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Dernière Lettre d’Amérique (5) : Le Retour de Donald Trump à la Maison Blanche

par Alexandre Alecse , Elise Torché le 30 novembre 2024 Victoire de Trump à l'élection présidentielle de 2024
Alors que l’Amérique sort à peine de l’effervescence électorale, le raz-de-marée politique de Donald Trump marque un tournant historique. Élu avec une victoire éclatante, le 45e président des États-Unis s’apprête à entamer un second mandat, bouleversant les équilibres internes et internationaux. Dans cette dernière lettre, rédigée par Élise Torché et Alexandre Alecse, membres de l’antenne américaine du Laboratoire de la République, nous revenons sur les enjeux de cette réélection. Quel bilan tirer de cette victoire ? Quelles implications pour les démocraties occidentales et la place de l’Europe dans un monde redéfini par la stratégie Trump ? Une analyse essentielle pour comprendre cette nouvelle page de l’histoire américaine.
Chers Laborantins, En ce weekend de Thanksgiving, cela fait plus de 20 jours que Donald Trump a remporté l’élection américaine qui l’opposait à Kamala Harris. Sa Victoire est totale : vote populaire, grands électeurs, majorité à la Chambre des représentants, majorité au Sénat… Un réel raz-de-marée MAGA. La soirée du 5 novembre s’est déroulée beaucoup plus vite que prévu. Vers minuit les estimations donnaient une victoire du camp Républicain avec un degré de confiance étonnant. Pas de course serrée, mais plutôt un Donald Trump clairement en tête. Les jours ayant suivi l’élection furent comme sclérosés à Boston, et nous souhaitions éviter l’écueil de la précipitation, expliquant le laps de temps entre l’élection et cette dernière lettre. Nos discussions récentes à Boston et à Washington soulignent elles aussi la défaite à plate couture des démocrates. Non, la Kamala Mania n’aura pas conquis les Etats-Unis. Oui, Donald Trump va revenir à la Maison Blanche. Que penser de cette victoire et comment prédire les années à venir ? Les récentes nominations aux postes politiques clefs démontrent que le camp Trump est mieux préparé qu’en 2016, plus uni pour exercer le pouvoir. Vu d’ici, une des nominations les plus attendues est celle du Trésor. Le nom est tombé il y a quelques heures, cela sera Scott Bessent. Le candidat est finalement relativement conventionnel, ce qui a eu le mérite de rassurer les marchés. Moins conventionnel sera le rôle d’Elon Musk. Nommé à un ministère de l’efficacité gouvernementale (Doge, comme le nom de sa cryptomonnaie). Pour Trump, le but est de «démanteler la bureaucratie gouvernementale, sabrer les régulations excessives, couper dans les dépenses inutiles, et restructurer les agences fédérales. » Le milliardaire aura donc entre ses mains l’organisation (ou la désorganisation) de la bureaucratie américaine. Des agences comme le CFPB (bureau de protection des consommateurs) ont vu leur avenir s’assombrir depuis le scrutin. Que va faire Président Donald Trump lorsqu’il reviendra à la Maison Blanche ? N’oublions pas que Trump est un deal maker, son raisonnement consiste à conclure des accords, tant qu’il en retire un bénéfice. Le péril démocratique posé par un second mandat Trump revient souvent dans les discussions. L’une des postures consiste à se rassurer sur la résilience des institutions, de rester convaincu qu’il ne dispose pas d’un pouvoir sans limite mais que les checks and balances de la Constitution resteront relativement solides. L’autre positionnement est plus alarmiste, pointant une victoire sans limite qui donnera une confiance totale au Républicain. Avec la chambre haute et basse à son soutien, Trump a une Avenue pour mettre en place sa politique sans encombre. Cette perspective s’étoffe d’autant plus depuis que toutes les charges judiciaires contre l’ancien président ont été abandonnées. Harris n’a pas bénéficié d’un réel vote d’adhésion. Elle a reçu les votes anti-Trump et démocrates classiques mais les votes pro-Harris n’ont pas afflué. La preuve est qu’Harris a obtenu le plus faible score démocrate de l’État de New York, un historique bastion démocrate. Trump a gagné des votes quasiment partout, en particulier son soutien chez les hommes Latino a augmenté de manière significative. Le vote rural a aussi été trop sous-estimée dans une Amérique si polarisée par les problèmes d’inflation et d’emploi. Enfin, sur le plus long-terme politique, les Démocrates vont devoir s’unir autour d’un projet plus clair, plus aligné aux préoccupations et valeurs des Américains. Une discussion difficile va devoir avoir lieu, et rapidement, s’ils souhaitent rebondir dès les élections de mi-mandat. D’ici là, c’est à nouveau au tour de Donald Trump de piloter le vaisseau américain, et cela aura sans aucun doute de réelles conséquences pour l’Ukraine, le Moyen-Orient, l’Indo-Pacific et les relations transatlantiques mais aussi pour l’ordre économique mondial et la lutte contre le réchauffement climatique. Nous souhaitions, en tant que transatlanticistes finir sur un message d’alerte aux européens. L’élection de Trump doit être un réveil, et un réveil matinal, du point de vue de la sécurité européenne. Il y a une vraie opportunité pour l’Europe d’émerger comme un acteur de sa propre sécurité, d’agir plus audacieusement. Il faut être plus agressif pour consolider, renforcer notre base industrielle de défense, l’Union Européenne ne doit pas passer à côté de ce momentum au risque de manquer le train.

Lettre d’Amérique (4) : Entre deux Amériques, le destin de la démocratie

par Thomas Clay le 4 novembre 2024 Militants USA entre Trump et Harris
Alors que l'Amérique se prépare à des élections cruciales, deux visions du pays se confrontent avec une intensité inédite. D'un côté, une Amérique ouverte, éduquée et connectée au monde redoute le retour de Donald Trump, incarnant à ses yeux une menace directe pour la démocratie. De l'autre, une Amérique ancrée dans ses certitudes, prête à le suivre envers et contre tout, même au risque de diviser la nation. Cette lettre d'Amérique plonge au cœur de cette polarisation extrême et des enjeux vertigineux qui en découlent, montrant que l'avenir de la démocratie américaine ne tient peut-être qu'à un fil. Thomas Clay, professeur invité à l'Université de Columbia pour l'année, nous envoie cette quatrième lettre d'Amérique sur l'élection présidentielle qui arrivera à son terme demain.
Chers Laborantins, Ce matin, l’Amérique a peur. L’Amérique des villes, l’Amérique instruite, l’Amérique ouverte sur le monde, l’Amérique qui ne détermine pas son vote en fonction de sa seule feuille d’impôts, cette Amérique a peur. Elle a peur de l’autre Amérique, qu’elle ne comprend pas, dans laquelle elle ne se reconnaît plus et qui s’est choisie pour champion le pire de ce que la politique peut générer. Ces deux Amériques se font face désormais, et les Etats-Unis n’ont plus d’unis que le nom. Les clivages sont trop profonds, le dialogue avec un soutien de Donald Trump tient de l’expérimentation vertigineuse, le pays de Lincoln, Roosevelt et Obama risque de sombrer, entraînant avec lui une partie du monde. Dès que les résultats seront connus, il n’y aura que deux mauvaises solutions : soit Donald Trump est élu, soit il contestera les résultats au motif égotique qu’il ne peut pas perdre sans tricherie. On connaît bien cette rhétorique qu’on trouve habituellement plutôt chez les joueurs bonto : pile je gagne, face tu perds. Avec Trump, c’est pile je gagne, face tu as triché. En réalité, l’ancien président est un multi-récidiviste de la contestation. Chacun sait qu’il n’a jamais accepté le résultat des élections de 2020, ni d’ailleurs son colistier, le plus propret JD Vance, mais beaucoup ont oublié que dès 2016, il avait déjà annoncé que soit il l’emportait sur Hillary Clinton, soit l’élection serait truquée. Et l’un de ses partisans, le conspirationniste Alex Jones, a déclaré, hier 3 novembre lors du meeting de Trump à Lititz, en Pennsylvanie, qu’il fallait se « préparer aux conditions de la guerre civile ». Les choses sont clairement annoncées. Il serait réducteur d’y voir là uniquement une preuve de son ego certes surdimensionné. Il s’agit bien plus d’une méthode politique qui allie menace et intimidation, mais qui, surtout, corrode en profondeur le contrat rousseauiste à la base de toute acceptation de la représentation politique. C’est la démocratie qu’on assassine. Chacun sait qu’elle n’est acceptable que grâce à la confiance dans l’intégrité du scrutin. Et il est probable que, en cas de score favorable à Kamala Harris, des contestations se multiplient, lesquelles peuvent intervenir aux États-Unis à quatre niveaux différents, chacun étant déjà noyautés par les partisans de Trump l’arme au pied, et finalement arbitrées par la Cour suprême, dans laquelle Donald Trump a placé suffisamment d’affidés pour qu’il soit confiant sur le sort des recours qu’il déposera de manière systématique. Pile je gagne, face tu perds… Mais si cette élection est aussi importante, cela ne tient pas seulement aux conséquences domestiques dramatiques, ni même aux conséquences géopolitiques tragiques dans les crises actuelles, mais aussi au message envoyé à tous les tyrans de la planète et, au fond, au risque de contagion, sous le haut-parrainage de l’Oncle Sam. C’est aussi à cette aune qu’il faut comprendre le retour des coups d’États militaires en Afrique, qui ont vu en moins de trois ans, sept pays basculer dans des dictatures militaires sans que nul ne s’en émeuve : Mali, Guinée, Tchad, Soudan, Burkina Faso, Niger et Gabon. On aura vu également des signes avant-coureurs de l’essoufflement des démocraties avec Bolsonaro au Brésil, Duarte aux Philippines où Milei en Argentine. Sans oublier Poutine évidemment. La réélection de Trump sonnerait comme permis de putsch, un blanc-seing au reste du monde, dont les plus grands bénéficiaires seraient la Russie et la Chine. L’Europe serait la grande perdante, et avec elle une certaine idée de la démocratie née avec les Lumières et morte avec Trump. Ce serait la fin du modèle d’organisation du pouvoir par la démocratie, « le pire des systèmes à l’exception de tous les autres » ? Ce funeste pronostic tient à la personnalité de Donald Trump. À l’inverse de 2016, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Le mensonge et l’insulte érigées en mantra, avec des menaces, y compris physiques, sur les opposants politiques qualifiées d’« ennemis de l’intérieur » ne peuvent triompher que dans un système malade. Il est faux de dire qu’on a le choix entre deux programmes et deux candidats, comme c’était le cas jusqu’à Trump. C’est même un odieux sophisme que de les renvoyer dos-à-dos comme viennent successivement de le faire de manière indigne le Los Angeles Times et le Washington Post, comme s’ils étaient équivalents. Ne serait-ce que sur le plan judiciaire, il y en a un qui est poursuivi et parfois condamné sur un arc pénal qui va du viol à la tentative de coup d’État, en passant par la fraude électorale, la fraude fiscale, le vol de documents classifiés, etc., alors que l’autre a pour métier précisément de poursuivre ceux qui commettent de telles infractions pénales. Dans n’importe quel autre pays, la situation pénale de Donald Trump, et notamment la tentative de coup d’État, le disqualifierait de manière définitive. Ici, à l’inverse, c’est à Kamala Harris qu’on ne passe pas la moindre approximation, même quand elle est le fait de Joe Biden. Malgré tout cela, l’Amérique est un pays plein de ressources, et la France n’a pas de leçon à donner, surtout quand on connaît le marasme politique actuel dans lequel elle se débat. Et c’est bien fort de ces ressources exceptionnelles que, en ces dernières heures d’une campagne à nulle autre pareille, il est possible de rester optimiste et d’espérer que l’arsenal des mesures de résistance démocratique sera au finish plus fort que les armes dressées par ceux qui veulent l’abattre. L’avenir du monde, qui se joue ici à Washington, d’où je vous écris cette ultime lettre d’Amérique, ne peut pas dépendre d’un pile ou face. Thomas Clay

Lettre d’Amérique (3) : Les indécis, arbitres de l’élection américaine

par Alexandre Alecse , Elise Torché le 28 octobre 2024 Trump/Harris_election_USA
Dans cette troisième lettre d’Amérique, les laborantins sur place analysent le rôle crucial des indécis à l’approche du scrutin du 5 novembre. Entre mobilisations ciblées et campagnes médiatiques, Démocrates et Républicains redoublent d’efforts pour convaincre ces électeurs, qui pourraient faire basculer l’élection. Au-delà du résultat, cette course pour capter les dernières voix interroge sur la représentativité et les réformes du système électoral, un débat qui fait écho de part et d’autre de l’Atlantique.
Chers Laborantins, L’échéance du 5 novembre approche, les votes par anticipation ont commencé, pourtant certains électeurs n’ont pas encore fait leur choix. Dans une course qui risque de se jouer à quelques voix, ces indécis ont un poids considérable. Quels facteurs peuvent changer d’ici au 5 novembre pour les faire pencher d’un côté ou de l’autre ? Quelle motivation à aller voter ? Voter ou s’abstenir est un premier choix, le second est de savoir à quel candidat donner sa voix. Les sondages estiment que 5% des électeurs demeurent incertains. Ces électeurs ont tendance à être très peu impliqués en politique, une majorité finissant souvent par simplement ne pas aller voter. Au cours des deux dernières présidentielles, les indécis ont fini par favoriser Donald Trump. Il a remporté leurs voix avec une marge de plus de 20%. Si la même tendance se répète en 2024, elle ajouterait 1% net en faveur de Donald Trump, sachant que dans certains états clefs comme la Pennsylvanie Kamala Harris a une avance estimée à 0,8%, le résultat est rapide à calculer. Quelle stratégie pour les candidats pour motiver ces indécis à voter ? Du côté Démocrate c’est peut-être la raison derrière la multiplication d’interview TV pour tenter de toucher un public moins intéressé par la politique à travers des émissions regardées par un grand nombre. Ces électeurs indécis semblent être plutôt jeunes, et souvent Latino ou Afro-Américains. Cela transpire dans les annonces de cette semaine alors que Donald Trump multiplie les podcasts dont l’audience est majoritairement jeune et blanche. La campagne de Kamala Harris multiplie le porte-à-porte dans les quartiers majoritairement habités par les Afro-Américains pour encourager les résidents à voter. Au niveau propositions, Harris se concentre sur des programmes visant à réduire les inégalités en matière de santé, qui touchent disproportionnellement les hommes noirs. L’ancien Président Obama, conscient du déclin du soutien des Afro-Américains au parti démocrate s’est déplacé en Pennsylvanie pour motiver le vote à coup d’argument de fraternité et en allant même jouer sur la provocation en suggérant que si les électeurs supportaient moins Harris que lui en 2008, c’était parce qu’elle était une femme. Plus récemment, lors d’un meeting dans le Michigan, l’ancien président a même rappé sur Lose Yourself d’Eminem, le chanteur étant invité au meeting. Ces techniques de communications originales peuvent-elles motiver les électeurs indécis ? Mélanger politique et rap américain défroissera peut-être l’image d’une Kamala Harris trop lisse pour certains électeurs. Le vote de ces électeurs indécis est crucial, difficile à prévoir mais central. Ce vent de panique chez les démocrates est aussi lié à une pratique du vote propre aux États-Unis. Alors que l’élection se tient dans une dizaine de jours, plus de 30% des Américains ont déjà voté.  Cela est rendu possible par le vote par correspondance. Ce dernier a connu un rebond après que Donald Trump ait explicitement appelé ses électeurs à se rendre aux urnes par anticipation. Grand revirement pour le candidat qui est habituellement un fervent critique de cette pratique de early vote. Ces encouragements ont été spécifiquement adressés aux électeurs du Wisconsin, de la Caroline du Nord et de Pennsylvanie, états clefs pour le résultat du scrutin final. Cet appel a fait son effet, et les républicains semblent déjà se rendre aux urnes. L’inquiétude provoquée par ces early votes chez les démocrates est que des républicains réussissent à davantage mobiliser leur base électorale, ce qui favoriserait Donald Trump. Point crucial au cadre de réflexion autour du choix de se rendre aux urnes ou non, l’écart entre les deux candidats semble se resserrer. Le dernier sondage du New York Times et du Siena College annonce une égalité entre les deux candidats, chacun récoltant 48% des voix. Si le résultat sera serré, si ce sont les électeurs aujourd’hui indécis qui font pencher la balance d’un côté ou de l’autre, la représentativité de l’élection risque à nouveau d’être questionnée. Cela renforce la question d’une réforme du système électoral et notamment de la place du Collège Électoral. Environ 63% des Américains préfèrerait voir le Président élu à la majorité des votes des électeurs. Les perspectives de réformes sont très étroites, et questionnent sur l’adéquation des règles électorales et des préférences des constituants. Ce débat semble encore une fois commun aux démocraties Américaines et Françaises alors que chez nous se pose la question de l’élection de l’Assemblée nationale à la proportionnelle. Réformer ces systèmes rigides est un vrai débat sur le fonctionnement de nos démocraties, les électeurs ont-ils perdus le pouvoir d’agir sur les règles qui désignent leurs représentants ? Qu’est-ce que cela dit de la démocratie représentative ? N’y a-t-il pas là la source de la perte de confiance dans nos politiques ? ou bien à l’inverse est-ce cette perte de confiance qui nourrit la volonté de réformer le système ? Alexandre Alecse Elise Torché

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