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GUERRE D’ALGERIE : COMMENT PANSER L’HISTOIRE PAR L’ECOLE ?

par Yannick Clavé le 26 janvier 2022 photo de livre
"La mémoire, ce passé conjugué au présent" écrivait François Chalais. Par sa complexité historique et l'importance des logiques mémorielles, la guerre d'Algérie illustre les défis auxquels l'école et la République font face, selon Yannick Clavé.
Comment enseigner la guerre d’Algérie aujourd’hui ? Le sujet est-il trop présent ou trop absent dans les programmes scolaires ? Yannick Clavé : Contrairement à une idée reçue, la guerre d’Algérie est présente depuis déjà plusieurs décennies dans les programmes du secondaire. Aujourd’hui, tous les élèves en ont entendu parler : elle est enseignée en 3e, en Terminale générale (dans le tronc commun et dans la spécialité géopolitique) et en Terminale technologique. L’enjeu de cet enseignement apparaît d’autant plus important que la guerre d’Algérie fait partie de ces questions socialement vives, qui portent en elles une intense charge émotionnelle pour beaucoup d’élèves.  La question n’est pas tant quantitative – trop ou pas assez – que, surtout, la manière dont elle est abordée. La guerre d’Algérie a eu trop tendance à être évoquée uniquement sous l’angle de l’histoire de France (les IVe et Ve Républiques) et de la décolonisation. C’est ce qui a empêché de l’appréhender dans une complexité plus globale, en particulier celle de la longue durée des relations entre la France et l’Algérie dès 1830 voire avant. D’ailleurs, l’expression même de « guerre d’Algérie » que nous continuons à utiliser par commodité montre que nous nous inscrivons dans un point de vue résolument français, alors que les historiens ont désormais plutôt tendance à parler de « guerre d’indépendance algérienne ». C’est aussi pour eux une manière de mieux souligner que l’enjeu de cette lutte armée était d’abord et avant tout politique. Cette expression ne figure certes pas encore dans les programmes, mais leurs rédacteurs ont fait des efforts ces dernières années pour mieux prendre en compte les acquis les plus récents de la recherche historique. Que signifie réconcilier les mémoires ? Yannick Clavé : Réconcilier les mémoires ne signifie pas entrer dans la logique mémorielle de tel ou tel groupe pour répondre à ses revendications, mais exige de regarder l’Histoire en face et de ne plus laisser aucun sujet sous le tapis. Pour les historiens, rien n’est tabou et tout peut faire l’objet d’un travail scientifique sérieux et le plus objectif possible.  Le rôle du politique est aussi important, car par ses gestes et ses paroles il peut contribuer à apporter un apaisement social, indispensable pour permettre aux historiens de travailler en toute sérénité. Le Président Chirac avait été le premier à prendre des décisions importantes, inaugurant par exemple un Mémorial en 2002 aux morts pour la France en Afrique du Nord puis en reconnaissant officiellement l’année suivante le rôle joué par les harkis. C’est aussi le sens à donner aux décisions prises récemment par le Président Macron, par exemple lorsqu’il a reconnu, en 2018, la responsabilité de l’État et celle de l’armée française dans l’assassinat de Maurice Audin ; ou lorsqu’il a honoré le 17 octobre 2021 la mémoire des victimes du 17 octobre 1961. Bien entendu, tout ne peut pas se régler en quelques années : il faudra sans doute encore beaucoup de temps. C’est cette « politique des petits pas » qu’appelle de ses vœux Benjamin Stora dans son rapport remis en 2020. D’autant plus que le travail mémoriel n’en est pas du tout au même stade des deux côtés de la Méditerranée : en Algérie, malgré des historiens courageux et talentueux, le pouvoir politique continue à entretenir une confusion entre l’histoire et la mémoire, voire à instrumentaliser une « rente mémorielle » qui n’a guère évolué depuis les années 1960.  Comment sortir du « symptôme de hantise » mémorielle (Paul Ricoeur) ? Yannick Clavé : La recherche historienne sur la guerre d’Algérie est aujourd’hui très dynamique. Le rapport Stora et d’autres publications montrent le chemin qu’il reste à parcourir, même si beaucoup a déjà été fait. Des initiatives intéressantes ont vu le jour, ainsi des collaborations entre historiens français et algériens, convaincus qu’il est possible d’en finir avec ce passé franco-algérien empoisonné pour construire, au contraire, une histoire partagée des deux côtés de la Méditerranée. D’autres initiatives ont permis de replacer la guerre d’Algérie dans la longue durée des relations franco-algériennes depuis le début du XIXe siècle, permettant ainsi, justement, de ne pas réduire ces relations à ce seul conflit armé.  Dans les classes, le rôle du professeur est essentiel. Non seulement il faut continuer à former les enseignants, mais il faut les inciter à aborder la guerre d’Algérie de manière incarnée, pour susciter l’intérêt des élèves et les faire réfléchir, d’autant plus lorsque ces derniers se revendiquent d’une mémoire particulière et peuvent se montrer virulents dans leurs propos. Le recours à la diversité des témoignages des anciens combattants (appelés, rappelés, engagés), des combattants ou descendants du FLN, des harkis et de leurs descendants, mais aussi des pieds-noirs, permet de confronter les élèves à la complexité de la réalité historique, loin des simplifications mémorielles et des instrumentalisations idéologiques. Tout ceci peut s’articuler avec un travail autour de la pédagogie de projet, permettant d’impliquer les élèves tout en maintenant un haut niveau d’exigences dans la transmission des connaissances et l’apprentissage de l’esprit critique. 

Lettre ouverte « L’école pour la liberté, contre l’obscurantisme »

par L'équipe du Lab' le 4 novembre 2021 photos d'enfants à l'école
Les ministres de l’Éducation français et québécois dénoncent la culture de l’annulation (cancel culture) dans une lettre ouverte.
Le ministre de l’Éducation du Québec, Jean-François Roberge, et le ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports de la France, Jean-Michel Blanquer, s’associent contre la culture de l’annulation qu’ils jugent « à mille lieues des valeurs de respect et de tolérance sur lesquelles se fondent nos démocraties ». En effet, pour les deux ministres, « cette mouvance constitue un terreau fertile pour tous les extrêmes qui menacent la cohésion de nos sociétés. […] Sans contrepoids à l’influence pernicieuse de la culture de l’intolérance et de l’effacement, les valeurs démocratiques — liberté d’expression, égalité, laïcité — qui nous unissent risquent inévitablement de s’affaiblir. » Ces deux ministres s’engagent ensemble, car pour eux « ce phénomène frappe autant la France que le Québec », et concerne leur sujet commun, l’école, qu’ils voient comme un « rempart primordial contre l’ignorance et l’obscurantisme ». Ils comptent notamment organiser « une rencontre de jeunes pour débattre de ces questions aux côtés d’intellectuels » qui rassemblerait les deux pays. Vous pouvez lire le texte en entier ici : https://www.lelaboratoiredelarepublique.fr/publications/lecole-pour-la-liberte-contre-lobscurantisme/ Et découvrez quelques réactions de la presse canadienne : La Presse :https://www.lapresse.ca/actualites/education/2021-10-21/quebec-et-paris-s-allient-contre-la-culture-de-l-annulation.php Journal de Québec :https://www.journaldequebec.com/2021/10/21/jean-francois-roberge-sallie-au-ministre-anti-woke-demmanuel-macron Radio-Canada :https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1833421/quebec-woke-france-legault-macron-blanquer-roberge-tintin-livres? Le Devoir :https://www.ledevoir.com/societe/641979/jean-francois-roberge-et-jean-michel-blanquer-signent-une-lettre-contre-la-culture-de-l-annulation

Besoin d’école

par L'équipe du Lab' le 25 juin 2021 photo d'enfants allant à l'école
Depuis plusieurs années, l’école de la République souffre de sa difficulté à réduire les inégalités scolaires, qui sont à la fois la cause et la conséquence d’inégalités sociales.
Il faudrait ainsi démontrer le lien logique existant entre, d’une part, les 20 % des élèves qui ne maîtrisent les rudiments de la lecture et du calcul à la fin de l’école primaire, et d’autre part, les 20 % de nos jeunes au chômage, chiffre, dont on ignore s’il sera à la hausse ou à la baisse à la fin de l’année 2021. Des études menées des deux côtés de l’Atlantique ont montré que la stimulation cognitive précoce entre 0 et 5 ans contribue à la réussite scolaire et au-delà au niveau d’études voire à l’insertion professionnelle. C’est particulièrement significatif pour les enfants issus des familles défavorisées. Betty Hart et Todd Risley, en 2004, ont montré qu’un enfant issu d’un milieu social défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant issu d’un milieu favorisé. Un jeune enfant, en fonction de son milieu social et culturel, peut donc accumuler des retards linguistiques considérables avant ses 6 ans, difficilement rattrapables ensuite, quoique jamais un seul enfant ou adulte ne soit pour toujours condamné. Il est ainsi indispensable d’agir le plus tôt possible sur ces inégalités. Parce qu’elle constitue la prérogative évidente de la famille, l’éducation des enfants avant qu’ils n’entrent à l’école ne peut faire l’objet d’une politique uniforme de l’État. Le premier des leviers sur lequel l’État peut agir est donc l’école primaire. A cet égard, l’abaissement de l’instruction obligatoire à 3 ans, qui reconnaît par là-même l’importance considérable de la maternelle pour la scolarité d’un enfant, a constitué un progrès social inédit depuis les lois de Jules Ferry, et le projet de loi pour la défense des principes républicains, en encadrant mieux l’instruction en famille, doit être lu comme le prolongement de cette volonté d’agir plus tôt sur les inégalités sociales. Notre République s’est construite avec son école, ce qui explique l’importance toute particulière que les Français lui accorde. Le lien très fort qui existe entre notre conception française de la citoyenneté est en effet indissociable d’une vision de l’école comme creuset de notre contrat social. Les 60 000 écoles françaises sont perçues comme autant de petites républiques, où l’on apprend la vie en commun, où l’on se frotte à d’autres que soi-même. Et c’est dans cette relation aux autres, à une autre figure d’autorité que ses parents – le professeur - , et à des alter ego – les autres élèves -, que l’enfant prépare sa propre émancipation. Autrement dit, il y a une filiation naturelle entre les thèses rousseauiste et tocquevillienne, qui nous montrent que c’est dans le lien avec les autres que l’on acquiert sa propre liberté, et la définition de l’école de la République telle que nous l’entendons dans notre pays. Si l’on raisonne a contrario, le confinement de 2020 nous a montré les effets dévastateurs d’une privation d’école. Le niveau général a baissé, et les écarts entre élèves se sont creusés. Il aura fallu plusieurs mois ensuite aux professeurs, face à leurs élèves, en classe, pour rattraper les retards constatés. Bien sûr, certains élèves, issus de milieux favorisés, ont parfois progressé. Mais ils sont une minorité si on les compare au nombre considérable d’élèves complètement démobilisés, réduisant de jour en jour leur temps de travail comme peau de chagrin. On se rappelle les parents désemparés, jonglant avec leurs exigences professionnelles et l’accompagnement de leurs enfants, épuisés de fatigue après avoir achevé à minuit une journée de travail débutée à 7h. La crise aura eu du moins cette vertu : rappeler à chacun le rôle des professeurs. « C’est là que j’ai compris que professeur était un vrai métier » a-t-on entendu, avec sidération. Avant la déflagration de la crise sanitaire, comment avions-nous pu arriver à en douter ?

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