Mercredi 24 avril, à la Maison de l'Amérique latine, le Laboratoire de la République vous invite au rendez-vous des "Conversations éclairées". Brice Couturier et Chloé Morin reçoivent Nicolas Tenzer pour la publication de son dernier ouvrage : « Notre guerre : Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique » aux éditions de l'Observatoire.
Alors que les certitudes d'hier occultent les risques de demain, Nicolas Tenzer propose une stratégie indispensable pour avancer dans un monde qui est, de fait, en guerre. "Notre guerre" n'est pas simplement un livre sur la géopolitique ; c'est un appel à la lucidité, une cartographie des illusions lourdes de notre vulnérabilité. Ainsi, Nicolas Tenzer ne se borne pas à diagnostiquer les maux de notre époque : il propose une feuille de route rigoureuse et pragmatique pour naviguer dans un monde où la guerre est devenue notre présent. L'auteur s'immerge dans l'urgence d'une époque où le droit international est de plus en plus détruit et où les démocraties, affaiblies, perdent pied devant des régimes qui ne reculent pas devant le crime de masse. Dès lors, la guerre russe contre l'Ukraine n'est pas une anomalie, mais le reflet d'un monde en proie à un révisionnisme systématique et insidieux. Tenzer dévoile la supercherie des politiques lénifiantes, révélant une réalité affolante mais indispensable à saisir. Tirant les leçons de l'histoire et des errements stratégiques passés, il offre un plan d'action pour une nouvelle diplomatie de guerre, étayée par une analyse implacable des évolutions actuelles : entreprises criminelles russes, ambitions chinoises, conflagrations au Moyen-Orient et attaques contre les démocraties. Il met en relief l'idée que notre monde nécessite une saisie sans complaisance des forces à l'œuvre. Nous serions sinon condamnés à réitérer les fautes qui ont conduit à la catastrophe.
Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po et auteur du blog politique internationale Tenzer Strategies.
Échanges suivis d’une séance de dédicaces.
Quand ? Mercredi 23 avril, à 19h30
Où ? Maison de l’Amérique latine
217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris
Participation libre, inscription obligatoire
Pour vous inscrire, cliquez-ici
A la veille de « l’anniversaire » des deux ans de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et dans un contexte marqué par des échéances électorales décisives, Nicolas Tenzer apporte son analyse du conflit et évoque le rôle des occidentaux. Il est enseignant à Sciences-Po Paris, non-resident senior fellow au Center for European Policy Analysis, blogueur sur les questions internationales et de sécurité sur Tenzer Strategics, et vient de publier "Notre Guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique" (Éditions de l’Observatoire, 2024).
Le Laboratoire de la République : Voilà deux ans que la Russie a envahi l’Ukraine. A la lumière des forces en présence et de la spécificité du conflit, doit-on s’attendre à un conflit de longue durée ?
Nicolas Tenzer : Rappelons d’abord que, en réalité, cette guerre, devenue totale le 24 février 2022, dure depuis dix ans. Pendant longtemps, beaucoup ne voulaient pas la voir et les dirigeants n’en parlaient guère alors que, avant 2022, elle avait déjà fait 14 000 victimes et 1,6 million de déplacés. A l’époque, lorsque je disais que la guerre faisait rage à 3 heures d’avion de Paris, beaucoup me regardaient interloqués. Donc le conflit de longue durée que vous évoquez, il est en fait déjà là. Va-t-il encore continuer longtemps ? Je répondrais comme le président Zelensky l’a fait récemment à la Conférence de Munich sur la sécurité : « Ne demandez pas aux Ukrainiens quand la guerre va se terminer. Demandez-vous (Occidentaux) pourquoi Poutine est encore capable de la poursuivre ». Cette phrase rappelle trois réalités. La première est que la guerre serait déjà achevée par la victoire de l’Ukraine si les Occidentaux l’avaient déjà voulu. Nous avions la possibilité d’arrêter les massacres commis par Moscou mais nous, Alliés, n’en avons pas décidé ainsi. Ensuite, le péché capital, qui vaut culpabilité, ayant consister à laisser des dizaines d’Ukrainiens se faire assassiner est uniquement le nôtre. Enfin, cette phrase est indicatrice de la suite des temps. Ce qui va advenir dans les mois qui viennent dépend de notre volonté de donner toutes les armes possibles, sans limitation en termes de spécificité (portée des missiles, avions de chasse) pour permettre à l’Ukraine de gagner et à la Russie d’être défaite. Si nous prenons conscience de cette nécessité, il n’est, pour les nations européennes, d’autre choix que de passer réellement en économie de guerre.
Les Ukrainiens ont démontré leur incroyable faculté d’innovation sur le plan technologique. Cela m’a encore frappé chaque fois que je suis retourné en Ukraine depuis le début de cette guerre totale. Elle a quand même réussi à détruire 20 % de la flotte russe en Mer Noire et à menacer la Crimée. Un de mes amis, ancien ministre ukrainien, me prédisait déjà en septembre 2022 que la Crimée pourrait être récupérée avant le Donbass. Quand, à mon tour, j’évoquais cela dans plusieurs émissions, beaucoup se montraient sceptiques. C’est progressivement en train de se réaliser. Si la Russie a certes trois fois plus de soldats à mobiliser que l’Ukraine, l’absence de souci de la part de Poutine pour ses soldats fait qu’ils meurent en plus grand nombre dans des batailles inutiles. Avec toutes les armes occidentales, l’Ukraine pourrait frapper en profondeur les forces ennemies, y compris sur le territoire russe – ce qui est légal en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies – et obliger Moscou au reflux. Tous les experts sérieux disent que, si nous le voulons, Kyïv peut l’emporter d’ici la fin de l’année.
Le Laboratoire de la République : Quelle est votre analyse de l’impact des élections américaines sur la mobilisation occidentale en faveur de l’Ukraine ?
Nicolas Tenzer : La possibilité d’une victoire de Trump en novembre, qui n’est pas une découverte récente, a eu un effet de remobilisation des pays européens sur le plan militaire. Leurs dirigeants ont été saisis comme d’un vertige, car ils savent que, sans les États-Unis, non seulement l’Ukraine aurait pu ne pas survivre aux assauts russes, quand bien même cette aide américaine reste insuffisante, mais que les pays européens ne seraient pas à même d’utiliser leur propre défense conventionnelle pour résister aux attaques russes contre l’un des leurs. Ils ont pris conscience que, pour assurer eux-même cette défense, ils devront passer rapidement bien au-delà des 2 % du PIB, norme minimale fixée par l’OTAN et que la France n’atteindra que cette année. Si l’on devait, de plus, remplacer le parapluie nucléaire américain, ce chiffre devrait même être triplé. Mais c’est prioritairement nos forces conventionnelles que nous devons renforcer de manière drastique. Pour ne citer qu’un chiffre, le budget de défense de l’UE représente aujourd’hui un tiers du budget américain, alors que la taille de notre population est supérieure.
Autrement dit, nous devons nous mettre en état non seulement d’assurer notre propre défense territoriale au niveau européen, mais également être capables d’intervenir alors même que Washington ne le voudrait pas. La question pourrait d’ailleurs se poser concrètement pour l’Ukraine en cas de victoire électorale de Trump. Or, là aussi, le problème n’est pas entièrement nouveau : rappelons-nous que François Hollande, en 2013, était prêt à frapper les centres de commandement du régime criminel syrien après les attaques chimiques contre la Ghouta, mais a dû y renoncer après qu’Obama ait refusé de faire respecter la ligne rouge qu’il avait lui-même déterminée et que la Chambre des Communes britanniques l’a aussi exclu. Notons que cette décision du président américain a été comme un signal donné à Poutine qu’il avait les mains libres. 2014 en découle logiquement.
Le Laboratoire de la République : En cette année des élections européennes, quel rôle peut et doit jouer l’Europe pour influer sur l’issue du conflit ?
Nicolas Tenzer : L’Europe doit prendre la tête dans le combat le plus résolu pour qu’une action décisive soit engagée en Ukraine, sinon elle perdra toute légitimité et toute crédibilité. Comme souvent, nos impératif en termes de valeurs et de sécurité se rejoignent. Abandonner l’Ukraine ou chercher lâchement à négocier avec Poutine serait d’abord trahir nos principes, et notamment notre obligation de faire respecter le droit international. Cela a toujours été au cœur de la vocation européenne, beaucoup plus, reconnaissons-le, qu’américaine. Une telle trahison de la cause ukrainienne serait d’autant plus dramatique que, à Maidan déjà, l’Ukraine a chassé son dictateur pro-russe Viktor Ianoukovitch, au nom des valeurs européennes et que, aujourd’hui, ses combattants meurent pour nous aux avant-postes d’une guerre européenne que nous leur avons honteusement déléguée. En 2015, l’ancien ministre tchèque des Affaires étrangères, Karel Schwarzenberg, disparu l’année dernière, déclarait que le destin de l’Europe se jouerait en Ukraine. Car si l’Ukraine tombe, si Poutine ne connaît ne serait-ce qu’une demi-victoire, c’est ensuite l’Union européenne qui sera attaquée. L’Ukraine est la dernière sur la liste avant nous dans ce qui serait une liste actualisée de nos indifférences telle que le Pasteur Martin Niemöller l’avait jadis formulée. Après avoir laissé se faire massacrer les Tchétchènes, les Géorgiens et les Syriens, sans les Ukrainiens nous n’aurons plus personne pour nous défendre. J’espère que la France pourra prendre la tête de ce combat européen pour l’Ukraine et faire comprendre à ses citoyens comme à tous ceux de l’Europe que cette guerre est la nôtre et qu’elle requiert, car elle est totale, une mobilisation de même nature. Devant un ennemi radical dans le crime et la volonté de destruction, nous devons apprendre à penser, puis à agir, radicalement. Soyons directs : je ne suis pas sûr qu’un jour nous n’ayons pas nous-mêmes à livrer cette guerre. Ayons l’intelligence de le regarder en face et de nous y préparer.
Cette étude réalisée par Yasmina Asrarguis, chercheure-spécialiste de géopolitique du Moyen-Orient, analyse un total de 1 284 publications originales sur la plateforme sociale X, publiées par les dirigeants européens Charles Michel, Emmanuel Macron, Josep Borrell, Olaf Scholz, Roberta Metsola et Ursula Von der Leyen entre le 6 octobre 2023 et le 24 janvier 2024. Bien que les 27 pays s'accordent sur la nécessité de relancer les pourparlers en vue d'une solution à deux États, la stratégie diplomatique de l'UE peine à convaincre les parties prenantes de la faisabilité d'une conférence de paix en Europe. Pour l’heure, la nécessité est aux efforts diplomatiques continus et persistants auprès des acteurs régionaux, cela permettra à l’Europe de gagner en crédibilité en tant que médiateur et de porter sa voix lors des pourparlers entre Israéliens, Palestiniens et pays arabes.
Fin janvier 2024, les tractations à Paris entre les services de renseignements israéliens, américains, qataris et égyptiens ont permis de négocier les termes d’une possible trêve des combats ainsi que la libération d’otages israéliens détenus par le Hamas et le Jihad islamique. Le choix de Paris dans le cadre de cette nouvelle phase de négociations est à saluer, bien que le retour de l’Europe dans les négociations de paix, entre Israéliens et Palestiniens, demeure timide et limité à la médiation avec le Hezbollah. Alors que la France s’apprête à accueillir, dans les prochains jours, l’émir du Qatar en visite officielle, nous analysons ici le positionnement diplomatique des décideurs européens ainsi que leurs discours politiques depuis le massacre du 7 octobre 2023.
GUERRE ISRAEL-HAMAS: RETOUR DE L’EUROPE DES DEUX BLOCS
Face à la guerre Israël-Hamas à Gaza, les dirigeants européens ont d’abord condamné le massacre et les crimes commis contre les civils israéliens, avant d’emboîter le pas de la diplomatie onusienne en appelant au cessez-le-feu humanitaire et à la reprise des négociations diplomatiques. La division même de l’Europe en deux blocs est apparue comme indéniable dès le 10 octobre dernier à l’Assemblée générale des Nations Unies, lors de l’adoption en session d’urgence d’une résolution jordanienne en matière de protection des civils et de respect des obligations juridiques et humanitaires à Gaza : en phase de négociation, certains pays européens ont vivement critiqué l'absence de formulation concernant le massacre d'Israéliens et la nécessité de libérer tous les otages israéliens détenus par le Hamas.
Vote des Européens à la résolution onusienne appelant à une "trêve humanitaire" immédiate et durable (27/10/2023)
Yasmina Asrarguis
Défendue publiquement par l'Iran, cette résolution fut votée par une large majorité d’États membres de l'ONU, avec 120 voix en faveur de la résolution, 14 contre et 45 abstentions. Au sein de l’Union Européenne, huit pays votèrent en sa faveur : l’Espagne, le Portugal, Malte, la Belgique, le Luxembourg, l’Irlande, la Slovénie, et la France, contre quatre pays qui s’y opposèrent : l’Autriche, la République Tchèque, la Croatie, et la Hongrie. Enfin, quinze pays européens ont fait le choix de l’abstention : la Bulgarie, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Suède, et la Slovaquie. Pour rappel, ce vote intervient quelques jours après que le Conseil de sécurité ait échoué, en quatre sessions, à parvenir à un quelconque accord et consensus sur la situation au Moyen-Orient.
Le grand fossé qui sépare l'Europe de l'Ouest de l'Europe de l'Est témoigne des frontières idéologiques qui prévalent au sein de l'Union européenne : le positionnement diplomatique en matière de paix au Moyen-Orient n'échappe pas aux facteurs endogènes que sont l'histoire nationale, la démographie et les alliances avec les grandes puissances. Ces éléments structurels ont façonné les relations des États membres de l'UE avec les Israéliens et les Palestiniens, mais aussi leur volonté de s'engager ou de se désengager de la région en temps de guerre.
GUERRE DU SOUCCOT : ANALYSE DES PRISES DE PAROLES POLITIQUES
a. La France, premier pays d’Europe, à s’exprimer sur le conflit
Entre le 6 octobre 2023 et le 24 janvier 2024, nous avons analysé un total de 1284 publications sur la plateforme sociale X, postées par les principaux décideurs européens dont Charles Michel, Emmanuel Macron, Josep Borrell, Olaf Scholz, Roberta Metsola et Ursula Von der Leyen. Au cours de nos recherches, nous avons constaté des différences fondamentales dans la manière dont les dirigeants européens s’expriment sur ce dossier, à commencer par le nombre de publications qu'ils ont consacré à la guerre en Israël-Palestine.
Depuis le 7-Octobre, près d'un quart (22 %) des expressions publiques des leaders européens mentionnent le conflit en Israël-Palestine, à l’exception des publications de Roberta Metsola qui ne mentionne nullement le « conflit ». En revanche, environ un tiers (31 %) des publications de Josep Borrell mentionnent le conflit israélo-palestinien ou les parties belligérantes, suivi par Olaf Scholz (28 %), Emmanuel Macron (26 %), Ursula Von der Leyen (19 %) et Charles Michel (14 %). Josep Borrell a, du fait de sa fonction, publié le plus grand nombre de tweets sur le conflit en chiffres absolus (96 au cours de la période observée), ce qui représente un tiers de toutes les publications faites par les dirigeants de l'UE. Il est suivi par Emmanuel Macron (71 publications), Olaf Scholz (50), Ursula Von der Leyen (47) et Charles Michel (24).
Nous avons ensuite segmenté les publications et analysé le contenu de ces expressions publiques, qui dans leur grande majorité tente à réaffirmer les objectifs de court-terme des dirigeants européens : désescalade, respect du droit humanitaire, protection des civils, et libération des otages.
Expressions politiques des européens sur le conflit Israël-Hamas, en nombre de publications Twitter (6 octobre 2023 au 24 janvier 2024)
Yasmina Asrarguis
b. Evolution de l’expression politique avec la guerre
Dans les premières semaines qui ont suivi l’attaque terroriste du Hamas dans les kibboutzim et au festival Tribe of Nova, les dirigeants européens se sont empressés de condamner publiquement les massacres et de les qualifier d'actes terroristes, réclamant par ailleurs la libération des otages israéliens. Six semaines après le 7 -Octobre, les leaders européens ont cessé de mentionner explicitement la barbarie et le terrorisme du Hamas, tout en réclamant la libération des otages israéliens. Au premier jour de l’opération Déluge d’al-Aqsa, riposte israélienne à Gaza, les Européens ont subitement changé de discours politique en insistant dorénavant sur l’importance de la protection des civils et de la mise en place de couloirs humanitaires. À mesure que le conflit évolue depuis novembre 2023, nous constatons que les décideurs européens persévèrent dans leur appel commun à la désescalade, tout en insistant sur l’importance du solution politique à deux États.
Yasmina Asrarguis
A ce jour, la crise humanitaire reste l’enjeu principal de prise de parole européenne et la question de la résolution politique du conflit n’a véritablement gagné du terrain que six semaines après le début des hostilités sans que cela ne fasse l’objet d’une grande vision ou stratégie pour la paix. Comme en témoigne le graphique ci-dessous, la chute drastique du nombre de publications sur la guerre Israël-Hamas à partir de décembre 2023 (semaine 8) témoigne d’un progressif retrait ou travail à la marge des décideurs européens. Il est à noter qu’il n’y a eu aucun déplacement majeur de leader Européen en Israel-Palestine en 2024, à la différence du secrétaire d’Etat américain en visite officiel à Jérusalem le 7 février dernier.
Armer la diplomatie européenne d’ambition
L’UE doit statuer sur le niveau d’incitation économique et politique qu'elle souhaite mettre sur la table afin de décourager l'escalade en Israël-Palestine. Les dirigeants de l'UE ont publiquement déclaré qu'ils étaient prêts à soutenir toute forme de processus de paix conduisant à une solution à des deux États. Cette position de facilitateur doit maintenant être renforcée par une initiative pragmatique ou des pourparlers secrets qui ouvriraient la voie à une conférence de paix plus large. Alors que la guerre Israël-Hamas fait rage, l’Europe peut contribuer à un effort de stabilisation grâce à trois principaux leviers d’action. Premièrement, les États membres de l'UE doivent investir en capital politique auprès des acteurs régionaux de confiance, et dont la capacité de médiation et de stabilisation est avérée. Deuxièmement, les dirigeants de l'UE se doivent d’être plus visibles, proactifs et présents sur le terrain lors des sommets et forums régionaux au cours desquels la paix au Moyen-Orient est débattue. Enfin, l'aversion de l'Europe à la guerre au Proche-Orient doit être mise au service d’une nouvelle ambition diplomatique et stratégique permettant de relancer le dialogue politique entre Jérusalem et Ramallah, mais également de positionner l’Europe sur le plan régional.
En 2024, le monde fait face à une période de profonde incertitude, marquée par des changements démographiques et géopolitiques significatifs. Les démocraties, autrefois majoritaires, sont désormais en minorité, tandis que des zones de conflit à travers le globe soulèvent des questions cruciales sur l'avenir. Les élections à venir aux États-Unis, en Russie et dans l'Union européenne, ainsi que d'autres défis tels que le changement climatique, les fractures sociales et les avancées technologiques, suscitent des inquiétudes mondiales. Gérard Mermet, Président et fondateur du cabinet de conseil et d’études Francoscopie, dresse les incertitudes de l'année.
Les vœux que nous recevons (et formulons) en début de chaque nouvelle année se suivent et se ressemblent. Bien que généreux et sincères, ils restent le plus souvent « pieux » (même dans une société laïque !) et ne se réalisent pas. Ceux de 2024 traduisent des inquiétudes particulièrement fortes dans les démocraties, désormais minoritaires en nombre et en population. Les incertitudes sont en effet nombreuses :
Les guerres en Ukraine et au Proche-Orient. Jusqu’à quand ? Avec quelles armes (le tabou ultime du nucléaire sera-t-il levé ?). Avec quelles conséquences pour les protagonistes et pour un Occident de plus en plus menacé ? D'autres affrontements sont en cours ailleurs : Syrie, Yémen, Éthiopie, Afghanistan, Haïti, Somalie, Soudan, Myanmar... Qu’adviendra-t-il de chacun d’eux ?
Des élections à fort enjeu pour les populations concernées, mais aussi parfois pour le reste du monde. Ce sera le cas en particulier aux États-Unis (novembre), en Russie (avril) et au sein de l’Union européenne (en juin pour les 27 pays membres) et, individuellement en Autriche, en Finlande, en Lituanie, au Portugal et au Royaume-Uni. D’autres élections auront également lieu. Par ordre alphabétique : Bélarus, Croatie, Inde, Indonésie, Iran, Taïwan. Au total, plus de la moitié des habitants de la planète seront concernés. Mais parmi eux, combien iront voter ? Combien pourront le faire en toute liberté ?
Les catastrophes climatiques probables : inondations, séismes, raz de marée, incendies, canicules, etc. Elles fourniront des images spectaculaires aux journaux télévisés et à internet. Les spectateurs compatiront pour les victimes et craindront d'être touchés à leur tour. Cela alimentera-t-il le pessimisme ambiant ou renforcera-t-il le désir d’agir ?
Les fractures sociales (nombreuses dans les démocraties comme la nôtre) : sentiment de déclin ; peur du déclassement ; défiance généralisée ; affaissement des liens sociaux ; faillite du modèle républicain ; polarisation des opinions ; légitimation de la violence... Seront-elles réduites ou aggravées ?
L’impact des nouvelles technologies (intelligence artificielle, robots, neurotechs, biotechs…) sur les modes de vie. Les craintes qu’elles font naître occulteront sans doute encore les opportunités qu’elles recèlent. Diminueront-elles notre capacité à les utiliser pour le bien commun ?
Les attitudes des populations face à l’avenir. Ainsi, les Français vont-ils confirmer leur préférence pour le confort et le court terme, ou consentir à l’effort (individuel et collectif) nécessaire pour relever les grands défis actuels ?
L’évolution des idéologies délétères : populisme, communautarisme, négationnisme, séparatisme, obscurantisme, racisme, antisémitisme, wokisme… L’irrationalité et l’immoralité vont-elles se généraliser en matière économique, environnementale, sociale, politique ou culturelle ?
L’accroissement du nombre de régimes « illibéraux » et la prolifération des « vérités alternatives », deux néologismes inventés pour remplacer « dictatures » et « mensonges ». Ces menaces réveilleront-elles les démocraties ?
Les risques d'actes terroristes, qui entretiennent la panique et la paranoïa dans les sociétés fragiles. Ils se produiront à la fois dans le monde réel et le monde virtuel, désormais indissociables dans nos vies. Les J.O. de Paris constituent évidemment une cible privilégiée. Permettront-ils de restaurer l’image de la France dans le monde ou la dégraderont-ils encore ?
La montée des « incivilités » confirmera-t-elle la « décivilisation »et l’abandon de la « morale » dont elles témoignent ?
Cette liste n’est pas exhaustive. Je pourrais y ajouter encore d’autres risques et « cygnes noirs » probables ou possibles, mais imprévisibles quant à leur date d'occurrence. Ces menaces sont d’autant plus grandes qu’elles sont intercorrélées. Heureusement, les cygnes noirs sont beaucoup moins nombreux que les blancs. D’autres « signes » (l’homonymie est intéressante…) permettent aussi d’espérer. Par exemple, la chance que nous avons d’exister (la probabilité était au départ extrêmement faible) et de vivre en France (malgré tout…).
Il reste que nos démocraties sont aujourd’hui mentalement démunies et matériellement affaiblies. Sauront-elles faire preuve du réalisme, de la responsabilité, de l'autorité, du courage, de l'unité et de la créativité nécessaires pour sortir de l’impasse dans laquelle elles se trouvent ? Pas sûr.
Mais qui peut vraiment prédire ce qui se passera au cours de cette année ? À défaut de pouvoir le faire de façon scientifique, nous pouvons avoir des convictions argumentées, des intuitions spontanées… ou faire des paris. Mais l’exercice est particulièrement difficile à un moment où le futur peut bifurquer dans de nombreuses directions, et démentir les meilleurs experts. Certains d’entre eux vont d’ailleurs obligatoirement se tromper puisqu’ils ne sont pas tous d’accord (à moins qu’ils se trompent tous !). D’autres se vanteront d’avoir eu raison, alors qu’ils auront eu surtout de la chance. Reconnaissons en tout cas que les planètes ne sont pas alignées et que la nôtre ne se porte pas au mieux…
Aussi, pour bien vivre cette nouvelle année, je suggère de ne pas écouter les pessimistes, déclinistes, défaitistes ou « collapsologues », qui annoncent le pire. D’abord, parce que l’histoire (y compris récente) nous enseigne qu’il n'est jamais certain. Mais, surtout, parce que ces attitudes engendrent le désespoir, l'immobilisme, le fatalisme. Ou, plus grave encore, l'indifférence. Et donc le déclin.
Pour nous rassurer, nous pouvons adhérer à la prophétie de Victor Hugo : « Nos plus belles années sont celles que nous n'avons pas encore vécues ». Une attitude à la fois positive et poétique, mais probablement fausse car nous idéalisons davantage le passé que le futur. Alors, tournons-nous plutôt vers Gaston Berger, fondateur en France de la prospective, qui rappelait tout simplement que « L’avenir n’est pas à découvrir, il est à inventer ». C’est en effet à chacun de nous d’agir sur les événements que nous redoutons, afin qu’ils n’adviennent pas. Chacune des menaces qui pèsent sur le monde (et notre pays) est une occasion de le rendre meilleur.
La publication de fake news sur les réseaux sociaux après l'attaque terroriste en Israël du samedi 7 octobre 2023 remet en lumière l'enjeu démocratique crucial de la vérification des informations. Chine Labbé, rédactrice en chef, Europe, chez NewsGuard, une société américaine qui évalue la fiabilité des sites d'information et d'actualité, analyse le nouvel environnement de l'information et explore des pistes de solutions.
Le Laboratoire de la République : Depuis l'acquisition en 2022 de Twitter (devenu X) par Elon Musk, de nombreux commentateurs estiment qu'une détérioration de la qualité de l'information est sensible sur le réseau. Est-ce le cas ? Pourquoi ?
Chine Labbé : Vous posez la question d'une détérioration de la qualité de l'information sensible sur le réseau. Ce que je dirais, c'est qu'il y a eu des changements de règles de la plateforme qui ont contribué à une perte de lisibilité de l'information. Qu'est-ce que j'entends par là ? Et quel changement de politique en particulier ? Le premier, le plus important, c'est le changement de politique lié à la coche bleue sur X, autrefois Twitter. Cette petite coche bleue qui autrefois était adossée aux comptes qui étaient soit des comptes notoires, des comptes d'intérêts publics, des comptes authentiques reconnus par la plateforme comme tel. Aujourd'hui, cette coche bleue est disponible sur abonnement. Il suffit de payer pour l'avoir. Elle offre aux clients qui s'en saisissent, une visibilité plus grande sur la plateforme. Les contenus sont promus et ont une apparence de légitimité pour les internautes qui ne comprendraient pas finalement à quoi correspond cette politique et à quoi correspond cette coche bleue. De nombreux colporteurs d'Infox connus se sont saisis de cette coche bleue. Aujourd'hui, ils diffusent et s'en servent pour diffuser de manière beaucoup plus efficace, et avec ce semblant de légitimité, leurs fausses informations sur la plateforme. On l'a observé pour des sujets comme les vaccins, la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Et malheureusement, cela se confirme avec le conflit entre Hamas et Israël.
Deuxième changement de politique qui est important de mentionner et qui a contribué à cette perte de lisibilité, c'est le retrait des labels sur les comptes qui appartiennent à des médias d'État qui diffusent de la désinformation. Autrefois, vous aviez un petit label qui disait « média » appartenant à un État. Et puis, ces labels ont disparu. Dans les semaines qui ont suivi le retrait de ces labels, on a observé un pic de l'engagement avec ces comptes. C'est-à-dire que les partages, les likes, ces contenus ont été beaucoup plus viraux. On a fait un rapport chez NewsGuard sur ce sujet précisément et dans le détail, on a observé une augmentation de l'engagement avec des comptes appartenant à des médias d'État russes, chinois et iraniens en anglais. On a vu l'engagement avec ces comptes bondir de 70% dans les semaines qui ont suivi ce changement de politique.
Le dernier point que j'aimerais souligner, c'est que Twitter a, semble- t- il, diminué de manière drastique ses équipes de modération des contenus et liées au suivi de ce qui se passe en termes de désinformation sur la plateforme. Twitter s'est retiré du code de bonnes pratiques contre la désinformation de l'Union européenne, auquel nous, nous sommes signataires chez NewsGuard. Donc, autant de signaux qui sont évidemment inquiétants.
Le Laboratoire de la République : A la suite de l'attaque terroriste du Hamas sur Israël, des fausses informations ont été fortement relayées sur le réseau et sur internet. Quel regard portez-vous sur la qualité de l'information partagée lors de ce drame ?
Chine Labbé : Ce dont on s'est aperçu très rapidement, le samedi 7 octobre, jour de l'attaque du Hamas contre Israël, c'est que les réseaux sociaux et les sites Internet ont été inondés de fausses informations. Trois jours seulement après l'attaque du Hamas, nous avions recensé 14 fausses informations qui avaient rassemblé 22 millions de vues sur X, sur TikTok et sur Instagram. Aujourd'hui, une semaine plus tard, on a déjà recensé et décrypté une vingtaine de fausses informations. Ça va très vite. Ce qu'on observe, ce sont à la fois des techniques bien connues qu'on a observées déjà lors de la guerre en Ukraine, des images, des vidéos qui vont être sorties de leur contexte ou qui vont être présentées comme appartenant à ce conflit alors qu'en fait elles sont issues d'autres conflits, d'autres terrains de guerre. On va observer aussi des images de jeux vidéo qui vont être présentées comme réelles et comme ayant été prises lors de ce conflit. On a des documents falsifiés, tout simplement photoshoppés, des mémos de la Maison Blanche, par exemple. Donc des techniques assez simples, assez artisanales, mais qui font déjà beaucoup de dégâts.Et ce qui est assez incroyable aussi, c'est de constater que certaines images vont être utilisées pour nourrir à tort des récits faux, parfois de manière contradictoire, pour nourrir des récits qui disent l'inverse. Je vous donne un exemple. On a cette image qui a circulé d'un enfant au sol dans une flaque de sang, qui a été présentée par certains comme la preuve qu'Israël mettait en scène la mort d'enfants israéliens, et de l'autre qui avait pu être présenté comme la preuve que le Hamas mettait en scène la mort d'enfants palestiniens. Les deux sont faux. Les deux récits sont faux. Cette image, en fait, elle est extraite d'un court- métrage qui a été tourné bien avant la guerre entre Israël et le Hamas. Et donc, ce sont des images juste des coulisses d'un film. Mais donc, ça montre bien à quel point l'instrumentalisation d'images qui n'ont rien à voir avec le conflit peut aller très vite. Ça prend du temps pour nous, journalistes, de vérifier l'information, d'arriver à voir ce qui est faux ou ce qui est juste pour l'instant non prouvé ou sorti de son contexte ou trompeur, etc. Ça prend du temps à l'expliquer et la difficulté, évidemment, c'est cette course contre la montre pour essayer de prouver qu'une chose est fausse ou véritable, alors même qu'elle est déjà virale sur les réseaux sociaux.Quelques petits éléments qu'on peut mentionner, c'est malheureusement la forte présence des enfants dans les fausses informations qui circulent, des enfants, des bébés. Pourquoi ? Parce qu'on sait que c'est très sensible. Ça nous touche tous au plus profond. Les contenus les plus viraux relayant de fausses informations sont malheureusement souvent des images d'enfants. Pour contrer ces fausses informations, nous sommes allés vérifier les informations au fur et à mesure, au plus vite. Nous avons renseigné les internautes sur les sources qu'ils lisent, que ce soit des sites Internet, des comptes sur les réseaux sociaux. Pourquoi c'est important ? Parce que les colporteurs de fausses informations sont souvent des multirécidivistes. Ceux qui diffusaient de fausses informations sur l'Ukraine, qui diffusaient auparavant de fausses informations sur le Bataclan, qui diffusaient auparavant de fausses informations sur la guerre en Syrie, s'engouffrent dans la brèche et diffusent aujourd'hui de fausses informations sur ce qui se passe au Proche-Orient. C'est important de les identifier pour pouvoir surveiller leurs récits et aller les décrypter au fur et à mesure.
On voit depuis le début du conflit des techniques assez artisanales, finalement, des images qui sont bien réelles, mais juste sorties de leur contexte ou présentées à tort, ou on va avoir des vidéos qui vont être switchées et titrées dans une autre langue avec une fausse traduction, mais la vidéo, elle est bien correcte. Ces choses- là, bien artisanales, font déjà beaucoup de mal. Donc, ce que l'on craint, évidemment, c'est ce qui va se passer quand, si, des images créées de toute pièce par intelligence artificielle commencent à inonder nos réseaux, puisque là, ça sera d'autant plus difficile de répondre.
Le Laboratoire de la République : Le commissaire européen Thierry Breton a menacé le réseau social X de sanctions. L'Union Européenne a-t-elle aujourd'hui les moyens de ses ambitions en matière de régulation des contenus sur les réseaux ?
Chine Labbé : Moi, je suis journaliste, donc ce n'est pas trop ma place d'aller commenter les textes de loi et l'effet positif ou négatif qu'ils peuvent avoir. Ce que je peux dire en tout cas, c'est qu'effectivement, depuis plusieurs années, l'Union européenne se dotte de nouveaux outils pour combattre cette nouvelle menace. Mais tout ne doit pas venir de la régulation. Il y a toujours la question de la transparence des plateformes, notamment en ce qui concerne les algorithmes de recommandations. Quels contenus deviendront viraux et pourquoi ? Il est nécessaire que des entreprises comme la mienne puissent donner des suppléments d'information aux internautes. Les internautes doivent avoir des informations sur les sources qui leur donnent des informations. Ils doivent également apprendre à lire ces informations, avoir une lecture latérale. Quand une information apparait suspecte, il faut faire l'effort d'aller regarder ailleurs. La multiplication des contenus rend la tâche très difficile de tout vérifier. Les internautes doivent apprendre la résilience à la désinformation. Cela passe par l'éducation aux médias. Toutes les classes d'âge sont concernées. Beaucoup de désinformations sont relayées par les personnes âgées.
https://youtu.be/59Vh7KfLYIs
La nouvelle phase du conflit entre les Palestiniens et les Israéliens, déclenchée par l'attaque du territoire israélien par le Hamas le 7 octobre 2023, met en évidence de manière particulièrement brutale la complexité, les points communs et la superposition des conflits qui caractérisent l'actuel paysage mondial. Jean-François Cervel, ancien inspecteur général de l'Éducation nationale, ancien directeur du Cnous (Centre national des oeuvres universitaires et scolaires) et membre de la commission Défi géopolitique, met en lumière les niveaux de conflictualité qui assombrissent le monde.
La nouvelle phase de la guerre entre Palestiniens et Israéliens ouverte par l’attaque du territoire israélien par le Hamas, le 7 octobre 2023, donne un éclairage particulièrement brutal sur la superposition de conflits qui caractérise le paysage mondial actuel.La situation sur ce théâtre particulier d’opérations est, en effet, tout à fait révélatrice des quatre niveaux de conflictualité qui se manifestent un peu partout à travers le monde.Le premier niveau est celui de l’affrontement territorial local. En l’occurrence il s’agit de la bataille pour le territoire de cette région comprise entre la Méditerranée et l’axe Tibériade-Jourdain-Mer Morte.Le deuxième niveau est celui de la guerre de religion lancée par les islamistes radicaux contre les juifs et les occidentaux considérés globalement comme « chrétiens ».Le troisième niveau est celui de l’affrontement, plus traditionnel, des puissances qui soutiennent, respectivement, les différents protagonistes des conflits territoriaux et qui essaient de profiter de toutes les circonstances pour répondre à leurs propres intérêts et se développer.Le quatrième niveau est celui de l’affrontement de systèmes qui est clairement affiché par le bloc des pays totalitaires contre le « modèle » occidental et ses valeurs.Ces quatre niveaux de conflictualité se conjuguent ou se mêlent, selon les lieux, de manière complexe, mais génèrent une extrême montée en tension des relations internationales.Le premier niveau est, effectivement, celui des conflits de territoires. Le conflit territorial c’est le conflit traditionnel, celui qui a alimenté les guerres tout au long de l’histoire de l’humanité, sur tous les théâtres géographiques. On le trouve évidemment à l’origine du conflit israélo-palestinien. Comment se partager ce territoire de la Palestine ? L’absence de réponse définitive à cette question, posée dès l’origine, continue à alimenter le conflit plus de 75 ans après la création de l’état d’Israël.Le territoire est, évidemment, un élément de la nationalité et de l’identité. Et c’est cette logique de l’affrontement des nationalismes que l’on retrouve dans une série d’autres conflits, celui entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, celui entre la Serbie et la Bosnie et entre la Serbie et le Kosovo, celui entre la Russie et l’Ukraine et ceux qui perdurent en différents autres lieux de la planète. C’est l’affrontement entre l’Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire. C’est aussi la présence coloniale de la Chine au Tibet et au Xin Jiang….Le conflit de territoire concrétise l’affirmation de l’identité, de la différence, l’opposition avec l’autre qui ne partage pas ma culture et donc ma vision du monde. Il s’agit de vaincre l’autre, de le dominer voire de le détruire. Et, dans cette logique là, tout est permis, épuration ethnique et massacre de masse. L’actualité ukrainienne, arménienne et israélienne en porte à nouveau tragiquement témoignage, après bien d’autres.Et ces différentes affirmations identitaires sont, le plus souvent, marquées par une appartenance religieuse ou une position politique vis-à-vis de la religion.Ainsi, la défense de la cause palestinienne, la volonté d’établir un territoire pour les palestiniens, est devenue, très vite, la lutte de l’islam contre le judaïsme. Ce ne sont plus les Israéliens que l’on combat mais ce sont les juifs.Le deuxième niveau de conflictualité est donc celui de la guerre de religion.C’est une guerre que les islamistes ont lancée contre les juifs et ceux qu’ils appellent les chrétiens, voire les croisés. Elle a été marquée par la révolution de 1979 mettant en place une théocratie chiite à la tête de l’Iran en renversant le régime du shah favorable à une modernisation à l’occidentale. Elle a été ensuite marquée par le développement d’organisations de combat ayant explicitement pur but de conduire le djihad, la guerre sainte. Al-Qaïda d’abord puis l’Etat Islamique ont pour objectif de frapper les « mécréants » partout où ils se trouvent et d’abord de faire disparaître les chrétiens et les juifs du Proche-Orient en recréant un grand califat. Elle a été marquée par la création du Hamas et du Hezbollah, respectivement à Gaza et au Liban, qui ont islamisé la guerre des Palestiniens contre Israël. De même, la guerre des serbes contre les bosniaques est devenue une guerre des chrétiens orthodoxes contre les musulmans. Et il en est de même pour la guerre des Azerbaïdjanais, soutenus par la Turquie, contre les Arméniens.Cette guerre religieuse est menée par les islamistes radicaux contre tous ceux qui ne professent pas la religion musulmane. Elle a pris la forme d’attentats terroristes multiples dans les pays occidentaux. Celui lancé contre les Twin Towers de New York et d’autres objectifs aux Etats-Unis, le 11 septembre, a généré des guerres de représailles américaines, en Irak et en Afghanistan, qui ont déstabilisé ces pays et renforcé l’affichage de cette dimension d’affrontement religieux. Cette guerre là se poursuit avec de multiples actes terroristes répétés dans la plupart des pays occidentaux. La France en a été plus particulièrement la victime depuis des décennies, jusqu’aux assassinats symboliques de professeurs en 2020 et 2023. Cette guerre se développe aussi sur d’autres théâtre d’opérations et notamment en Afrique, tant à l’Est que dans l’ensemble de la zone sahélienne. Elle utilise de multiples réseaux et relais et sait mobiliser des foules manipulées et fanatisées, dans tous les pays musulmans.Le troisième niveau est l’affrontement de puissance entre les Etats-nations du monde. Tous les Etats-nations du monde essaient, chaque fois qu’ils en ont l’occasion, d’augmenter leur puissance. C’est vrai pour les « grandes puissances » et c’est vrai aussi pour des puissances moins importantes qui utilisent toutes les circonstances pour développer leur influence et leur pouvoir, notamment dans leur environnement régional.En ce qui concerne les « grandes puissances » c’est aujourd’hui l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis qui est central, même si la Russie continue à vouloir être un acteur majeur dans ce registre.La Russie et la Chine essaient de développer au maximum leurs capacités pour s’opposer à la puissance dominante américaine. Elles le font en étendant leur réseau sur toute la planète, réseau économique et financier pour la Chine, symbolisé par le grand programme des « routes de la soie », réseau militaire et politique pour la Russie. Elles le font en exploitant toutes les situations de crises internationales, en soutenant systématiquement tous les pays et mouvements susceptibles d’être hostiles aux intérêts occidentaux. L’exemple de la Syrie et de nombreux états africains ou sud-américains en témoigne. Elles exploitent systématiquement la mémoire de la colonisation.Quant aux puissances moyennes ou en émergence, elles profitent des situations de tension pour développer leur influence et répondre à leurs intérêts. Elles n’hésitent pas à jouer sur tous les tableaux chaque fois qu’il s’agit d’en tirer avantage. Ainsi la Turquie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Egypte utilisent elles le conflit israélo-palestinien pour défendre leurs intérêts propres dans la région proche orientale. L’Inde, le Brésil, la Turquie ou l’Arabie Saoudite font de même à l’occasion de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine.Le quatrième niveau d’affrontement fait, en quelque sorte, la synthèse des trois précédents. C’est l’affrontement de système, quelque fois qualifié, par les acteurs eux-mêmes, de conflit de civilisation. Le président russe affirme que, dans sa guerre contre l’Ukraine, il défend un certain modèle de civilisation, contre la civilisation occidentale décadente. Les dirigeants du parti communiste chinois font la liste de tous les défauts du système occidental pour démontrer combien celui qu’il propose est meilleur. Quant aux dirigeants islamistes, ils estiment que seule la loi de l’Islam doit s’imposer partout et qu’il faut faire disparaître le « modèle » occidental impie.Ces régimes veulent à la fois faire disparaître la domination occidentale dont ils ont historiquement souffert et le système libéral et démocratique que les Européens et les Américains ont mis en place au cours des deux derniers siècles.Le discours du président chinois au récent forum des routes de la soie ( 18 octobre 2023 publié par Grand Continent 19/10/2023 ) qui fait l’apologie de cette initiative chinoise ( Belt and road initiative ) lancée en 2013, est particulièrement révélateur de la démarche engagée, à long terme, par le régime communiste. Il se présente comme un plaidoyer vibrant pour l’ouverture mondiale, les échanges et la coopération au service de la paix et de la prospérité pour tous, vers un avenir radieux de tous les pays du monde, devenus amis et partenaires. Pas un mot d’aucune des guerres en cours, sinon pour dénoncer ceux qui sont pour les sanctions, la confrontation idéologique et la politique des blocs…..Ce discours d’ « impérialisme bienveillant » occulte totalement toute dimension politique et militaire. Il a été prononcé en présence des représentants de 140 états dont Vladimir Poutine, sans que la guerre contre l’Ukraine soit évoquée et devant deux dirigeants de pays européens ( Hongrie et Serbie ) qui accueillent à bras ouverts les investissements chinois…..Le bloc des régimes qui veulent détruire le modèle occidental – et notamment l’axe Pékin-Moscou-Téhéran - utilise les trois autres niveaux de conflits pour conquérir des espaces nouveaux et pour affaiblir au maximum les pays occidentaux. La présence militaire russe en Syrie, au Sahel ou en République centre-africaine, la présence chinoise dans tous les pays, sur tous les continents, en témoignent. En dépit du discours chinois d’ouverture universelle, ces pays anti-occidentaux renforcent tous les jours leur alliance de manière à constituer un bloc autonome, capable de contourner sans difficulté toutes les sanctions occidentales et d’attirer à lui un maximum d’autres pays se prétendant non-engagés. Les « BRICS » comme l’Organisation de coopération de Shangaï sont autant de modalités d’organisation visant à lutter contre l’occident. Ils n’hésitent pas à soutenir les dictatures les plus totalitaires comme la Corée du Nord de la dynastie des Kim et ses menaces militaires permanentes.Cette superposition des niveaux de conflictualité permet le libre cours de tous les rapports de forces et des formes de violences les plus extrêmes telles qu’on les voit se manifester sur un grand nombre de théâtre d’affrontements pour la plus grande souffrance des populations victimes de la barbarie.Un tel panorama ne peut que forcer à des conclusions claires pour ce qui concerne la France et l’Europe.Plus que jamais, il faudrait, une gouvernance mondiale pour affronter les problèmes globaux qui se posent à l’humanité. Or, malgré les discours lénifiants du dirigeant chinois, nul aujourd’hui ne veut faire fonctionner efficacement le dispositif des nations unies. Le conseil de sécurité est constamment bloqué par les vetos antagonistes des grandes puissances opposées, directement engagées dans tous les niveaux de conflits.Face à cette situation, il faut clairement se placer dans une perspective de préparation à la guerre.Nous sommes en guerre contre un ensemble de forces et de pays qui veulent nous dominer et imposer leur vision totalitaire du monde même si leurs modèles totalitaires sont différents et parfois antagonistes.Pour pouvoir mener cette guerre, il faut renforcer l’alliance de tous les pays de démocratie libérale. Unité européenne d’abord, union avec les autres démocraties libérales dans le monde et au premier chef les Etats-Unis d’Amérique dans le cadre de l’OTAN ensuite. Aucun pays européen, seul, n’est en capacité de peser sur la marche du monde. Seule une Europe exerçant les moyens de souveraineté pourrait le faire. C’est tout l’enjeu des prochaines élections européennes que de décider de cette montée en puissance.Pour pouvoir mener cette guerre, il faut donner la priorité absolue au développement scientifique et technologique seul en capacité de fournir les moyens de la gagner. C’est sur ce terrain que se placent nos ennemis et sur lequel il est vital de ne pas se laisser dépasser.C’est seulement si l’Europe est puissante et capable& de résister aux attaques des régimes qui veulent détruire le modèle occidental que nous pourrons peser sur le traitement des problèmes du monde, qu’il s’agisse des différents niveaux de conflictualité ou qu’il s’agisse de la réponse à la crise environnementale par la mise en œuvre d’un programme de développement durable déterminant pour l’avenir de l’humanité.
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