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Mercredi 12 mars : Crise mondiale inédite : les leçons du virage américain

par L'équipe du Lab' le 6 mars 2025
Nous vous invitons à participer à ce grand débat le mercredi 12 mars à 19h00 – gratuit, avec inscription obligatoire -, à la maison de l’Amérique Latine.
Vendredi 28 février, alors que Donald Trump et son vice-président, James Davis Vance, recevaient Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche, les deux Américains ont pris à partie le président ukrainien avec une violence rare. Une séquence historique, symbole d’un tournant brutal de la position diplomatique américaine, qui a entraîné le départ prématuré de M. Zelensky de la Maison Blanche sans signer l'accord sur les minerais pour lequel il était venu.L’humiliation infligée par Donald Trump au président ukrainien dans le bureau ovale confirme un changement d’ère, qui prend de court les Européens.En réponse à ce virage dans les relations transatlantiques, le Laboratoire de la République organise un grand débat entre Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Education Nationale, et Nicolas Tenzer, philosophe et haut fonctionnaire. De nombreux spécialistes du sujet, parmi lesquels Frédéric Encel ou Christian Lequesne, seront aussi présents.Nouvelle architecture de la sécurité européenne, positionnement vis-à-vis des Etats-Unis, avenir de l’OTAN, nouveau plan de paix… Autant de thèmes qui seront abordés lors de cet évènement. Informations pratiques : Quand ? Mercredi 12 mars, 19h00 Où ? Maison de l'Amérique latine, 217 Bd. Saint-Germain, 75006 Paris Tarif : Gratuit Inscription obligatoire en ligne S'inscrire

Lettre d’Amérique latine (1) : Le Mexique face aux défis internationaux sous la réélection de Donald Trump

par Erévan Rebeyrotte le 18 février 2025
Le Laboratoire de la République saisit chaque opportunité pour enrichir sa réflexion et élargir son réseau à l’international. Profitant de la présence en Amérique latine d’un de ses chargés de mission, Erévan Rebeyrotte, l’association engage une série de rencontres avec des acteurs politiques, intellectuels et économiques du continent.
Pour cette première lettre d’Amérique latine, nous nous rendons à la ciudad de Mexico pour rencontrer Jorge Castañeda, intellectuel et homme politique mexicain de premier plan. Ancien ministre des Affaires étrangères du Mexique (2000-2003) et représentant du pays aux Nations unies, il a également enseigné dans plusieurs universités prestigieuses, dont la Universidad Nacional Autónoma de México, Princeton, New York, Cambridge et Sciences Po Paris. Figure influente de la diplomatie latino-américaine, il partage son analyse sur les relations internationales du Mexique, notamment avec les États-Unis, l’Europe et la France, dans un contexte marqué par des tensions économiques, migratoires et diplomatiques. Erévan Rebeyrotte : Avec la réélection de Donald Trump, le Mexique doit affronter des tensions commerciales accrues, notamment avec l’imposition de nouveaux droits de douane sur l’acier et l’aluminium. Comment le Mexique peut-il répondre à ces défis et préserver sa souveraineté économique et territoriale ? Jorge Castañeda : Les défis sont dangereux et difficiles à surmonter. S’il s’agissait d’un simple différend commercial, on pourrait adhérer ou non aux théories de Donald Trump. Les déséquilibres commerciaux résultent souvent de subventions. En 2024, les États-Unis et le Mexique affichent un déficit commercial de 171 milliards de dollars, une somme relativement modeste par rapport à leur produit national, mais néanmoins conséquente. Cependant, la question dépasse le cadre strictement économique. Trump utilise les droits de douane non seulement à des fins commerciales, mais aussi pour obtenir des concessions du Mexique sur des sujets tels que l’immigration, la sécurité et le trafic de drogue. Le Mexique se voit ainsi contraint de répondre aux exigences de Trump dans ces domaines. Les observateurs étrangers sont frappés par le sentiment et l’identité nationale des Mexicains, mais ils sous-estiment souvent la vulnérabilité du pays face aux États-Unis. Par exemple, environ 60 % de notre électricité provient de centrales alimentées au gaz naturel, dont 70 % est importé des États-Unis. Notre capacité de réserve est d’un jour et demi seulement, ce qui limite considérablement notre marge de manœuvre face à Trump. Toutefois, le Mexique possède quelques leviers de négociation, notamment le pouvoir de décider d’accepter ou non les déportés non nationaux. C’est une carte diplomatique, mais son utilisation est délicate. Sous le premier mandat de Trump, le gouvernement mexicain a cédé sur toute la ligne. La situation risque de se répéter avec la nouvelle administration. Il en va de même pour la Chine : une part significative des exportations mexicaines vers les États-Unis sont en réalité des produits chinois déguisés, transitant par d’autres pays ou entrant clandestinement au Mexique. Trump souhaite un contrôle renforcé de ces marchandises. Erévan Rebeyrotte : Trump a symboliquement rebaptisé le golfe du Mexique en « golfe d’Amérique », un geste interprété par certains comme une tentative d’affirmation de l’hégémonie américaine. Qu’en pensez-vous ? Jorge Castañeda : Cela n’a aucune importance. Il est inutile de se battre avec Trump sur ce genre d’absurdités. Le fleuve qui sépare les États-Unis et le Mexique porte déjà deux noms : « Rio Grande » côté américain et « Rio Bravo » côté mexicain. Ce n’est pas un sujet de contentieux. Chaque pays, comme la France, décidera librement de la manière dont il nomme le golfe. Cela ne change rien. Erévan Rebeyrotte : En réponse aux menaces commerciales de Donald Trump, l’Union européenne et le Mexique ont récemment signé un accord visant à renforcer leurs liens économiques. Pensez-vous que cet accord marque le début d’un réalignement stratégique du Mexique vers l’Europe ? Jorge Castañeda : Cet accord élargi remplace celui de 1998 en l’améliorant et en l’approfondissant. Cependant, le Mexique en a exclu le chapitre sur l’énergie, ce qui a déçu l’Europe. Il reste encore à obtenir l’approbation des 27 États membres, bien que l’accord soit déjà appliqué. Erévan Rebeyrotte : Alors que plusieurs pays d’Amérique latine traversent des crises démocratiques et connaissent des dérives autoritaires, quel rôle le Mexique peut-il jouer sous la présidence de Claudia Sheinbaum ? Le pays a-t-il encore suffisamment d’influence pour défendre la démocratie et les droits de l’homme dans la région ? Jorge Castañeda : La vraie question est de savoir si le gouvernement mexicain actuel et le précédent sont réellement des défenseurs des droits de l’homme et de la démocratie, ou s’ils y sont hostiles. Regardez les dictatures en place à Cuba, au Venezuela, au Nicaragua, et maintenant au Salvador. [Que pensez vous de Javier Milei ?] Pour l’Argentine, il est encore trop tôt pour juger Javier Milei. Il multiplie les décisions extravagantes, mais pour l’instant, la démocratie n’est pas menacée. L’économie, en revanche, est dans une situation critique. Le Mexique lui-même connaît une dérive autoritaire. Le gouvernement a supprimé l’indépendance du pouvoir judiciaire ainsi que les organismes autonomes du pays. Dans quelques mois, il supprimera même les autorités électorales qui ont joué un rôle essentiel dans l’instauration de la démocratie. Il adopte aussi une posture hostile envers les intellectuels et les médias. Dans ces conditions, le Mexique est mal placé pour donner des leçons en matière de droits de l’homme. Les gouvernements actuels et précédents ne se préoccupent pas tant de la démocratie et des droits fondamentaux que de la souveraineté nationale. Erévan Rebeyrotte : Vous avez représenté le Mexique en tant que ministre des Affaires étrangères lorsqu’il siégeait au Conseil de sécurité de l’ONU. Aujourd’hui, face aux conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, l’ONU semble incapable d’imposer des solutions durables. L’organisation est-elle devenue un simple spectateur impuissant face aux rivalités entre grandes puissances ? Jorge Castañeda : L’ONU a toujours été un spectateur, et pas toujours puissant. Pendant la guerre froide, les États-Unis et la Russie ont souvent utilisé leur droit de veto pour servir leurs intérêts. Aujourd’hui, la rivalité oppose les États-Unis à la Chine, alliée de la Russie. La Russie joue un rôle clé dans la guerre en Ukraine, mais le véritable affrontement à long terme est entre les États-Unis et la Chine. La question essentielle est de savoir si le monde se porterait mieux sans l’ONU et d’autres institutions internationales comme l’OMC, l’OMS, l’UNESCO ou la Cour pénale internationale. Je ne le crois pas. Contrairement aux revendications du Sud global, qui réclame une réforme des institutions pour les rendre plus représentatives du nouvel ordre mondial, je pense qu’il faut améliorer et renforcer l’ordre existant. Les États-Unis, par exemple, devraient ratifier la cinquantaine d’instruments internationaux qu’ils ont toujours refusé d’adopter, comme la Cour pénale internationale, la Convention sur le droit de la mer ou la Convention sur les armes conventionnelles. Cela changerait beaucoup de choses. Mais le Sud global, lui, cherche surtout à accroître le poids de la Chine. Erévan Rebeyrotte : Quel est le lien entre le Laboratoire de la République et les enjeux communs entre la France et le Mexique ? Jorge Castañeda : Il est essentiel de réfléchir ensemble au nouvel ordre mondial. Le sommet européen du 17 février à l’Élysée a été un moment clé pour discuter des ambitions renouvelées des États-Unis, notamment sur Gaza, l’Ukraine, le Groenland, le canal de Panama, et peut-être même certaines parties du Mexique. La France joue un rôle central dans la définition d’une réponse européenne aux crises internationales. Cela inclut bien sûr l’Ukraine, mais aussi l’intelligence artificielle, avec le sommet qui s’est tenu récemment, et les accords de Paris sur le climat, que Trump va quitter dans un an. Il est crucial de s’unir et de décider d’une stratégie commune. L’essor de l’extrême droite en Europe et aux États-Unis représente une menace majeure, tout comme le régime autoritaire de gauche au Mexique. Enfin, bien que le Mexique soit plus proche des États-Unis, la France est plus perméable au wokisme mais cette idéologie arrive dans le pays. Il est donc nécessaire de bâtir un dialogue stratégique entre la France, le Mexique et les États-Unis, en excluant les trumpistes et en s’appuyant sur une alliance de citoyens engagés.

Mercredi 19 février : Conversation éclairée avec Mona Jafarian

le 5 février 2025 Conversation éclairée de Mona Jafarian
Le mercredi 19 février à 19h30, la Maison de l’Amérique Latine accueillera Mona Jafarian pour une « conversation éclairée » animée par Brice Couturier et Chloé Morin. Cet événement sera l’occasion d’échanger autour des enjeux soulevés par l'ouvrage Je suis Iranienne et de comprendre les luttes qui secouent la société iranienne actuelle.
La lutte des femmes iraniennes pour leur dignité et leur liberté Les femmes iraniennes affrontent une lutte existentielle contre un régime théocratique oppressif qui limite systématiquement leurs droits fondamentaux. Depuis deux ans, le cri de ralliement « Femme, vie, liberté ! » a éclaté sur la scène internationale, symbolisant un soulèvement inédit face au pouvoir de Téhéran. Mais quelles réalités se cachent derrière ce slogan ? Qu’implique concrètement le quotidien d’une femme dans un tel contexte ? Un témoignage essentiel Dans son ouvrage Je suis Iranienne, publié aux éditions de l'Observatoire, Mona Jafarian, cofondatrice de l’association Femme Azadi, dévoile les récits poignants de douze femmes iraniennes. Ces voix courageuses exposent les restrictions et les dangers auxquels elles font face : montrer ses cheveux, chanter ou simplement serrer la main d’un homme peut mener à une incarcération, voire à une exécution. Ces femmes, qu’elles soient étudiantes, mères de famille, ou issues de lignées symboliques, refusent de se soumettre à la domination imposée par le clergé. Au péril de leur liberté et parfois de leur vie, elles revendiquent leur droit à la dignité. En tissant leurs témoignages avec ses propres réflexions, Mona Jafarian propose une plongée intime et percutante dans la société iranienne contemporaine. Son livre constitue à la fois un hommage vibrant aux femmes qui luttent pour leurs droits et un outil indispensable pour appréhender les dynamiques internes de cette révolte contre la dictature des mollahs. Quand ? Mercredi 19 février à 19h30 Où ? Maison de l’Amérique latine 217 bd St Germain, 75007, Paris Ciquez ici pour vous inscrire

Syrie : « L’islamisme modéré, cela n’existe pas »

par Omar Youssef Souleimane le 12 décembre 2024 Omar Youssef souleimane
Dans cet entretien, l'écrivain franco-syrien Omar Youssef Souleimane livre sa vision de la chute du régime de Bachar al-Assad. Il brosse le portrait sensible d'une société syrienne partagée entre l'euphorie de s'être débarrassée du joug d'un tyran, et l'inquiétude de la menace islamiste portée paradoxalement par les artisans de sa libération : les rebelles d'Hayat Tahrir Al-Cham, mouvement islamiste qui rêve de s'acheter une respectabilité politique. Une société qu'il juge néanmoins suffisamment forte pour faire face au défi de la reconstruction démocratique.
Le Laboratoire de la République : Après des décennies de souffrance et de cauchemar, la Syrie s’est libérée du joug de Bachar al-Assad. Omar Youssef Souleimane, vous étiez de ceux qui criaient « Liberté ! » lors du printemps arabe en 2011. Vous avez connu la répression sanglante et le régime de terreur avant votre exil en France. Quelle a été votre première pensée en réalisant que le gouvernement de Bachar al-Assad allait tomber ? Omar Youssef Souleimane : L’incrédulité d’abord, puis la joie. Comme tous les Syriens, j’ai la sensation d’avoir besoin d’un peu de temps pour réaliser complètement l’ampleur de l’évènement. J’ai parfois l'impression de marcher comme dans un rêve.  Il faut mesurer à quel point le destin de la Syrie est enchaîné à celui de cette famille depuis 50 ans : j’ai grandi dans ce que le monde entier appelait la « Syrie d’al-Assad ». Aujourd’hui elle a cessé d’exister. L’élan de 2011 s’était écrasé contre la brutalité du régime de Bachar al-Assad et l’infiltration des islamistes, aujourd’hui c’est une nouvelle fenêtre d’opportunité qui s’ouvre pour penser une Syrie libérale, démocrate et laïque. Mais cette chute de la dictature, je la vis aussi dans ma chair de citoyen français. Pour moi, ce renversement marque par certains aspects une victoire de mon pays, la France. Celle des valeurs universalistes, qui n’accepte pas les bafouements de tous les droits de l’homme et les massacres sur son propre peuple. Le Laboratoire de la République : Vous avez pu parler à votre famille, vos proches ? Dans quel état d’esprit sont-ils ? Omar Youssef Souleimane : Après près de 12 ans sans communication ou presque, j’ai pu les appeler, c’était très émouvant. J’avais oublié le son de leurs voix, il m’était impossible de les contacter sans les mettre en danger tant que le régime avait le contrôle total de toutes les communications. Ils sont fous de joie, il y a une sorte de soulagement général, d’euphorie collective. Bien sûr, il faut attendre de voir comment la situation va évoluer, la Syrie est un pays dont le futur est plus que jamais incertain, à la fois dans son évolution interne mais aussi parce que la région est extrêmement mouvante.   Le Laboratoire de la République : Vous parlez très justement d’une fenêtre d’opportunité. On imagine que les sensations d’espoir de pouvoir construire une société démocratique et de joie de s’être débarrassé de Bachar al-Hassad sont tempérées par la peur d’une islamisation du pays, sous l’impulsion des rebelles islamistes d’Hayat Tahrir al-Cham (HTC) ? Omar Youssef Souleimane : Oui bien sûr, la partie sera compliquée. Mais il faut bien mesurer l’étendue du soulagement d’un peuple qui se débarrasse d’une histoire faite uniquement pendant ces dernières années d’angoisse et de terreur. Les prisons comme celle de Saydnaya, qui étaient de vrais abattoirs humains et dont la perspective terrorisait tous les Syriens dès leur enfance, s’ouvrent aujourd’hui. Il va falloir lutter pour ne pas laisser l’islamisme gangréner cette libération, mais il faut d’abord laisser le peuple panser ses plaies et profiter de cette bouffée d’air qui lui a été refusée pendant si longtemps. Il faudra beaucoup de temps pour mesurer l’ampleur du sadisme du régime de Bachar al-Assad, et bien plus de temps encore pour se remettre des centaines de milliers de morts qui ont déchiré des familles entières. Tout l’enjeu sera ensuite bien sûr de construire une Syrie libérale, démocrate et laïque. Une Syrie fédérale, où les Kurdes sont amenés à jouer un rôle, et qui puisse nous mette à l’abri de l’abus de l’ultracentralisation du pouvoir qui a favorisé les dictateurs. Le Laboratoire de la République : Le leader d’HTC, l’islamiste Abou Mohammed al-Joulani, a tenté de rassurer les opinions publiques en parlant de la « diversité syrienne » notamment. Est-ce que vous y croyez ? Omar Youssef Souleimane :  J’ai un principe simple :  on ne peut jamais, au grand jamais, faire confiance à un islamiste. Un islamiste qui vous parle de diversité, c’est une chimère. L'islamisme modéré, ouvert, c’est comme un imam athée : cela n’existe pas.  Par ailleurs, Abou Mohammed al-Joulani est un expert de la taqîya (dissimulation de la foi dans un but de conquête, NDLR), il a par exemple repris son nom civil - Ahmed Hussein al-Chara - pour inspirer la confiance de la communauté internationale et du peuple syrien. Mais il porte évidemment avec lui le projet d’une société islamique radicale. Les Syriens connaissent ces stratégies par cœur, il est hors de question de rentrer dans ce jeu-là.  Il faut systématiquement les dévoiler, et montrer l’ampleur de leurs contradictions.  Le Laboratoire de la République : Vous croyez au renouveau démocratique de la Syrie ? Omar Youssef Souleimane : Je suis optimiste : les Syriens ont vécu toutes les horreurs ces dernières années : la guerre civile, Daesh, l’occupation en tout genre… Ils en ont tiré des leçons. Ils n’accepteront pas l’imposition d’un état islamique. De plus, la diversité ethnique et communautaire en Syrie, qui a servi jusqu’ici à attiser les braises de la guerre civile, peut jouer à l’inverse un rôle de garde-fou contre l’islamisme radical. Gardons en tête que presque 40% de la population syrienne est constituée de minorités, c’est une mosaïque qui peut faire obstacle à l’établissement d’un islam tout puissant. Il faut compter sur les militants, les démocrates syriens qui existent encore et doivent porter un projet de l’intérieur. Aujourd’hui ils sont très mal organisés, mais la peur a quitté leur camp. Le Laboratoire de la République : Vous vous engagerez personnellement dans cette reconstruction ? Omar Youssef Souleimane : Oui bien sûr, mais d’abord en tant qu’écrivain et que citoyen français, porteur des valeurs universalistes que ce pays charrie. Je serai dans le premier avion pour Damas, dès la réouverture de l’aéroport. Je veux retrouver ma famille, et redécouvrir la Syrie, la comprendre de nouveau après toutes ces années. J’ai parfois la sensation d’avoir une dette à rembourser ainsi que des moments à vivre qui m’ont été confisqués. Ma mission d’écrivain c’est aussi de chercher ce soulagement de la mémoire et de donner ma voix pour une reconstruction démocratique de la Syrie.

Syrie : « Ce sont les ennemis de l’Occident qui ont gagné »

par Patrice Franceschi le 11 décembre 2024 franceschi noir blanc
Après la chute du régime de Bachar al-Assad, l'écrivain et aventurier français met en garde contre tout enthousiasme autour de l'arrivée au pouvoir des rebelles islamistes d'Hayat Tahrir al-Cham. Patrice Franceschi nous alerte en particulier sur la situation des Kurdes en Syrie. Il décrypte aussi la stratégie de communication déployée par leur leader Abou Mohammed al-Joulani, nouvel homme fort de la Syrie, et le jeu de dupes qui risque de se mettre en place avec la communauté internationale.
Le Laboratoire de la République : Quelle est votre analyse de la chute éclair du régime de Bachar al-Assad, renversé en une dizaine de jours par les rebelles islamistes du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS) mené par Abou Mohammed al-Joulani ? Patrice Franceschi :  Vous utilisez le terme de « rebelles islamistes », d’autres médias sont moins prudents et utilisent simplement le terme de « rebelle » avec ce qu’il charrie de positif. Le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC) est un groupe islamiste, il convient de le répéter. Il suffit de regarder la situation dans la poche d’Idleb qui est sous leur contrôle : c’est un petit califat totalitariste, sous influence turc à la mode Daesh. HTC n’a pas changé magiquement de nature en trois semaines. Toute cette affaire me rappelle ce qu’il s’était passé en Iran en 1979 : la haine du Shah d’Iran était telle qu’en France tous les journaux encensaient l’ayatollah Khomeini, y compris les intellectuels comme Michel Foucault. Puisque Khomeini était contre le tyran reconnu, il avait le blanc-seing de la communauté internationale. Bachar al-Assad est un criminel devant l’Histoire, qui a du sang sur les mains jusqu’aux coudes. D’un point de vue moral, il est normal de se réjouir de sa chute. Mais d’un point de vue politique, il n’est pas impossible que celui qui le remplace aujourd’hui soit pire que lui, comme l’ayatollah Khomeini a été pire pour le peuple iranien que le Shah Mohammad Reza Pahlavi : il est donc hors de question de se réjouir de l’arrivée d’al-Joulani au pouvoir. Le Laboratoire de la République : La Syrie pourrait donc tomber de Charybde en Scylla ? Patrice Franceschi : Il ne faut avoir aucune confiance dans HTC. Ce sont les ennemis de l’Occident qui ont gagné, de nos démocraties et de toutes nos valeurs d’égalité et de liberté. Des islamistes téléguidés par la Turquie et financés par les Qataris. Ce groupe est morcelé, instable, mais tenu dans équilibre fragile par les Turcs. Ce sont les Turcs qui sont à la manœuvre depuis le début : ce sont eux qui contrôlent indirectement la poche d’Idleb, ce sont eux encore qui ont amalgamé les résidus des groupes islamistes après l’éclatement de Daesh, du front Al-Nostra, d’Al-Qaeda et de dizaines d’autres groupes terroristes pour les réunir sous cette unité un peu factice d’HTC. Sans oublier les brigades islamistes étrangères, notamment les brigades françaises dont on estime qu’ils sont environ 200 avec al-Joulani, les islamistes ouighours, turkmènes et bien d’autres. Enfin ce sont eux qui ont fabriqué l’armée nationale syrienne (ANS), qui la contrôlent et la financent, notamment pour persécuter les Kurdes. Tout cela forme une sorte de confédération islamiste plus ou moins bien contrôlé par la Turquie d'Erdoğan qui a deux objectifs clairs : chasser Bachar al-Assad du pouvoir et éliminer les Kurdes afin de pouvoir être les seuls maîtres du jeu dans la région. Or il me semble que cet agenda, pourtant assez bien établi, est souvent passé sous silence dans les médias. Le Laboratoire de la République : Vous estimez que les Kurdes sont abandonnés par la communauté internationale ? Patrice Franceschi : Oui, les Kurdes sont une fois de plus abandonnés par la communauté internationale, en particulier par les Américains.  Ce sont les premières victimes des deals économiques des Etats-Unis avec les Russes, les Iraniens et les Turcs, exactement comme en octobre 2019 quand Donald Trump avait donné le feu vert à Erdogan pour s’emparer d’une partie des territoires libérés de Daesh par les Kurdes, où se retrouve aujourd’hui une partie de l’armée nationale syrienne qui les attaque et les persécute sans relâche.   Le Laboratoire de la République : Quid des chrétiens de Syrie ? Patrice Franceschi : L’immense majorité est déjà partie, l’autre est soit du côté des forces démocratiques kurdes, soit est restée à Damas ou Alep. Ils n’ont rien à craindre dans l’immédiat, car la politique des islamistes menés par al-Joulani est de faire le moins d’esclandre possible pour faire croire qu’ils sont des partenaires démocratiques avec qui l’on peut discuter : il n’y aura probablement aucune exaction dans les premières semaines, voire les premiers mois. Mais ils ont tout à craindre dans l’avenir. Le Laboratoire de la République : En parlant de stratégie de communication, le leader des islamistes, Abou Mohamed al-Joulani, a délaissé sa tenue traditionnelle pour le costume ou le treillis militaire, et depuis l’offensive qui a mené à la chute de Bachar al-Assad, il demande désormais qu’on l’appelle par son patronyme civil, Ahmed Hussein al-Charaa, et non plus par son nom de guerre. Faut-il y voir des signes positifs pour le futur de la Syrie ou est-ce de la poudre aux yeux ? Patrice Franceschi : C’est toute la force de la taqîya (dissimulation de la foi dans un but de conquête, NDLR). Il s’agit de faire baisser la garde aux ennemis potentiels, c'est à dire à l'Occident, leur faire croire que l'on a complètement changé, que l'on est en réalité un groupe parfaitement raisonnable, fréquentable, compatible avec les valeurs humanistes. Abou Mohammed al-Joulani n’imposera pas la sharia dès les premières semaines, la stratégie est pensée à long terme. HTC va simplement tromper la communauté internationale et attendre le moment opportun pour établir son régime totalitaire, une fois qu’ils se sentiront suffisamment solidifiés au pouvoir. Les islamistes qui viennent de renverser Bachar al-Assad ne commettront pas les mêmes erreurs que les talibans qui se sont décrédibilisés trop vite sur la scène internationale. Le Laboratoire de la République : Jean-Noël Barrot, le chef de la diplomatie française démissionnaire a annoncé après la chute de Bachar al-Assad que l’appui de la France à la transition politique « dépendra du respect des droits des femmes, des minorités et du droit international ». Or, vous soulignez avec justesse que ces droits seront respectés dans le cadre de la taqîya, au moins pendant les premiers mois du nouveau régime. A quoi faut-il conditionner l’appui de la France dans ce cas-là ? Patrice Franceschi : Il ne faut pas être dupe et intégrer le fait que les signes positifs que l’on risque de constater dans les premiers mois en Syrie - notamment pour les femmes - font partie d’une communication soigneusement orchestrée et pensée en amont. Il faut donc bien sûr renouer des liens diplomatiques, s’impliquer et discuter avec les pouvoirs en place mais sans naïveté. On peut imaginer par exemple imposer à al-Joulani que les Kurdes – qui contrôlent un tiers des territoires et qui sont pour l’instant les seuls vrais démocrates de la région - soient une composante des discussions, et non pas seulement des cibles à éliminer pour l’armée nationale syrienne. Il est nécessaire que l’on conditionne le soutien de la France à la garantie de sécurité des Kurdes et à leur intégration dans la construction d’une solution politique : si les nouvelles forces politiques en Syrie se plient à ces exigences, alors ce sera un gage de sérieux, sinon c’est de la pure taqîya qu’il faudra dénoncer. Reste aussi l’inconnue de la stabilité réelle de la coalition islamiste d’HTC : il ne faut pas oublier que tous ces groupuscules issus de Daesh, des différentes milices, d’Al-Nostra etc. se détestent entre eux. Il n’est pas impossible que la Turquie ne parvienne pas à contenir les rivalités de pouvoir qui vont se faire jour dans les prochaines semaines et que cet épisode ne se termine à la libyenne.  

Du 29 au 31 août 2024 : Université d’été du Laboratoire de la République à Autun

le 23 août 2024 Visuel de l'Université d'été du Laboratoire de la République
Du 29 au 31 août, l'Université d’été du Laboratoire de la République prend ses quartiers à Autun, au cœur de la Bourgogne. Dans un contexte de crise inédite en France et à l’international, ces 3 jours permettront d’échanger et d’être force de proposition sur les grands enjeux auxquels notre République est confrontée. Ouverte à tous, cette première édition est placée sous le signe de la Jeunesse et de l’égalité des territoires.
Présentation_Universitédété_Laboratoire_de_la_RépubliqueTélécharger PROGRAMME_Université_d_été_Laboratoire_de_la_RépubliqueTélécharger Les inscriptions sont fermées. Quand ? Du 29 au 31 août 2024 Où ? À Autun Gare Le Creusot – Montceau TGV (à 30 min en voiture ou navettes de bus)TGV pour Paris Gare de Lyon : 1h20TGV pour Lyon : 40 minutes IMPORTANT : Pour trouver votre horaire de TGV sur le site SNCF Connect, indiquez en gare de destination « Le Creusot-Montceau TGV » (non pas « Autun »)

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