Alors que les États-Unis se préparent à une nouvelle échéance électorale décisive, l'ombre du doute et de la désinformation plane sur le processus démocratique. Dans cette deuxième "Lettre d’Amérique", nos laborantins sur place partagent leurs observations sur un climat politique où la vérité semble devenir un enjeu secondaire, reléguée derrière des stratégies de communication agressives et des mensonges répétés. Ce phénomène, déjà aperçu lors des élections de 2016, semble aujourd’hui s'intensifier à l'intérieur même du pays, mettant à rude épreuve la démocratie américaine.
Chers Laborantins,
À mesure que l’échéance approche la fébrilité gagne partout. Sur la côte est, le pessimisme gagne chez les libéraux qui ne comprennent pas cette Amérique capable de voter pour ce Donald Trump, aussi caricatural. Lui-même n’en cure et il a même trouvé cette semaine de nouveaux caps à franchir dans l’ignominie et le mensonge. Rien ne l’arrête. Et il a raison puisque ça marche. On reproche même désormais à Kamala Harris d’être trop lisse… C’est sûr que, par comparaison avec les fantasmes agités, celle qui dit la vérité pourrait paraître ennuyeuse par rapport à celui qui la traite de déficiente mentale. Faut-il insulter pour être entendu ? Faut-il mentir pour être compris ?
Tel est le sujet de cette deuxième lettre d’Amérique : la vérité. La vérité des propos, mais aussi la vérité des résultats, dont on annonce déjà qu’ils seront contestés par Donald Trump s’il perd. En somme, soit il gagne, et les résultats sont exacts, soit il perd et ils sont faux.
La vérité n’est clairement ici ni une préoccupation ni une finalité. Lors de la campagne de 2016, la désinformation semblait venir de l’extérieur, notamment de Russie. Pour ce nouveau scrutin, elle semble nourrie de l’intérieur. Véritable cheval de Troie contre la démocratie, la désinformation ou mésinformation semble avoir pénétré la société américaine.
La Constitution américaine accorde une place proéminente à la liberté d’expression, les tentatives de modération de contenu sont presque automatiquement considérées comme de la censure. Il faut faire la distinction entre l’expression sur les réseaux sociaux qui bénéficie d’une protection quasi-absolue, et la liberté de la presse.
Les réseaux sociaux ont permis de faire émerger un nouveau mode d’expression permettant d’échanger globalement et d’avoir une audience plus large que par les médias traditionnels. Il est très compliqué pour le gouvernement américain de réguler les réseaux sociaux. Même les tentatives de modérations par les plateformes elles-mêmes peuvent être très critiquées. Il s’agit d’un nouvel espace de discussion mais aussi de campagne. Les personnalités politiques profitent de ce nouveau moyen de communication, protégé par la Constitution, pour faire une campagne plus agressive, choc, agrémenté de formules chocs et d’informations erronées.
La digitalisation généralisée de la campagne actuelle renforce la pratique de désinformation. Théâtres des dérives antidémocratiques, les réseaux sociaux pullulent de fausses informations sur les candidats. Dans ce déluge de mensonges, difficile pour l’électeur de faire un choix éclairé. Plus difficile encore d’avoir un espace de débat politique neutre et analytique alors que la plupart des médias prennent parti.
Donald Trump est bien connu pour son utilisation compulsive de son propre réseau social, malicieusement nommé « Truth Social », ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour celui qui a érigé le mensonge en mantra. Singulier retournement de l’histoire que ce réseau social créé après avoir été évincé de Tweeter, alors que celui-ci, devenu X, est désormais la propriété d’Elon Musk, lequel fait campagne pour Trump en épousant totalement les excès et les mensonges. Mais où est la vérité si elle n’est ni sur X ni sur Truth Social ?
Les médias traditionnels sont eux aussi de plus en plus traversés par des postures politiques revendiquées. C’est la « Foxnewsisation » des médias. CNN fait office de contrepoids, même si elle ne transige pas, elle, avec la vérité. Ainsi la première interview de Kamala Harris sur Fox News fut édifiante : on a assisté à une réelle passe d’armes avec Bret Baier, le plus politique des présentateurs de la chaine d’extrême droite. Parfait exemple de framing, la façon de formuler les questions influait sur ce que le spectateur allait retirer de l’interview. Demander à la candidate Harris “ how many illegal immigrants [the Biden administration had] released into the country” (se traduisant par : combien d’immigrants illégaux l’administration Biden a libéré dans le pays) sous-entend directement, peu importe la réponse, que l’administration actuelle aurait délibérément “lâché” dans la société américaine des immigrants illégaux.
La collusion entre les médias et la campagne est particulièrement délétère pour la démocratie. La presse, qui devrait jouer un rôle de supervision des politiques, semble malléable et partisane.
Avec ces vérités plurielles, difficile d’imaginer comment les électeurs de la city upon the hill peuvent faire un choix éclairé et libre de toute influence dans deux semaines. L’ironie de telles pratiques dans la plus vielle démocratie du monde devrait nous inquiéter. L'exercice démocratique semble entaché de mensonges qui brouillent la capacité de réflexion, et de choix. Les jours qui nous séparent de l’élection risquent de voir une course à la surenchère de fausses informations pour discréditer la partie adverse.
Espérons que mensonges et demi-vérités ne triompheront pas car c’est bien la démocratie qui est en jeu. Et, malheureusement, on le sait, les Etats-Unis sont souvent à l’avant-garde de ce qu’on trouve ensuite en Europe.
Thomas Clay