Rubrique : République sociale

L’art et la culture, cœur battant de l’universalisme

par Rachel Khan le 24 janvier 2022 photo de visiteurs devant la Victoire de Samothrace, au Louvre
« L’origine d’un écrivain, c’est la bibliothèque » disait il y a peu Dany Laferrière. C’est précisément pour cela que l’artiste est un « sujet » pour les ennemis de la République et de l’humanisme, explique Rachel Khan dans cet éloge des artistes au cœur de la cité.
« L’origine d’un écrivain, c’est la bibliothèque » disait il y a peu Dany Laferrière. C’est précisément pour cela que l’artiste est un « sujet » pour les ennemis de la République et de l’humanisme.  « Ils sont les législateurs de l’ombre » Il ne faut jamais oublier que les régimes totalitaires sont ceux qui réussissent à terroriser dans toutes les sphères de la vie, jusqu’à l’imaginaire. Ainsi, ils tuent la communication par les mots, par les sens et tuent le sens même de la politique, dont l’incessante conquête de la liberté est le principe fondamental. Les racistes autant que la nouvelle vague - qui se dit antiraciste - enferment l’artiste.   Pourtant, créer en liberté n’est pas un déni mais au contraire la traduction de l’inconsolable, de l’intraduisible en dépassant les identités carcérales. En donnant naissance à une nouvelle matière, la création est l’alliée de la réparation. Les artistes prédisent, influent sur les avancées, font bouger les lignes, permettent d’anticiper bien avant que les parlements ne se positionnent et préparent le terrain de la conscience. Gouvernants de l’imaginaire, dirigeants de l’indicible, ils sont les législateurs de l’ombre.  La création est une souffrance et prend un temps qui ne correspond pas à la vie d’un hashtag. Elle prend les douleurs de l’Histoire comme matière première. Elle les domine pour les enjamber. Cette volonté de réparation, présente dans toutes les disciplines artistiques, les rend poreuses entre elles. La réparation offre une cohésion du champ artistique et culturel, autant qu’un sentiment d’appartenance à notre patrimoine universel d’interrogations.  L’artiste est « embarqué » malgré lui Certaines esthétiques ont été essentielles pour la lutte contre les violences, contre les inégalités. Le hip-hop témoigne depuis les années 80 d’une liberté, d’une volonté d’égalité, d’une profondeur poétique qui se place bien au-dessus des tentatives de censure et de castration. C’est grâce au hip-hop que des talents représentants toute la France ont émergé. C’est grâce à lui que la lumière a été faite sur certains territoires, que la culture gay a fait son entrée dans les cités via le voguing notamment, c’est grâce à lui que des jeunes filles prennent confiance en elles pour créer et s’émanciper. Le hip-hop est un art de liberté, inféodé à aucun dogme. Il se bat avec des valeurs de loyauté et de dépassement de soi, sans victimisation. Sans le conscientiser, c’est bien l’universalisme que la création défend.  L’artiste ne peut plus être seulement engagé, il est « embarqué » comme le disait Camus, devant des notions de citoyenneté et de laïcité qui se confrontent aux replis, aux mépris, à la haine en ligne. « Créer aujourd’hui, c’est créer dangereusement ...Toute publication et acte expose aux passions d’un siècle qui ne pardonne rien […] La question […] est seulement de savoir comment, parmi les polices de tant d’idéologies, l’étrange liberté de la création reste possible. » Il faut protéger nos artistes !  La peinture, l’écriture, la musique sont des partages qui rapiècent le monde par mille chemins singuliers et autant de nuances d’un cœur vers d’autres. Les extrêmes des deux bords ne sont pas des éveillés, ils sont un cauchemar de l’imaginaire, de la création et s’organisent pour menacer la République et la démocratie. Or, grâce à ses fondamentaux, la France est le dernier bastion de résistance face aux extrêmes. Nous sommes regardés à travers le monde ! L’artiste œuvre toujours vers des chemins de traverse. Pour cela, il a comme outil, au-delà de l’encre et de ses pinceaux, la Déclaration de 1789, préambule de notre Constitution. Romain Gary, Dibango, Gainsbourg, Glissant, Rabelais, de Balzac, de Camus, d’Hannah Arendt, Senghor, Brassens sont des signatures à l’identité infinie. Loin de la déconstruction, la liberté de leurs mots est créatrice de nous-mêmes. Il faut protéger nos artistes, petits poucets qui savent retrouver le chemin de notre République.  Soutenir la création par la défense des idées  Le monde n’est pas humain pour avoir été créé par des femmes et des hommes, il devient humain par les mots et créations, qui permettent le dialogue, nécessaire à l’universalisme et à la démocratie. Si les soutiens publics à la création ne sont pas exigeants sur nos fondamentaux, les artistes vont disparaître pour laisser place aux influenceurs (de haine). On parle beaucoup de bataille culturelle, celle-ci implique d’être aux côtés des artistes et des lieux qui doivent rester ouverts et citoyens. Toute bataille culturelle met les artistes au centre, puisque tout théâtre est un hémicycle. 

École ouverte, le dernier ouvrage de Jean-Michel Blanquer

par L'équipe du Lab' le 10 octobre 2021 photo de pile de livres
Dans cet ouvrage, Jean-Michel rappelle l’importance d’avoir maintenu les écoles ouvertes et défini une nouvelle alliance du monde avec l’école. « Je fais et ferai tout pour que cette épidémie ait eu au moins ce mérite : nous obliger à retrouver le sens de l’École. Il y a encore dix-huit mois, avant que le virus ne barre le chemin des salles de classe aux enfants, l'effet de l'habitude avait comme dilué ce sens. La fermeture des écoles, à l'échelle de la France comme à celle du monde, a constitué un point de bascule historique. Dans cette situation incertaine s'est joué le choix entre une École vue comme notre institution fondamentale ou comme la variable d'ajustement de nos peurs. C'est pourquoi, dans ce livre comme dans la vie, je l'écrirai avec une majuscule en tant que référence centrale de notre existence collective. » En savoir plus : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Connaissance/Ecole-ouverte

Besoin d’école

par L'équipe du Lab' le 25 juin 2021 photo d'enfants allant à l'école
Depuis plusieurs années, l’école de la République souffre de sa difficulté à réduire les inégalités scolaires, qui sont à la fois la cause et la conséquence d’inégalités sociales.
Il faudrait ainsi démontrer le lien logique existant entre, d’une part, les 20 % des élèves qui ne maîtrisent les rudiments de la lecture et du calcul à la fin de l’école primaire, et d’autre part, les 20 % de nos jeunes au chômage, chiffre, dont on ignore s’il sera à la hausse ou à la baisse à la fin de l’année 2021. Des études menées des deux côtés de l’Atlantique ont montré que la stimulation cognitive précoce entre 0 et 5 ans contribue à la réussite scolaire et au-delà au niveau d’études voire à l’insertion professionnelle. C’est particulièrement significatif pour les enfants issus des familles défavorisées. Betty Hart et Todd Risley, en 2004, ont montré qu’un enfant issu d’un milieu social défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant issu d’un milieu favorisé. Un jeune enfant, en fonction de son milieu social et culturel, peut donc accumuler des retards linguistiques considérables avant ses 6 ans, difficilement rattrapables ensuite, quoique jamais un seul enfant ou adulte ne soit pour toujours condamné. Il est ainsi indispensable d’agir le plus tôt possible sur ces inégalités. Parce qu’elle constitue la prérogative évidente de la famille, l’éducation des enfants avant qu’ils n’entrent à l’école ne peut faire l’objet d’une politique uniforme de l’État. Le premier des leviers sur lequel l’État peut agir est donc l’école primaire. A cet égard, l’abaissement de l’instruction obligatoire à 3 ans, qui reconnaît par là-même l’importance considérable de la maternelle pour la scolarité d’un enfant, a constitué un progrès social inédit depuis les lois de Jules Ferry, et le projet de loi pour la défense des principes républicains, en encadrant mieux l’instruction en famille, doit être lu comme le prolongement de cette volonté d’agir plus tôt sur les inégalités sociales. Notre République s’est construite avec son école, ce qui explique l’importance toute particulière que les Français lui accorde. Le lien très fort qui existe entre notre conception française de la citoyenneté est en effet indissociable d’une vision de l’école comme creuset de notre contrat social. Les 60 000 écoles françaises sont perçues comme autant de petites républiques, où l’on apprend la vie en commun, où l’on se frotte à d’autres que soi-même. Et c’est dans cette relation aux autres, à une autre figure d’autorité que ses parents – le professeur - , et à des alter ego – les autres élèves -, que l’enfant prépare sa propre émancipation. Autrement dit, il y a une filiation naturelle entre les thèses rousseauiste et tocquevillienne, qui nous montrent que c’est dans le lien avec les autres que l’on acquiert sa propre liberté, et la définition de l’école de la République telle que nous l’entendons dans notre pays. Si l’on raisonne a contrario, le confinement de 2020 nous a montré les effets dévastateurs d’une privation d’école. Le niveau général a baissé, et les écarts entre élèves se sont creusés. Il aura fallu plusieurs mois ensuite aux professeurs, face à leurs élèves, en classe, pour rattraper les retards constatés. Bien sûr, certains élèves, issus de milieux favorisés, ont parfois progressé. Mais ils sont une minorité si on les compare au nombre considérable d’élèves complètement démobilisés, réduisant de jour en jour leur temps de travail comme peau de chagrin. On se rappelle les parents désemparés, jonglant avec leurs exigences professionnelles et l’accompagnement de leurs enfants, épuisés de fatigue après avoir achevé à minuit une journée de travail débutée à 7h. La crise aura eu du moins cette vertu : rappeler à chacun le rôle des professeurs. « C’est là que j’ai compris que professeur était un vrai métier » a-t-on entendu, avec sidération. Avant la déflagration de la crise sanitaire, comment avions-nous pu arriver à en douter ?

Pour rester informé
inscrivez-vous à la newsletter

S'inscrire