L’équilibre des territoires est un enjeu majeur pour renforcer l’unité et la cohésion nationale en France. À travers un dialogue riche et éclairant, Benjamin Morel, maître de conférences en droit public, secrétaire général de l’association, responsable de la commission République indivisible et Vincent Chauvet, maire d’Autun, confrontent leurs perspectives. Ensemble, ils explorent les défis rencontrés par les petites villes et les zones rurales.
Benjamin Morel, maître de conférences en droit public, secrétaire général de l'association, et responsable de la commission "République indivisible", dialogue avec Vincent Chauvet, maire d’Autun, une sous-préfecture de 13 000 habitants située en Saône-et-Loire.
Leur échange porte sur le thème de l'équilibre des territoires en France, un enjeu clé pour garantir l'unité et la cohésion nationale. Ils abordent les défis spécifiques auxquels font face les petites villes et les zones rurales.
Avec des perspectives complémentaires, Benjamin Morel met en lumière les enjeux juridiques et politiques liés à l’organisation territoriale, tandis que Vincent Chauvet partage son expérience concrète de terrain en tant que maire d’Autun. Ensemble, ils proposent des pistes de réflexion pour construire une République plus équilibrée.
https://youtu.be/E5ouzI_oNPc
Seize constitutionnalistes de renom*, dont Pierre Mazeaud, Jean-Louis Debré, Jean-Michel Blanquer, Jean-Éric Schoettl et Anne-Marie Le Pourhiet, dénoncent les révisions constitutionnelles incessantes, qui trahissent, selon eux, les principes de la Ve République. Ils plaident pour un référendum concernant le projet constitutionnel de révision relatif au statut de la Corse.
Les seize constitutionnalistes plaident pour un référendum concernant l’autonomie de la Corse. PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP
Dans son discours prononcé le 4 octobre 2023 au Conseil constitutionnel pour le 65e anniversaire de la Ve République, le président Macron reconnaissait solennellement que «veiller au respect de la Constitution, comme c'est la charge du chef de l'État aux termes de son article5, c'est aussi être scrupuleusement fidèle à son esprit». Il faisait alors l'éloge d'un régime «qui combine la liberté et l'autorité, l'ordre et le pluralisme, la démocratie et l'unité dans un mélange heureux, français, républicain » sous l'empire d'une Constitution qui est «la traduction politique de l'esprit public français». Il constatait que notre loi fondamentale est tout à la fois un régime et un projet exprimés dans son article 1er, lequel contient tous les maillons de notre chaîne républicaine et les quatre piliers de l'idéal des Lumières : «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.» Il concluait son apologie d'une «nation si politique» et d'un «pays bâti par la volonté autour d'une langue et d'un État, où l'unité est un combat à toujours recommencer » par la phrase définitive : «Je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt de la France, ni dans la cohérence de son histoire de changer de République». C'est précisément au nom de ces principes d'unité, de laïcité et d'égalité devant la loi que fut discutée et adoptée en 2021 la loi confortant le respect des principes de la République dite « loi séparatisme » qui se proposait de lutter contre le communautarisme.
Mais les Français sont désormais habitués à ce que lorsque l'exécutif abandonne apparemment le « en même temps » , il revienne aussitôt au galop. En l'espace de quelques mois, nous avons vu fleurir les projets de révision constitutionnelle destinés à contourner et à écarter les principes énoncés à l'article 1er de la Constitution. Celui-ci ajoute en effet aux quatre piliers énoncés le méta-principe : «La France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion», l'article 2 affirmant quant à lui que «la langue de la République est le français». Ici réside l'essentiel du modèle républicain hérité de la Révolution qui consacre la répudiation des discriminations fondées sur les appartenances communautaires et fut inscrit de façon magistrale dans la première Constitution française : «Il n'y a plus pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception au droit commun de tous les Français.»
Outre le projet de pérenniser les privilèges autochtones en Nouvelle-Calédonie en portant définitivement atteinte au suffrage universel sur le Caillou, et celui de réformer l'application du code de la nationalité pour le seul territoire de Mayotte (conduisant à ce que les conditions d'accès à la nationalité française ne soient pas les mêmes selon la partie du territoire où l'on est né), le président de la République s'apprête à porter un troisième coup (et non le moindre) aux principes dont il faisait l'éloge en octobre.
Le projet de révision constitutionnelle relatif au statut de la Corse propose en effet d'accorder à ce territoire un nouveau statut dérogatoire et un pouvoir législatif local fondés sur son «insularité méditerranéenne et sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre ». C'est renier les principes fondamentaux des articles 1er, 2 et 3 de la Constitution et déchirer le contrat social des Français. En outre, dès lors que les statuts territoriaux dérogatoires sont ainsi accordés sur des critères purement subjectifs fondés sur le « ressenti » identitaire de nature ethnique invoqué par les élus, on ne voit pas, en effet, pourquoi les mêmes privilèges ne seraient pas étendus à la Bretagne, à l'Alsace, au Pays basque et à toutes les collectivités dont les élus prétendent se prévaloir d'une « identité forte ». Et comment cette notion de communauté, désormais constitutionnalisée, n'inspirerait-elle pas d'autres revendications communautaristes, ethniques ou religieuses ?
Le Conseil constitutionnel avait, en 1991, censuré, au nom de l'indivisibilité de la République, une loi prévoyant que «la République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques». Robert Badinter, que le président de la République se propose aujourd'hui de panthéoniser, disait alors que c'était la décision du Conseil dont il était le plus fier. C'est pourtant cette fidèle application des principes républicains qui, selon la jurisprudence constante, «s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance», qu'il s'agit de contourner par une révision de notre pacte fondamental.
Il n'est pas imaginable que cette remise en cause du coeur de l'identité constitutionnelle française, ne soit pas soumise au référendum constituant. Il appartient, en effet, à la nation tout entière de consentir, si elle le souhaite, à son démantèlement.
En outre, la loi constitutionnelle de 2003 sur l'organisation décentralisée de la République a aussi prévu la possibilité expresse de consulter les électeurs d'une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier lorsqu'il est envisagé de modifier celui-ci. Consultés à ce titre, les électeurs corses avaient refusé, en 2003, le changement de statut qui leur était proposé, avant que la loi du 7 août 2015 ne vienne contourner délibérément leur vote en leur imposant la réforme dont ils n'avaient pas voulu. À l'heure où l'on célèbre partout le « consentement » , il serait tout de même indispensable de demander d'abord aux Français s'ils acceptent de renoncer à leurs principes constitutionnels fondateurs et, le cas échéant, d'interroger ensuite les Corses sur un projet de statut qui les voue à l'assignation communautaire, au repli identitaire et à l'omerta imposés par certains de leurs féodaux.
Le 4 octobre dernier, le président Macron citait Charles Péguy dans son discours au Conseil constitutionnel : «Une révolution n'est pas une opération par laquelle on se contredit.» La contradiction semble pourtant en permanence à l'ordre du jour de l'exécutif.
* Les signataires : Pierre Avril, professeur émérite à l'université Panthéon-Assas ; Marie-Françoise Bechtel, ancienne vice-présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale ; Jean-Michel Blanquer, professeur à l'université Panthéon Assas, président du Laboratoire de la République ; Jean-Pierre Camby, professeur associé à l'université de Versailles Saint-Quentin ; Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel et de l'Assemblée nationale ; Renaud Denoix de Saint Marc, ancien vice-président du Conseil d'État et membre du Conseil constitutionnel ; Alexis Fourmont, maître de conférences à l'université Paris 1 ; Yves Gaudemet, membre de l'Académie des sciences morales et politiques ; Anne-Marie Le Pourhiet, professeur émérite à l'université de Rennes ; Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel et de la commission des lois de l'Assemblée nationale ; Benjamin Morel, maître de conférences à l'université Panthéon-Assas ; Olivier Pluen, maîtrede conférences à l'université Paris Saclay ; André Roux, professeur émérite à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence ; Jacques de Saint Victor, professeur à l'université Sorbonne Paris Nord ; Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel ; Pierre Steinmetz, ancien membre du Conseil constitutionnel.
Retrouvez l'article : Corse: «Un tel démantèlement de la nation française devrait être soumis à référendum» (lefigaro.fr)
Sur lefigaro.fr, retrouvez l'appel du Président du Laboratoire de la République, Jean-Michel Blanquer, contre le risque de fragmentation de la République. Cet appel souligne l'importance cruciale de préserver l'unité nationale et de renforcer les valeurs de la République notamment celle de son indivisibilité.
Photo : Ludovic Marin/AFP
Le Laboratoire de la République, fondé par l’ancien ministre de l’Éducation nationale, organisait le 13 décembre à Paris une conférence sur « La République indivisible face aux risques de fragmentation »...
Lire l'article sur le site lefigaro.fr
A l'occasion de la sortie de son roman : "Un journal sous influence", Jean-Philippe Moinet, journaliste, fondateur de l'Observatoire de l'extrémisme et fondateur-directeur de la Revue civique, prône la réactivation des vigilances républicaines face aux complotismes et aux extrémismes.
Le Laboratoire de la République : Votre roman est une plongée, assez mouvementée, dans le monde politique et médiatique, à travers un personnage principal, Myriam, grand reporter politique. Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Jean-Philippe Moinet : Je l’ai d’abord écrit par plaisir, celui qu’offre l’écriture romanesque, qui est une vraie évasion pour l’auteur que je suis et, je l’espère, pour les futurs lecteurs et lectrices. Ensuite, il me tenait particulièrement à cœur de dépeindre de cette manière le « merveilleux » monde politique et médiatique français, que je connais bien et côtoie depuis plus de trente ans, univers particulier avec ses passions (humaines), ses grandeurs (de convictions) et ses (gros) travers aussi. La liberté qu’offre le roman débouche naturellement sur des personnages et des tranches de vie qui relèvent de la totale fiction. Mais certains personnages, comme « Z le xénophobe » et quelques autres se reconnaîtront. Je décris aussi quelques coulisses par exemple de l’Elysée, d’une rédaction d’un grand quotidien national et de certains plateaux TV aussi. Le roman permet de mettre en scène des personnages, des épisodes et des tendances de notre vie publique, il permet aussi de mettre en perspective certaines problématiques, présentes dans notre espace démocratique.
Le Laboratoire de la République : Quelles problématiques actuelles avez-vous voulu mettre en perspective ?
Jean-Philippe Moinet : Il y en a plusieurs, comme l’éthique journalistique, la probité en politique ou la xénophobie, cette peste – pour reprendre le mot camusien – qui a tendance à dangereusement se propager dans l’espace public. J’avais amorcé l’écriture de ce livre il y a plus de dix ans, à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, Président auprès duquel sévissait un ex-lepéniste (proche de Jean-Marie Le Pen), Patrick Buisson, mu en « sondologue » très influent, au point où le chef de l’Etat d’alors l’avait intronisé à l’Elysée et parlé de lui comme de son « hémisphère droit » ! C’est le même homme qui, depuis 25 ans, militait pour une acception très particulière, racialiste, de « l’identité nationale » française. J’ai donc amorcé l’écriture de ce roman à cette époque, puis j’ai mis mon manuscrit de côté pendant des années. Je l’ai repris en 2022, finalisé en janvier 2023. Et j’avoue que je n’imaginais pas que ma fiction serait à ce point rattrapé, l’été dernier, par l’actualité ! La crise du JDD en particulier a marqué, à mes yeux, une bascule historique, grave et inquiétante. Ce titre, depuis 75 ans, était lu et apprécié le dimanche à la fois par des lecteurs de droite, de gauche et d’autres qui ne s’inscrivent pas dans un quelconque camp politique. La direction de ce titre a été confiée à une personne, Geoffroy Lejeune, licenciée en 2023 de la direction de la rédaction d’un hebdomadaire déjà classé à l’extrême droite pour avoir opéré une dérive idéologique allant à l’extrême droite de l’extrême droite ! Et il est venu, en août dernier, prendre la direction de ce grand journal, entouré notamment d’une proche collaboratrice elle-même passée par le journal « Présent », qui est dans le noyau le plus dur de l’extrême droite, à tendance raciste, antisémite et révisionniste. Du jamais vu depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en France.
Cela dit évidemment quelque chose d’inquiétant concernant les dérives de notre paysage politique et médiatique. Où l’on voit par exemple un Eric Zemmour, utiliser des thèses complotistes – celle du « grand remplacement » par exemple - sans le moindre scrupule, alors que ces thèses insensées étaient, il y a quelques années encore, cantonnées aux marges de notre vie publique. Le même polémiste xénophobe professionnel et ses amis (où l’on retrouve Geoffroy Lejeune) – polémiste que je décris précisément dans mon livre – osant aussi prétendre que le régime collaborationniste de Pétain « a sauvé les juifs » de France, ceci contre les plus grands travaux d’historiens et contre tous les témoignages des rescapés des camps de la mort et de leurs familles, documentés par exemple au Mémorial de la Shoah.
Nous assistons actuellement à des basculements de notre mémoire collective et de la conscience historique, dont il faut fortement se méfier. Parce que ce sont les mêmes qui trahissent les réalités historiques, qui en viennent à nier les réalités d’aujourd’hui, qu’il s’agisse des actuels crimes de guerre de Poutine en Ukraine ou des réalités sociales ou sociétales, totalement caricaturées, par exemple en ce qui concerne les migrations, qui n’ont rien à voir avec une quelconque « invasion », contrairement à ce que prétend bruyamment la propagande déversée par l’extrême droite sur les réseaux sociaux mais aussi sur certaines grandes ondes et maintenant dans certains journaux grands publics. Mon livre évoque ces enjeux devenus très (et trop) actuels. Une manière, par le roman, de s’en prémunir.
Le Laboratoire de la République : Mais le roman est-il une bonne manière de traiter ces sujets importants ?
Jean-Philippe Moinet : Je pense, au stade d’expériences que j’ai pu accumuler par exemple en matière d’écriture journalistique, qu’il n’y a pas de mauvaises manières ou de mauvais registres pour traiter des sujets, y compris les plus sérieux ou les plus importants. Ce roman évoque d’ailleurs bien d’autres choses, bien plus légères, des histoires d’amours, des traits d’humour, une intrigue totalement fictive autour d’une affaire politico-financière de dimension internationale qui secoue au plus haut niveau de l’Etat, et dans laquelle interfèrent des services de renseignements pouvant être instrumentalisés. L’évasion romanesque est un beau transport de l’esprit humain, je m’y suis attelé avec plaisir certain et un certain goût, qui ne fait sans doute que commencer pour moi. Et oui, je pense que pour aiguiser une vigilance républicaine, dont notre époque a grand besoin, oui, le roman peut aussi faire partie des bons moyens pour transmettre à la fois les fruits d’une expérience et des messages utiles pour l’avenir.
Son entretien à voir sur notre chaîne Youtube :
https://youtu.be/lc8WweBRgwU
Entretien avec J.P. Moinet : Réactiver les vigilances républicaines
Thierry Froment est ancien magistrat du parquet et juge d’instruction, ancien Co-directeur de l’Institut de Sciences Criminelles de Montpellier, membre de l’ARPC (Association de recherche en politique criminelle de Montpellier) et responsable de la sécurité ainsi que de la politique de la ville d’une grande station balnéaires du sud de la France. Aujourd’hui consultant spécialisé notamment en politique pénale, co-construction de diagnostics et de projets de contrats locaux de prévention de la délinquance et de sécurité, il évoque pour le Laboratoire de la République, la situation judiciaire des émeutes résultant de la mort de Nahel, 17 ans, à Nanterre.
Le Laboratoire de la République : A la suite du décès de Nahel le 27 juin 2023 à Nanterre et des troubles graves qui en ont résulté, le Garde des Sceaux a émis une circulaire prescrivant une « réponse pénale ferme », privilégiant notamment le défèremment. Ce souci de démonstration d’autorité est-il pertinent ou excessivement corrélé à l’actualité ?
Thierry Froment : Les émeutes qui ont suivi le décès du jeune Nahel ont été en quelque sorte un amplificateur des difficultés, parfois des malentendus que connaît notre police républicaine. D’abord parce que la police est devenue trop souvent l’instrument d'une stratégie politique de certains pour toucher un pouvoir à qui on veut l'assimiler. On se plaît à la dire alors inféodée, raciste, violente et tout passer sous cette lunette déformante pour contester l’autorité du gouvernement. Mais aussi, cette affirmation récurrente des policiers devenue adage populaire : « on les attrape et ils sont remis en liberté avant que l’on soit rentré au commissariat », traduit, plus qu’une incompréhension des décisions judiciaires, une forme d’impuissance à traiter une délinquance jeune, complexe et redondante.
La circulaire du Garde des Sceaux du 30 juin dernier a eu l’effet bénéfique de mobiliser les parquets sur l’objectif d’une réponse judiciaire immédiate en rappelant les moyens de procédure à disposition : comparution immédiate pour les majeurs, présentation immédiate pour les mineurs facilitée par la réforme récente du Code de Justice Pénale des mineurs, mise en jeu de la responsabilité civile voire pénale des parents et l’interopérabilité entre les parquets pour prêter main forte aux juridictions les plus saturées.
Donner une capacité de réponse judiciaire rapide aux délits constatés, exige des services de police des procédures de flagrance de très bonne qualité, argumentées en termes de preuve des faits constatés et de respect des droits. C’est une réelle difficulté dans un contexte de comportements violents et de délinquance de foule. Sur ce point, l’expérience, tant sur le fait générateur de ces événements que sur la gestion même des émeutes, plaide pour une généralisation de l’usage des caméras piéton conformément aux dispositions de l’article L242-1 du Code de la Sécurité Intérieure.
Enfin une réponse judiciaire rapide demande en contrepartie une capacité à diligenter en urgence des enquêtes sociales et des enquêtes de personnalité de qualité, ce qui a été rendu possible par les récentes réformes et notamment la loi du 26 février 2021 facilitant les mesures d’enquête éducative pour les mineurs.
Réagir vite, oui, mais en gardant la pleine maîtrise de l’individualité de la peine, principe majeur de notre droit pénal. La circulaire du Garde des Sceaux a donc eu l’effet mobilisateur, rassurant et qualitatif recherché, sans être dans la réaction mais en privilégiant l’efficacité, la lisibilité et la cohérence de l’action publique.
Le Laboratoire de la République : Quelle est, selon vous, la place de la réponse judiciaire face à un problème largement sociétal témoignant d’une défiance démocratique ?
Thierry Froment : La réponse judiciaire est essentielle à la vitalité de notre démocratie. D’abord parce qu’elle est indépendante du pouvoir exécutif et qu’elle est rendue en notre nom à tous, au nom du peuple français. Parce qu’elle est le verbe et l’autorité de la Loi qui protège, sanctionne et apaise. Mais aussi parce qu’elle est l’autorité qui prend le temps d’écouter, de comprendre et de décider.
Elle est aussi l’autorité capable de pardonner avec un arsenal de mesures qui vont de la dispense d’inscription au casier judiciaire, jusqu’à l’exemption de peine. Sur ce point, j’ai la conviction que notre justice doit s’adapter à l’évolution de la société et disposer de plus d’outils de « pardon judiciaire » en facilitant et raccourcissant les procédures de désinscription du casier judiciaire ou en prononçant des peines automatiquement effaçable au terme d’un délai sans récidive. Il faut parfois pouvoir casser cette fatalité de l’engrenage dans la délinquance par un casier judiciaire qui désigne et marque définitivement des jeunes au sceau de l’infamie, sans permettre réellement une nouvelle chance.
En exigeant de la Justice une plus grande sévérité, ne doit-on pas aussi permettre d’équilibrer la réponse par une faculté de pardonner et ramener ainsi plus de citoyens au cœur de notre contrat social républicain.
A côté de cela, il est urgent de créer un vrai réseau d'agents en capacité de réaliser en temps réel des enquêtes de personnalité également pour les majeurs, des agents assermentés avec l’autorité de représentants de l'État, qui soient des antennes dans des quartiers pour repérer, suivre et intervenir auprès des jeunes comme des majeurs. Des personnes de référence aussi pour faciliter les relations avec les administrations et les autorités et qui concilient les deux missions essentielles et parfois concurrentes : celle de la « prévention-intégration » incarnée par les éducateurs de rue, et celle de la « médiation-sécurité » représentée par les médiateurs sociaux. Des référents avec l’autorité suffisante pour ne pas avoir la complaisance des anciens « grands frères » ni la suspicion répressive prêtée dans les quartiers à la police de proximité.
Cette Justice moderne avance avec un budget enfin à la hauteur des enjeux de société et des mesures qui commencent à porter leur fruits en matière de délais, d’accessibilité et de simplification des procédures.
Le Laboratoire de la République : Dans ce contexte impliquant deux policiers, l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) a été saisie. Composé d’une grande majorité d’officiers ou de commissaires, cet organe devrait-il évoluer sur le même modèle que celui du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) étant constitué majoritairement de personnalités extérieures ?
Thierry Froment : CSM et IGPN ou IGGN (Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale) ne peuvent être placés sous le même plan. Le Conseil Supérieur de la Magistrature est un organe constitutionnel, chargé de garantir l’indépendance de la Magistrature (Article 65 de la Constitution du 4 octobre 1958). C’est pour éviter toute pression sur les juges qu’il est à la fois instance disciplinaire et gestionnaire objectif de la carrière des magistrats. Il n’est pas un service d’enquêtes judiciaires. L’IGPN au contraire est un service d’enquêtes disciplinaires et judiciaires sous l’autorité du ministère de l’intérieur dans le premier cas, et de la Justice dans le second. Les enjeux et les missions ne sont donc pas les mêmes.
Certains Pays européens ouvrent davantage ce service spécialisé à des personnalités qui ne sont pas des fonctionnaires de police, mais aucune statistique ne permet de dire que cela aurait une influence quelconque sur le nombre de procédures impliquant des policiers, révélées ou conduites à leur terme.
Permettre un contrôle et un regard extérieur plus complet sur l’IGPN peut être débattu, ce n’est pas un sujet tabou, la défenseure des Droits ayant déjà un regard sur les difficultés dont elle peut être saisie par les justiciables dans ce domaine.
L'attaque au couteau à Annecy perpétrée par un réfugié a généré de nombreux débats sur le droit d'asile. Michel Aubouin, préfet honoraire, auteur de « Le Défi d’être français » aux éditions de La Cité, revient sur la question du droit d'asile. Alors que le projet de loi "asile et immigration" sera débattu prochainement au Parlement, quelle est l'organisation de la demande d'asile et quelles sont les défaillances ?
La tentative d’assassinat perpétrée par un réfugié sur des enfants dans un parc d’Annecy a engendré de multiples réactions sur le thème du droit d’asile. L’horrible fait-divers et les commentaires qu’il a générés avaient pourtant peu de relations. L’individu appréhendé bénéficiait en effet d’un statut de réfugié obtenu en Suède qui l’autorisait à se déplacer librement dans l’espace Schengen. Si une défaillance est à relever, elle concerne au premier chef les institutions françaises en charge de la protection des populations, dès lors que son installation dans un parc public, au vu et au su de tous, aurait dû enclencher une enquête de police qui aurait permis de vérifier qu’il avait dépassé le temps au-delà duquel il ne pouvait demeurer en France, et, en liaison avec la Suède, de mesurer son état de dangerosité, qui aurait sans doute mérité un placement d’office en soins psychiatriques (s’il est avéré que son épouse avait signalé son cas).
Le prétexte du débat était infondé, mais le débat lui-même mérite d’être ouvert. Le droit d’asile, en effet, ne manque pas de susciter des interrogations légitimes. Son essence honore les pays démocratiques, mais son application en Europe est d’une rationalité très relative. En France, le droit d’asile a été formulé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et, depuis cette date, notre pays a accueilli de nombreux opposants politiques, des militants menacés dans leur pays, des familles juives chassées de l’empire Austro-hongrois ou les rescapés arméniens des massacres perpétrés par la Turquie. A ce principe initial, qualifié de constitutionnel, s’est ajouté un autre principe, introduit par la Convention de Genève de 1951, approuvé par la France. Si l’on voulait prolonger cet élan de générosité, il est assez évident que nous devrions organiser, aujourd’hui, la protection des femmes menacées de mort en Iran pour refuser le port du voile ou celle des opposants russes au régime du président Poutine. Ce n’est pas ainsi que les choses se passe, car l’essentiel des demandes d’asile sont formulées par des personnes qui ont réussi à s’embarquer pour une traversée périlleuse de la Méditerranée, payée au prix fort à des groupes mafieux sans scrupule.
L’organisation de la demande d’asile est elle-même assez étonnante. Elle devrait en toute logique être formulée dans le pays d’origine, auprès de nos postes consulaires ou de bureaux créés à cet effet. A tout le moins, elle devrait être déposée lors de l’arrivée sur le sol français. Mais, en France, elle relève d’un guichet administratif dédié. La démarche est si compliquée qu’elle a généré une intense activité d’avocats spécialisés. L’OFPRA, qui peine à gérer ces flux, dispose d’une première grille de lecture qui distingue les pays sûrs des pays à risque. A priori, le ressortissant d’un pays sûr (la Suisse, par exemple) ne peut demander l’asile en France. L’établissement de cette liste constitue ainsi la colonne de notre droit d’asile. Chaque pays, en la matière, dispose de son appréciation, fondée sur les relations qu’il entretient avec les pays tiers. En bonne logique, l’établissement de la liste devrait relever de la compétence du Premier ministre, sur proposition du Quai d’Orsay. En fait, elle relève du conseil d’administration de l’Office où la majorité des sièges est occupée par des collègues du ministère de l’intérieur, aucun d’entre eux n’ayant de compétence quant aux sujets traités. L’asile est ainsi considéré comme l’une des branches de la politique publique de lutte contre l’immigration et la direction qui en est chargée relève du ministère de l’intérieur. Cette situation est d’autant plus paradoxale qu’en vingt ans, depuis que ce ministère s’en occupe, le pourcentage des demandeurs d’asile bénéficiant du statut de réfugié à été multiplié par deux, passant de 20 à 40%.
Lorsque le demandeur a été débouté devant l’OFPRA, il a la possibilité de faire appel devant la Commission nationale du droit d’asile, présidée par un membre du Conseil d’Etat. Il est évident les membres de cette instance de recours n’ont guère plus de compétence pour comprendre la situation interne au Burkina-Faso ou au Vénézuela que les officiers de protection de l’Ofpra. En 2022, 137 000 étrangers ont formulé une demande d’asile. Les quatre premières nationalités ont concerné l’Afghanistan, le Bangladesh, la Turquie et la Géorgie. Les Afghans sont pour l’essentiel des jeunes migrants qui n’ont pas réussi à passer en Grande-Bretagne. Leur rôle exact dans la résistance aux talibans est sans doute difficile à apprécier. Les femmes sont absentes de ce groupe. Les motivations des ressortissants du Bangladesh sont sans doute de nature économique. Les ressortissants turcs sont essentiellement des Kurdes. Quant aux Géorgiens, ils arrivent par l’aéroport de Beauvais d’un pays qui tente de se rapprocher de l’Europe. Aucun de ces pays n’appartient à l’espace francophone.
Lorsque la décision est négative, la question posée à l’administration est celle de la suite à donner. En bonne logique, l’étranger entré clandestinement en France et débouté du droit d’asile doit retourner dans son pays d’origine. Il est évident qu’il n’existe aucun moyen de coercition permettant de reconduire leurs ressortissants en Afghanistan ou au Bangladesh. Les 82 000 déboutés de l’année 2022 vont ainsi s’agréger, pour la plupart, au volume des étrangers vivant en France de manière irrégulière, attendant les cinq années mentionnées dans la circulaire signée par Manuel Valls pour obtenir, en 2027, la régularisation de leur situation. La politique de l’asile aura ainsi manqué sa cible et les procédures mises en oeuvre auront fait de cette politique essentielle un prolongement des politiques d’immigration. L’Europe, face à ce phénomène, n’intervient qu’à la marge. Elle assigne au premier pays d’installation l’obligation de recueillir la demande d’asile. En confondant l’asile et la gestion de l’immigration irrégulière, elle a confié ce rôle à l’Italie et à la Grèce. La situation est intenable, mais comment amener les demandeurs d’asile à se répartir entre des pays qui n’appliquent pas tous les mêmes règles et ne présentent pas les mêmes opportunités économiques ?
Il convient de réfléchir à la manière de mieux faire coïncider notre politique étrangère avec notre politique de l’asile, pour rendre à la France son aura de nation militante des droits de l’homme.
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