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L’année 2024 en questions : Défis Multiples, Perspectives Inédites

par Gérard Mermet le 22 janvier 2024
En 2024, le monde fait face à une période de profonde incertitude, marquée par des changements démographiques et géopolitiques significatifs. Les démocraties, autrefois majoritaires, sont désormais en minorité, tandis que des zones de conflit à travers le globe soulèvent des questions cruciales sur l'avenir. Les élections à venir aux États-Unis, en Russie et dans l'Union européenne, ainsi que d'autres défis tels que le changement climatique, les fractures sociales et les avancées technologiques, suscitent des inquiétudes mondiales. Gérard Mermet, Président et fondateur du cabinet de conseil et d’études Francoscopie, dresse les incertitudes de l'année.
Les vœux que nous recevons (et formulons) en début de chaque nouvelle année se suivent et se ressemblent. Bien que généreux et sincères, ils restent le plus souvent « pieux » (même dans une société laïque !) et ne se réalisent pas. Ceux de 2024 traduisent des inquiétudes particulièrement fortes dans les démocraties, désormais minoritaires en nombre et en population. Les incertitudes sont en effet nombreuses : Les guerres en Ukraine et au Proche-Orient. Jusqu’à quand ? Avec quelles armes (le tabou ultime du nucléaire sera-t-il levé ?). Avec quelles conséquences pour les protagonistes et pour un Occident de plus en plus menacé ? D'autres affrontements sont en cours ailleurs : Syrie, Yémen, Éthiopie, Afghanistan, Haïti, Somalie, Soudan, Myanmar... Qu’adviendra-t-il de chacun d’eux ? Des élections à fort enjeu pour les populations concernées, mais aussi parfois pour le reste du monde. Ce sera le cas en particulier aux États-Unis (novembre), en Russie (avril) et au sein de l’Union européenne (en juin pour les 27 pays membres) et, individuellement en Autriche, en Finlande, en Lituanie, au Portugal et au Royaume-Uni. D’autres élections auront également lieu. Par ordre alphabétique : Bélarus, Croatie, Inde, Indonésie, Iran, Taïwan. Au total, plus de la moitié des habitants de la planète seront concernés. Mais parmi eux, combien iront voter ? Combien pourront le faire en toute liberté ? Les catastrophes climatiques probables : inondations, séismes, raz de marée, incendies, canicules, etc. Elles fourniront des images spectaculaires aux journaux télévisés et à internet. Les spectateurs compatiront pour les victimes et craindront d'être touchés à leur tour. Cela alimentera-t-il le pessimisme ambiant ou renforcera-t-il le désir d’agir ? Les fractures sociales (nombreuses dans les démocraties comme la nôtre) : sentiment de déclin ; peur du déclassement ; défiance généralisée ; affaissement des liens sociaux ; faillite du modèle républicain ; polarisation des opinions ; légitimation de la violence... Seront-elles réduites ou aggravées ? L’impact des nouvelles technologies (intelligence artificielle, robots, neurotechs, biotechs…) sur les modes de vie. Les craintes qu’elles font naître occulteront sans doute encore les opportunités qu’elles recèlent. Diminueront-elles notre capacité à les utiliser pour le bien commun ? Les attitudes des populations face à l’avenir. Ainsi, les Français vont-ils confirmer leur préférence pour le confort et le court terme, ou consentir à l’effort (individuel et collectif) nécessaire pour relever les grands défis actuels ?  L’évolution des idéologies délétères : populisme, communautarisme, négationnisme, séparatisme, obscurantisme, racisme, antisémitisme, wokisme… L’irrationalité et l’immoralité vont-elles se généraliser en matière économique, environnementale, sociale, politique ou culturelle ?  L’accroissement du nombre de régimes « illibéraux » et la prolifération des « vérités alternatives », deux néologismes inventés pour remplacer « dictatures » et « mensonges ». Ces menaces réveilleront-elles les démocraties ? Les risques d'actes terroristes, qui entretiennent la panique et la paranoïa dans les sociétés fragiles. Ils se produiront à la fois dans le monde réel et le monde virtuel, désormais indissociables dans nos vies. Les J.O. de Paris constituent évidemment une cible privilégiée. Permettront-ils de restaurer l’image de la France dans le monde ou la dégraderont-ils encore ? La montée des « incivilités » confirmera-t-elle la « décivilisation »et l’abandon de la « morale » dont elles témoignent ? Cette liste n’est pas exhaustive. Je pourrais y ajouter encore d’autres risques et « cygnes noirs » probables ou possibles, mais imprévisibles quant à leur date d'occurrence. Ces menaces sont d’autant plus grandes qu’elles sont intercorrélées. Heureusement, les cygnes noirs sont beaucoup moins nombreux que les blancs. D’autres « signes » (l’homonymie est intéressante…) permettent aussi d’espérer. Par exemple, la chance que nous avons d’exister (la probabilité était au départ extrêmement faible) et de vivre en France (malgré tout…). Il reste que nos démocraties sont aujourd’hui mentalement démunies et matériellement affaiblies. Sauront-elles faire preuve du réalisme, de la responsabilité, de l'autorité, du courage, de l'unité et de la créativité nécessaires pour sortir de l’impasse dans laquelle elles se trouvent ? Pas sûr. Mais qui peut vraiment prédire ce qui se passera au cours de cette année ? À défaut de pouvoir le faire de façon scientifique, nous pouvons avoir des convictions argumentées, des intuitions spontanées… ou faire des paris. Mais l’exercice est particulièrement difficile à un moment où le futur peut bifurquer dans de nombreuses directions, et démentir les meilleurs experts. Certains d’entre eux vont d’ailleurs obligatoirement se tromper puisqu’ils ne sont pas tous d’accord (à moins qu’ils se trompent tous !). D’autres se vanteront d’avoir eu raison, alors qu’ils auront eu surtout de la chance. Reconnaissons en tout cas que les planètes ne sont pas alignées et que la nôtre ne se porte pas au mieux… Aussi, pour bien vivre cette nouvelle année, je suggère de ne pas écouter les pessimistes, déclinistes, défaitistes ou « collapsologues », qui annoncent le pire. D’abord, parce que l’histoire (y compris récente) nous enseigne qu’il n'est jamais certain. Mais, surtout, parce que ces attitudes engendrent le désespoir, l'immobilisme, le fatalisme. Ou, plus grave encore, l'indifférence. Et donc le déclin. Pour nous rassurer, nous pouvons adhérer à la prophétie de Victor Hugo : « Nos plus belles années sont celles que nous n'avons pas encore vécues ». Une attitude à la fois positive et poétique, mais probablement fausse car nous idéalisons davantage le passé que le futur. Alors, tournons-nous plutôt vers Gaston Berger, fondateur en France de la prospective, qui rappelait tout simplement que « L’avenir n’est pas à découvrir, il est à inventer ».  C’est en effet à chacun de nous d’agir sur les événements que nous redoutons, afin qu’ils n’adviennent pas. Chacune des menaces qui pèsent sur le monde (et notre pays) est une occasion de le rendre meilleur.

La transmission de l’information scientifique face à sa dégradation et au climatoscepticisme

par François-Marie Bréon le 15 novembre 2023
A l'heure où les rapports du GIEC sont remis en cause et les débats sur l'environnement font face à des menaces et des actions de blocage, le Laboratoire de la République interroge François-Marie Bréon, président de l'Association française pour l'information scientifique pour qu'il nous donne son éclairage.
Dans cet entretien, François-Marie Bréon, président de l'Association française pour l'information scientifique, offre un éclairage expert sur les défis contemporains liés à la communication de l'information environnementale. Il aborde des sujets brûlants tels que le climatoscepticisme, les blocages des conférences sur l'environnement, et la propagation de la mésinformation. M. Bréon partage ses réflexions sur la manière dont la société peut mieux faire face à la diffusion de fausses informations et promouvoir une compréhension fondée sur des faits scientifiques. Il met en lumière les obstacles actuels et les nouvelles dynamiques qui influent sur la perception publique des enjeux environnementaux. https://youtu.be/GyLGfoawEqc

Marché européen du carbone : comment « changer les règles du jeu » économique dans l’intérêt général ?

par Christian Gollier le 15 juin 2023
Depuis 2005, le marché européen du carbone met en pratique le système du pollueur-payeur, afin de contrôler et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce marché s’applique à environ 40% des émissions du continent via son système d’échange de quotas d’émissions (ETS « Emissions Trading System »). Christian Gollier, économiste, directeur et co-fondateur de la Toulouse School of Economics, spécialiste de l’économie de l’environnement, co-auteur des 4èmes et 5èmes rapports du GIEC, nous apporte son éclairage sur l’état actuel et les enjeux de ce marché.
Le Laboratoire de la République : Dans une économie mondiale mettant en avant la maximisation du profit, l’Europe a choisi de prendre en compte financièrement les externalités environnementales grâce à ce marché du carbone. Quelles ont été les conséquences de sa mise en place ? Sont-elles celles attendues ? Christian Gollier : En augmentant le coût des énergies fossiles par rapport aux énergies renouvelables, ce système a effectivement permis de réduire significativement les émissions des secteurs industriels et électriques en Europe. Les secteurs non-couverts par ce système, comme le transport et le chauffage, ont au contraire vu leurs émissions croître sur la période. Néanmoins, jusqu’à récemment, le prix d’équilibre du carbone sur ce marché est resté trop bas pour rendre le charbon non-rentable. Mais aux prix actuels, le charbon n’est aujourd’hui plus rentable, et les électriciens polonais et allemands ont aujourd’hui un intérêt financier à s’en dégager. Le Laboratoire de la République : Le prix du carbone a quadruplé depuis 2020, atteignant environ 100€ la tonne en 2023. Comment l’Europe parvient à maintenir sa compétitivité industrielle tout en prenant en compte ce prix du carbone grandissant ? Une croissance verte est-elle atteignable ? Christian Gollier : Il est complètement évident que si l’Europe reste incapable à rétablir une juste compétition entre les producteurs européens exposés à ce prix du carbone et les producteurs étrangers qui peuvent polluer gratuitement, beaucoup des premiers devront mettre la clé sous la porte, et se feront remplacer sur les marchés par les seconds. La planète n’y gagnera rien. Rien ne sert d’être vertueux si c’est pour en mourir ! C’est pour cela que l’Union a décidé récemment de rétablir une saine concurrence vertueuse en imposant dès 2026 des ajustements carbone à ses frontières externes qui obligeront les importateurs de produits carbonés à payer le même prix du carbone que les producteurs locaux. Le Laboratoire de la République : Un nouveau marché du carbone (ETS2) est prévu, spécifique au chauffage des bâtiments et aux carburants routiers. Un fonds social sera créé afin d’atténuer les conséquences néfastes de ce nouveau marché pesant directement sur les plus modestes. Ce fonds garantira-t-il un pouvoir d’achat suffisant aux ménages ? Des évènements tels que la crise des Gilets Jaunes ne risquent-ils pas de se reproduire ? Christian Gollier : On peut associer lutte contre le changement climatique et lutte contre les inégalités en redistribuant une partie du revenu issu de la vente de permis d’émission aux pollueurs vers les ménages les plus modestes, de manière à ce que ces derniers soient pleinement compensés, voire sur-compensés, pour la perte de pouvoir d’achat associée au renchérissement des produits les plus carbonés, sans modifier leur incitation à décarboner leur mode de vie. C’est ce que la France n’avait pas fait avec sa taxe carbone, ce qui avait déclenché le mouvement des gilets jaunes. Mais c’est ce que l’Europe s’apprête à faire. Le Laboratoire de la République : Plus largement, les critères extra-financiers ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) sont mis en avant de façon croissante par les entreprises. Lorsqu’il s’agit de réorienter les décisions des investisseurs dans une logique de réduction des émissions de gaz à effets de serre, ces critères ESG ont-ils un poids significatif ou sont-ils principalement un instrument de communication aux conséquences négligeables par rapport à celles du marché du carbone ? Christian Gollier : Il est incontestable que beaucoup d’entreprises ont pris conscience de leur responsabilité environnementale. Maintenant, que peut faire un chef d’entreprise dans les secteurs où les marges ne permettent pas d’affronter la hausse des coûts des modes de production moins carbonés ? Prenons l’exemple de l’acier. Selon certaines estimations, le remplacement des hauts fourneaux utilisant le charbon pour réduire le minerai de fer par des technologies utilisant de l’hydrogène et de l’électricité verte irait jusqu’à doubler les coûts de production de cet acier. Concrètement, sans un prix du carbone ou d’autres mécanismes de soutien public, une entreprise qui adopterait cette technologie verte serait certes responsable, mais ferait rapidement faillite. Les critères ESG sont utiles pour faire évoluer les mentalités, mais il ne faut pas en attendre beaucoup. Seul l’Etat est en situation de changer les « règles du jeu » de l’économie de marchés pour aligner la myriade d’intérêts individuels avec l’intérêt général. Beaucoup d’activistes et ONG soutiennent une stratégie climatique consistant à obliger les compagnies pétrolières et gazières à réduire leur offre de produits pétroliers aux consommateurs. Comme on l’a vu l’an dernier avec l’embargo sur les produits fossiles russes, une baisse de l’offre fait exploser les prix de l’énergie. Certes, cette hausse des prix incite à la sobriété et à une transition vers des modes de vie et de production moins carbonés. Mais cette stratégie atteint cet objectif en réduisant significativement le pouvoir d’achat, en particulier des ménages les plus modestes, tout en accroissant les profits des « majors » et la rente pétrolière empochée par leurs actionnaires. La taxe carbone a aussi cet effet très décrié d’accroître les prix pour inciter à la décarbonation, mais au lieu d’enrichir les compagnies pétrolières, elle remplit les caisses de l’Etat qui peut utiliser ce revenu fiscal pour compenser certaines catégories de ménages. Je suis effaré que ces activistes et ces ONG militent pour une telle stratégie, alors qu’une tarification du carbone la domine clairement dans toutes les dimensions environnementales et sociales. Nous vivons une période d’intense frustration et tension sociale au sujet du changement climatique dont nous sommes individuellement et collectivement responsables. Trop d’impensés des politiques climatiques proposées continuent à prospérer. Les scientifiques des sciences sociales, en particulier les économistes, ont échoué à apporter au débat public dans ce domaine les éclairages de la science. Cet échec, tout comme le manque de courage politique et la nature peu altruiste de l’Homme, mettent en danger notre démocratie libérale tout comme notre avenir sur cette planète, alors que de nombreuses voix s’élèvent pour que nous « bifurquions » et que nous « désertions » de cette organisation du « vivre ensemble », sans offrir une alternative claire et acceptable.

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