’otages israéliens détenus par le Hamas et le Jihad islamique. Le choix de Paris dans le cadre de cette nouvelle phase de négociations est à saluer, bien que le retour de l’Europe dans les négociations de paix, entre Israéliens et Palestiniens, demeure timide et limité à la médiation avec le Hezbollah. Alors que la France s’apprête à accueillir, dans les prochains jours, l’émir du Qatar en visite officielle, nous analysons ici le positionnement diplomatique des décideurs européens ainsi que leurs discours politiques depuis le massacre du 7 octobre 2023.
GUERRE ISRAEL-HAMAS: RETOUR DE L’EUROPE DES DEUX BLOCS
Face à la guerre Israël-Hamas à Gaza, les dirigeants européens ont d’abord condamné le massacre et les crimes commis contre les civils israéliens, avant d’emboîter le pas de la diplomatie onusienne en appelant au cessez-le-feu humanitaire et à la reprise des négociations diplomatiques. La division même de l’Europe en deux blocs est apparue comme indéniable dès le 10 octobre dernier à l’Assemblée générale des Nations Unies, lors de l’adoption en session d’urgence d’une résolution jordanienne en matière de protection des civils et de respect des obligations juridiques et humanitaires à Gaza : en phase de négociation, certains pays européens ont vivement critiqué l’absence de formulation concernant le massacre d’Israéliens et la nécessité de libérer tous les otages israéliens détenus par le Hamas.
Vote des Européens à la résolution onusienne appelant à une « trêve humanitaire » immédiate et durable (27/10/2023)
Yasmina Asrarguis
Défendue publiquement par l’Iran, cette résolution fut votée par une large majorité d’États membres de l’ONU, avec 120 voix en faveur de la résolution, 14 contre et 45 abstentions. Au sein de l’Union Européenne, huit pays votèrent en sa faveur : l’Espagne, le Portugal, Malte, la Belgique, le Luxembourg, l’Irlande, la Slovénie, et la France, contre quatre pays qui s’y opposèrent : l’Autriche, la République Tchèque, la Croatie, et la Hongrie. Enfin, quinze pays européens ont fait le choix de l’abstention : la Bulgarie, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Suède, et la Slovaquie. Pour rappel, ce vote intervient quelques jours après que le Conseil de sécurité ait échoué, en quatre sessions, à parvenir à un quelconque accord et consensus sur la situation au Moyen-Orient.
Le grand fossé qui sépare l’Europe de l’Ouest de l’Europe de l’Est témoigne des frontières idéologiques qui prévalent au sein de l’Union européenne : le positionnement diplomatique en matière de paix au Moyen-Orient n’échappe pas aux facteurs endogènes que sont l’histoire nationale, la démographie et les alliances avec les grandes puissances. Ces éléments structurels ont façonné les relations des États membres de l’UE avec les Israéliens et les Palestiniens, mais aussi leur volonté de s’engager ou de se désengager de la région en temps de guerre.
GUERRE DU SOUCCOT : ANALYSE DES PRISES DE PAROLES POLITIQUES
a. La France, premier pays d’Europe, à s’exprimer sur le conflit
Entre le 6 octobre 2023 et le 24 janvier 2024, nous avons analysé un total de 1284 publications sur la plateforme sociale X, postées par les principaux décideurs européens dont Charles Michel, Emmanuel Macron, Josep Borrell, Olaf Scholz, Roberta Metsola et Ursula Von der Leyen. Au cours de nos recherches, nous avons constaté des différences fondamentales dans la manière dont les dirigeants européens s’expriment sur ce dossier, à commencer par le nombre de publications qu’ils ont consacré à la guerre en Israël-Palestine.
Depuis le 7-Octobre, près d’un quart (22 %) des expressions publiques des leaders européens mentionnent le conflit en Israël-Palestine, à l’exception des publications de Roberta Metsola qui ne mentionne nullement le « conflit ». En revanche, environ un tiers (31 %) des publications de Josep Borrell mentionnent le conflit israélo-palestinien ou les parties belligérantes, suivi par Olaf Scholz (28 %), Emmanuel Macron (26 %), Ursula Von der Leyen (19 %) et Charles Michel (14 %). Josep Borrell a, du fait de sa fonction, publié le plus grand nombre de tweets sur le conflit en chiffres absolus (96 au cours de la période observée), ce qui représente un tiers de toutes les publications faites par les dirigeants de l’UE. Il est suivi par Emmanuel Macron (71 publications), Olaf Scholz (50), Ursula Von der Leyen (47) et Charles Michel (24).
Nous avons ensuite segmenté les publications et analysé le contenu de ces expressions publiques, qui dans leur grande majorité tente à réaffirmer les objectifs de court-terme des dirigeants européens : désescalade, respect du droit humanitaire, protection des civils, et libération des otages.
Expressions politiques des européens sur le conflit Israël-Hamas, en nombre de publications Twitter (6 octobre 2023 au 24 janvier 2024)
Yasmina Asrarguis
b. Evolution de l’expression politique avec la guerre
Dans les premières semaines qui ont suivi l’attaque terroriste du Hamas dans les kibboutzim et au festival Tribe of Nova, les dirigeants européens se sont empressés de condamner publiquement les massacres et de les qualifier d’actes terroristes, réclamant par ailleurs la libération des otages israéliens. Six semaines après le 7 -Octobre, les leaders européens ont cessé de mentionner explicitement la barbarie et le terrorisme du Hamas, tout en réclamant la libération des otages israéliens. Au premier jour de l’opération Déluge d’al-Aqsa, riposte israélienne à Gaza, les Européens ont subitement changé de discours politique en insistant dorénavant sur l’importance de la protection des civils et de la mise en place de couloirs humanitaires. À mesure que le conflit évolue depuis novembre 2023, nous constatons que les décideurs européens persévèrent dans leur appel commun à la désescalade, tout en insistant sur l’importance du solution politique à deux États.
Yasmina Asrarguis
A ce jour, la crise humanitaire reste l’enjeu principal de prise de parole européenne et la question de la résolution politique du conflit n’a véritablement gagné du terrain que six semaines après le début des hostilités sans que cela ne fasse l’objet d’une grande vision ou stratégie pour la paix. Comme en témoigne le graphique ci-dessous, la chute drastique du nombre de publications sur la guerre Israël-Hamas à partir de décembre 2023 (semaine 8) témoigne d’un progressif retrait ou travail à la marge des décideurs européens. Il est à noter qu’il n’y a eu aucun déplacement majeur de leader Européen en Israel-Palestine en 2024, à la différence du secrétaire d’Etat américain en visite officiel à Jérusalem le 7 février dernier.
Armer la diplomatie européenne d’ambition
L’UE doit statuer sur le niveau d’incitation économique et politique qu’elle souhaite mettre sur la table afin de décourager l’escalade en Israël-Palestine. Les dirigeants de l’UE ont publiquement déclaré qu’ils étaient prêts à soutenir toute forme de processus de paix conduisant à une solution à des deux États. Cette position de facilitateur doit maintenant être renforcée par une initiative pragmatique ou des pourparlers secrets qui ouvriraient la voie à une conférence de paix plus large. Alors que la guerre Israël-Hamas fait rage, l’Europe peut contribuer à un effort de stabilisation grâce à trois principaux leviers d’action. Premièrement, les États membres de l’UE doivent investir en capital politique auprès des acteurs régionaux de confiance, et dont la capacité de médiation et de stabilisation est avérée. Deuxièmement, les dirigeants de l’UE se doivent d’être plus visibles, proactifs et présents sur le terrain lors des sommets et forums régionaux au cours desquels la paix au Moyen-Orient est débattue. Enfin, l’aversion de l’Europe à la guerre au Proche-Orient doit être mise au service d’une nouvelle ambition diplomatique et stratégique permettant de relancer le dialogue politique entre Jérusalem et Ramallah, mais également de positionner l’Europe sur le plan régional.