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La décision du Conseil constitutionnel sur la réforme du régime de retraites : une bonne leçon de droit parlementaire

par Noëlle Lenoir le 24 avril 2023
Noëlle Lenoir, membre honoraire du Conseil constitutionnel, avocate et membre du comité scientifique du Laboratoire de la République, revient sur la décision n°2023-849 DC du 14 avril 2023 sur la réforme du régime de retraites. Qualifiant cette décision de « bonne leçon de droit parlementaire », elle évoque les points constitutionnels qui ont été débattus.
Des critiques de la décision qui ont évolué dans le temps La décision du Conseil constitutionnel sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 portant réforme du régime de retraites n’a déçu que ceux qui auraient voulu la voir censurée dans son entier. N’ayant pas pu voir la réforme bloquée par l’activisme procédurier de certains parlementaires, ils auraient aimé que le Conseil constitutionnel l’annule purement et simplement. Y croyaient-ils vraiment ? On peut en douter à l’aune des critiques dont le Conseil a fait l’objet avant et après sa décision.   A l’heure actuelle, lorsqu’une décision déplait, c’est celui ou celle qui la prend qui est visé personnellement. Le Conseil constitutionnel n’a pas échappé à ces attaques ad personam qui ont débuté plusieurs semaines avant le 14 avril. Se doutant peut-être que les saisines des sénateurs et députés (RN et NUPES à l’Assemblée nationale et groupes de gauche au Sénat) avaient peu de chances d’aboutir, il fallait décrédibiliser le décideur à travers ses membres : complices des possédants, insuffisamment compétents faute d’être tous professeurs agrégés de droit constitutionnel ou encore politisés parce qu’anciens ministres ou Premiers ministres, de gauche comme de droite, il fallait faire naître un doute sur l’impartialité du juge. Une fois la décision adoptée, possiblement à l’unanimité, la tonalité des critiques a changé. A l’inverse des accusations de politisation, c’est le « juridisme » dont aurait fait preuve le Conseil constitutionnel qui se trouve stigmatisé. Celui aurait dû, selon ses détracteurs, revoir la copie du législateur en « s’intéressant aux aspects économiques et sociaux de la réforme ». Faute de majorité qualifiée pour adopter une motion de censure, le Conseil constitutionnel était prié de censurer la loi. Et d’aucuns d’appeler de leurs vœux « la transformation du Conseil en une Cour constitutionnelle », sous-entendu qui peut décider en opportunité. Mais que n’aurait-on dit si le Conseil constitutionnel s’était comporté comme la Cour suprême des Etats-Unis dont la politisation, surtout depuis l’héritage de l’ère Trump, n’est pas vraiment un modèle ?   Sur la procédure parlementaire, une décision fondée sur une jurisprudence constante Les saisines des députés et sénateurs se sont concentrées sur le détournement de procédure supposée commis par le gouvernement et les instances du Sénat, plus que sur le fond.   La question posée était de savoir si le gouvernement, mais aussi la Conférence des Présidents[1] et les commissions parlementaires chargées de l’examen du texte, avaient abusé de leur droit en utilisant les armes mises à leur disposition pour contrer l’obstructionnisme parlementaire. Pour gonfler le nombre d’amendements et sous-amendements (plus de 30 000 au total), tous types de méthodes avaient en effet été utilisés : les mêmes amendements étaient déclinés à titre individuel, contrairement à la pratique habituelle des amendements par groupe politique ; des centaines d’amendements prévoyaient des dérogations profession par profession et des dates d'entrée en vigueur distinctes mesure par mesure ;  les prises de parole et les rappels au règlement se sont comptés par centaines,  sans parler du dépôt systématique de motions de renvoi en commission de chaque article du texte et des demandes non moins systématiques d’un vote à scrutin public etc.   Pour les requérants, la seule solution pour respecter la Constitution eût été de laisser s’éterniser le débat ! Les réponses apportées par le Conseil constitutionnel aux moyens des saisines constituent une véritable leçon de droit parlementaire que tout juriste et tout législateur devraient retenir. A propos du choix  de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale comme  véhicule de la réforme. Certes, les précédentes réformes des retraites en 2003, 2010 et 2014 ont été adoptées dans le cadre d’une loi ordinaire. Or celle-ci avait l’avantage, aux yeux des requérants, de ne pas être enserrée comme les lois de financement de la sécurité sociale dans les délais préfix de l’article 47-1 de la Constitution.   Toutefois, le Conseil constitutionnel leur a fait observer que le recours aux lois rectificatives de la sécurité sociale n’est pas conditionnée, comme ils le prétendaient, par « l’urgence, des circonstances exceptionnelles ou un déséquilibre majeur des comptes sociaux ». Le gouvernement pouvait donc choisir le cadre de la loi rectificative de financement de la sécurité sociale pour sa réforme dès lors que, suivant les articles L.O. 111-3-9 et suivants du code de la sécurité sociale, elle comportait bien des « dispositions relatives à l’année en cours ayant un effet sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement et celles relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des cotisations et contributions affectées aux régimes obligatoires de base ou aux organismes concourant à leur financement ». A propos de l’application à l’adoption des lois rectificatives de financement de la sécurité sociale des délais prévus par l’article 47-1 de la Constitution.   Selon cet article, « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours… ». C’est ce qu’a fait le gouvernement ; face au déluge d’amendements et de sous-amendements à l’Assemblée nationale, il a transmis le texte au Sénat après vingt jours. L’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale indiquant qu’a  « le caractère de loi de financement de la sécurité sociale : … 2 ° La loi de financement rectificative de la sécurité sociale », cette procédure est applicable aux deux types de lois comme a indiqué le Conseil. A propos du recours à l’article 49-3 de la Constitution permettant au gouvernement d’engager devant l’Assemblée nationale sa responsabilité sur un texte.    Le requérants faisaient valoir que l’engagement de responsabilité du gouvernement au titre de l’article 49-3 ne pouvait pas porter sur l’ensemble du texte et qu’il aurait fallu un vote successif sur les prévisions de recettes, d’abord, et de dépenses, ensuite. Une décision de 1979[2] avait effectivement censuré la loi de finances de l’année à venir sur la base de l’article 40 de la  Constitution qui impose de statuer sur la partie recettes avant de voter sur les dépenses ? Cette règle, transposée aux lois de financement de la sécurité sociale, ne fait cependant pas échec à l’article 45 de la Constitution qui permet au gouvernement, une fois untexte élaboré par la commission mixte paritaire,de le soumettre à l’assemblée en étant libre d’accepter ou non d’autres amendements. Le gouvernement pouvait donc engager sa responsabilité sur l’ensemble du texte. Les parlementaires requérants auraient pu anticiper cette réponse puisqu’elle avait déjà été donnée notamment en 2015[3], mais surtout en 2022 à propos de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023[4]. Sur l’irrecevabilité des amendements non préalablement soumis à la commission chargée de l’examen du texte Nécessaire au « bon déroulement du débat démocratique », le droit d’amendement conféré aux parlementaires et au gouvernement par l’article 44 de la Constitution, n’est pas exclusif de règles fixant l’organisation du débat parlementaire. Ainsi, en vertu du 2ème alinéa de l’article 44, « après l’ouverture du débat, le gouvernement peut s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission ». D’après le site Internet du Sénat, « cette procédure est très peu utilisée en pratique, puisque l’hypothèse d’un amendement non soumis à la commission est relativement rare ». Pour empêcher l’adoption de la loi, les parlementaires ont dérogé à cette pratique. Ils ont déposé des milliers de sous-amendements « plusieurs jours après le dépôt des amendements » examinés en commission.   Le Conseil constitutionnel s’est borné à constater qu’en leur opposant l’irrecevabilité, le gouvernement avait appliqué le 2ème alinéa de l’article 44 de la Constitution, dont l’objet, il convient de le rappeler, est de permettre aux parlementaires de se positionner en toute connaissance de cause sur les modifications proposées au texte en discussion. Sur le recours au vote bloqué Les requérants faisaient valoir que le recours au vote bloqué avait altéré la clarté et la sincérité du débat, une exigence constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel a fixé le principe en 2005[5]. Il s’agit de veiller à ce que la loi soit véritablement « l’expression de la volonté générale » selon les termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.  Mais si le débat a eu lieu et si toutes les opinions ont pu s’exprimer, il faut pouvoir décider. Telle est l’idée sous-jacente au 3ème alinéa de l’article 44 de la Constitution qui prévoit que « Si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement». De façon imparable, eu égard aux discussions et aux nombreuses prises de parole en séance, le Conseil constitutionnel a estimé, suivant sa jurisprudence habituelle, que « la procédure de vote bloqué n’a pas eu pour effet de faire obstacle à la discussion des dispositions sur lesquelles il était demandé au Sénat de se prononcer sur un seul vote ». Sur la mise en œuvre du règlement du Sénat concernant la clôture des débats, la détermination d’un ordre de priorité des amendements et l’examen de leur recevabilité. Le reproche était adressé cette fois-ci, non au gouvernement, mais aux instances du Sénat. Aussi, le Conseil constitutionnel – fait rare- a demandé aux Présidents des assemblées des précisions sur le déroulement de la procédure. Le Président du Sénat a ainsi indiqué que « le taux d'irrecevabilité sur l'ensemble du texte s'est établi à environ 48 %, soit un taux en définitive assez peu supérieur à celui constaté lors de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (41%) et 2023 (38%), en dépit du dépôt massif de sous-amendements ayant fait l'objet de déclarations d'irrecevabilité spécifiques ». Trois reproches étaient formulés concernant le déroulement du débat sur l’article 7 du projet mentionnant le report de 62 à 64 ans de l’âge de départ à la retraite : le Sénat n’aurait pas dû recourir à son règlement pour limiter à deux orateurs d’avis contraires la discussion générale sur l’article ; mais comme le note le Conseil constitutionnel, il y avait déjà eu 64 prises de parole sur cet article ! la définition  d’un ordre de priorité pour l’examen des amendements a fait tomber 1300 amendements ; mais ceux-ci étaient incompatibles avec les amendements déjà adoptés ! des milliers de sous-amendements ont été déclarés irrecevables ; mais tous contredisaient l’amendement auquel ils étaient censés se rattacher ! Sur  l’usage cumulatif des moyens de moyens de procédure destinés à éviter le blocage du débat. Point n’était besoin d’être grand clerc pour savoir que ce moyen ne tenait pas, d’autant que la question n’était pas véritablement nouvelle. Dans sa décision de 2006 sur « feu » le contrat première embauche (le CPE), qui avait aussi suscité de fortes protestations sur certains bancs de l’hémicycle, le Conseil constitutionnel avait considéré que «que la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution aient été utilisées cumulativement pour accélérer l'examen de la loi déférée n'est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l'ensemble de la procédure législative ayant conduit à son adoption ». Il avait aussi estimé que « l'utilisation combinée des différentes dispositions prévues par le règlement du Sénat pour organiser l'exercice du droit d'amendement ne saurait davantage avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution »[6]. Donc la messe était dite. S’agissant des autres moyens au soutien de l’insincérité du débat parlementaire, le Conseil constitutionnel a constaté que les documents joints au projet de loi étaient conformes aux prescriptions du code de la sécurité sociale et il a rejeté l’argument, non étayé, de la mauvaise foi du gouvernement accusé « de fausser les grandes lignes de l’équilibre de l’équilibre de la sécurité sociale ». Une décision sur le fond tout aussi prévisible Curieusement, la disparition à terme des régimes spéciaux[7] (applicable il est vrai aux seuls agents recrutés à compter du 1er septembre 2023) n’a pas suscité de critiques, comme si le principe en était inéluctable. La constitutionnalité de seulement deux articles était invoquée. A propos de l’article  10 sur le report de l’âge de la retraite et l’accélération de l’augmentation de la durée des cotisations.   Selon les requérants, le report de l’âge de la retraite et l’accélération, décidée en 2014, de la fixation à 43 ans de la durée des cotisations nécessaires pour accéder à une pension de retraite à taux plein, remettrait en cause notre système de protection sociale et violerait donc l’alinéa 11 de la Constitution de 1946 prévoyant que la Nation « garantit à tous, notamment (…) aux travailleurs… » cette protection. Pour les députés de NUPES, le législateur doit se voir interdire de revenir sur toute avancée sociale. Dans une décision de 1984[8],  le Conseil avait affirmé à propos de la liberté de la presse que «  « s'agissant d'un droit fondamental, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Mais cette formule, jamais appliquée aux droits sociaux, n’a pas tenu la distance. Depuis lors, le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur est libre de modifier la loi pour peu qu’il ne prive pas « de garanties légales des exigences constitutionnelles ». Derrière cette formule sibylline, l’idée est que nul n’a droit au maintien d’une législation sauf à ce que la nouvelle loi ne méconnaisse pas des principes constitutionnels. Il n’y a ainsi pas d’exigence constitutionnelle de maintien absolu des « droits acquis ». Lorsque la législation évolue, c’est bien souvent pour concilier des valeurs contradictoires. Ainsi en est-il de la nécessité de tenir compte en matière de retraite par répartition de la démographie et des exigences relatives à l’équilibre financier de la sécurité sociale. Or, comme l’indique la décision du 14 avril, l’objectif du législateur « d’assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition et ainsi en garantir la pérennité » ne remet pas en cause la « solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités » qu’elle a pour objectif de préserver dans le temps. Certains professeurs de droit ont déploré que le Conseil constitutionnel ne questionne pas la pertinence de cet objectif. Mais que n’auraient-ils dit si, lors de l’examen de la loi sur les « 35 heures » en 1998, comme le lui demandaient les parlementaires requérants à l’époque, le Conseil avait annulé la loi en déniant toute validité à son « objectif de réduction du chômage et de sauvegarde de l’emploi » alors invoqué par le gouvernement !  Le Conseil constitutionnel ne juge pas en opportunité, et il a donc vérifié, suivant son approche constante, que les mesures prises dans la loi ne sont pas « inappropriées » au regard de l’objectif d’équilibre financier du régime des retraites que s’est assigné le législateur. A propos de l’article 11 sur la détermination de l’âge anticipé de la retraite pour les salariés qui ont commencé à travailler avant 21 ans au plus tard. La critique formulée à l’encontre de cet article pouvait paraître surprenante car la disposition en cause avait précisément pour objet de permettre aux salariés ayant eu une « carrière longue » de prendre leur retraite de façon anticipée. L’argument selon lequel il y avait là une violation du principe d’égalité a été aisément rejeté pour erreur d’interprétation ; la disposition n’ayant « ni pour objet, ni pour effet d’allonger la durée d’assurance des personnes qui ont commencé à travailler avant vingt et un ans au-delà de la durée totale durée totale d’assurance exigée des autres assurés ». De même, le Conseil a fait observer que le fait pour certains salariés ayant eu une carrière longue d’avoir à cotiser après avoir atteint l’âge prévu pour leur retraite anticipée retraite, s’inscrivait dans la logique du système d’ensemble des retraites par répartition. In fine, la décision du 14 avril dernier a annulé, comme on pouvait s’y attendre, plusieurs « cavaliers sociaux »,  c’est-à-dire les dispositions qui ne peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale car elles touchent pas à son équilibre financier.                                                                                               ****** Une décision classique, pour conclure, qui devrait donc au moins clore la controverse sur l’intégrité de la procédure parlementaire.  Apparemment, le seul débat qui demeure porte sur l’usage de l’article 49-3 sur l’engagement de responsabilité du gouvernement sur un texte. Si le temps n’est plus où Michel Rocard, Premier ministre, y recourait 28 fois durant  les 3 ans de son mandat, il convient de mûrement réfléchir avant de décider de se passer de cette arme « anti-filibustering ». Ne l’oublions pas : cette procédure a été voulue par tous les responsables de partis, de gauche et droite lors de la rédaction de la Constitution de 1958. Et pour cause : la multiplication des « questions de confiance » au Sénat comme à la Chambre des députés avait généré une instabilité ministérielle chronique à laquelle l’article 49-3 a pu valablement remédier. On peut se demander si cette procédure ne reste pas spécialement adaptée au contexte français pour deux principales raisons : d’abord, notre allergie à toute réforme au nom d’une sanctuarisation de ce que l’on appelle « les droits acquis » qui nuit en fait bien souvent à la solidarité ;  ensuite, la fragilité des alliances politiques qui fait que les partis en France, contrairement aux autres grandes démocraties, sont éphémères. Ce dont témoigne la quasi disparition des partis qui tenaient le haut du pavé sous la Troisième et la Quatrième République et la faiblesse de ceux qui ont fondé la Cinquième République. Il ne suffit pas de sauter comme un cabri en criant « Sixième République, Sixième République, Sixième République » pour savoir vers quoi l’on va. L’essentiel n’est pas le 49-3, mais la sauvegarde de notre démocratie. La Constitution de 1958 a été révisée vingt quatre fois. Une pause serait salutaire. [1] La Conférence des Présidents à l’Assemblée nationale comme au Sénat est composée du bureau de l’assemblée, des présidents de commissions et des présidents de groupes, ainsi que les rapporteurs généraux de la commission des finances et de la commission des affaires sociales. Le gouvernement peut y déléguer un représentant, en général le ministre chargé des relations avec le Parlement. Le rôle de cette instance est de fixer le programme des travaux parlementaires qui est publié au Journal officiel. Au Sénat, elle peut déterminer la durée globale du temps dont disposeront dans le débat les orateurs des divers groupes. A l’Assemblée nationale, elle peut fixer la durée maximale de l’examen de l’ensemble d’un texte.  [2] Décision n°79-110 DC du 24 décembre 1979. [3] Décision n°2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. [4] Décision n°2022-845 DC du 20 décembre 2022. [5] Décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 [6] Décision n°2006-535 DC du 30 mars 2006 sur la loi sur l’égalité des chances. [7] Elle concerne les agents des industries électriques et gazières, de la RATP et de la Banque de France ainsi que les clercs et employés de notaires et les membres du Conseil économique, social et environnemental. [8] Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse .

Regards croisés sur le Service National Universel : « une expérience enrichissante, permettant le dépassement de soi »

par L'équipe du Lab' le 6 avril 2023
Dans cette série consacrée au Service National Universel, Le Laboratoire de la République donne la parole à ceux qui font vivre ce programme dans toute la France depuis sa création en 2019. Aujourd’hui, deux jeunes qui ont effectué leur SNU nous répondent. Albin est étudiant à l’université catholique de Lille en Droit et Science Politique. Maé est lycéenne, en première HLP (Humanités, Littérature et Philosophie).
Le Laboratoire de la République : Racontez-nous votre expérience. Où avez-vous fait votre SNU, dans quelles conditions ? Qu’avez-vous appris de façon générale ? Avez-vous-eu auparavant une expérience d’engagement républicain ou de formation républicaine ? Albin : J’ai réalisé le séjour de cohésion de deux semaines à Die, dans un centre tout proche de la forêt et des montagnes. J’étais logé dans un « marabout », une espèce de grande tente avec 8 couchages. C’était au début des grandes vacances de la fin de mon année de 4e, j’ai donc dû passer mes épreuves de français en avance pour pouvoir y participer. Etant engagé dans le cadre associatif et de représentation lycéenne notamment au Conseil National de la Vie Lycéenne, j’avais beaucoup entendu parler de la mise en place du SNU. Je voulais comprendre concrètement, au travers de l’expérience ce que j’allais vivre, ce qu’était vraiment ce fameux Service National Universel. Maé : Mon expérience au SNU fût vraiment intéressante. Tout d'abord, la vie en communauté était vraiment enrichissante, notamment avec la vie quotidienne dans le foyer, qui m'a permis d'être plus autonome, mais également avec les diverses activités physiques qui nous ont permis de renforcer notre cohésion,  nous en ressortions toujours plus unis et plus solidaires. S'ajoute à ça les nombreuses interventions sur des thèmes tel que le patrimoine et la culture française, ou encore la défense et la sécurité, des interventions qui m'ont vraiment plu, elles m'ont permis d'élargir mes connaissances sur la France, mais également sur l'Union Européenne, des connaissances que je n'avais pas acquises auparavant car ce n'est pas un sujet qui m'attirait plus que ça, mais aujourd'hui je suis contente d'avoir pu en apprendre plus. Le Laboratoire de la République : La première phase du SNU constitue l’aboutissement du parcours citoyen. Avez-vous été satisfait des modules proposés et de votre expérience en général ? Que changeriez-vous ou non au sein de cette première phase ? Albin : La première phase du SNU restera pour moi une expérience profondément enrichissante, permettant le dépassement de soi au travers d’activités comme la via ferrata ou bien même l’escalade, l’accrobranche et les activités physiques comme le canoë que je n’aurais probablement pas faites par moi-même. De plus, le fait que nous ayons été réunis avec des jeunes qui venaient d’horizons complètements différents, que nous ne connaissions pas, nous a permis de nouer de forts liens en seulement deux semaines passées ensemble. Nous n’avions accès à nos téléphones portables qu’une heure par jour, et cette restriction nous a probablement permis de plus nous tourner vers les autres. Au-delà des amitiés et des expériences vécues, nos journées ont été rythmées par des activités ludiques et des rencontres avec de nombreux acteurs de la République et d’autres organes liés. En effet, nous avons passé la formation aux premiers secours, rencontré des représentants de l’armée, de la banque de France et des secours. Pour nombreux de mes camarades volontaires au SNU, l’objectif était de comprendre et matérialiser leur nationalité et avoir une première expérience du service. Au sens général, j’ai apprécié ce séjour de cohésion qui m’a permis de sortir de ma zone de confort et, grâce à ça, de me découvrir. Il y a eu, c’est sûr, des moments durs, des moments où je me suis dit « mais pourquoi je suis venu ? », et où j’ai remis en question ma participation, notamment dans des moments particulièrement difficiles comme quand, pendant plusieurs nuits, nous avons dû nous réfugier avec des lits de camps dans une salle des fêtes à cause de forts orages, quand nous devions nous laver à l’eau froide (heureusement pendant l’été) ou bien quand nous étions tout en haut d’une falaise et qu’il fallait descendre en rappel. Je crois bien que je n’aurais pas pu aller au bout de cette expérience si le groupe n’avait pas été là, si ces volontaires comme moi ne m’avais pas aidé. Je crois vraiment que c’est dans ces situations que la solidarité a pu gommer les difficultés que nous pouvions tous avoir. Alors, non, je ne changerai rien de tout ce que j’ai vécu. Aujourd’hui, je suis heureux de ce que j’ai vécu et je crois que c’est à la fin de ce séjour particulièrement fort que l’on se rend compte à quel point cela nous a permis de nous construire. Maé : Cette expérience au SNU m'a inculqué de nouveaux enseignements. Elle m'a donné le courage de poursuivre mes objectifs et de les atteindre, et j'ai donc appris à ne jamais abandonner quelle que soit la raison. C'est avec des interventions sur les handicaps que j'ai pris conscience de l'importance de devoir toujours rester motivé pour affronter les obstacles de la vie ! Le Laboratoire de la République : Recommanderiez-vous à tous les jeunes de faire leur service ? Pensez-vous qu’il serait nécessaire d'imposer le SNU ? Albin : Je recommande évidemment le SNU à ceux qui souhaitent vivre une expérience hors du commun de faire le SNU. Mais je ne crois pas qu’il faille le rendre obligatoire car ce qui fait que le SNU est une expérience incroyable repose sur l’envie des jeunes et leur motivation à y participer. Encourager les jeunes à s’y intéresser et ensuite à participer est important.  Maé : Je recommande le SNU car il est enrichissant, mais également marquant. Que l'on soit sociable ou réservé, petit ou grand, sportif ou non, on y trouve toujours sa place !

Mathieu Laine : « La littérature est l’alliée de l’esprit critique »

par L'équipe du Lab' le 23 mars 2023 Laine
Mercredi 15 mars, le Laboratoire de la République a eu le plaisir d'accueillir Mathieu Laine pour son ouvrage "La compagnies des voyants" aux éditions Grasset. Marie Ameller et Brice Couturier ont animé cette conversation éclairée.
Lors de sa conversation éclairée, Mathieu Laine est revenu sur les 25 romans qu'il conseille de lire dans son nouvel ouvrage "La compagnie des voyants" aux éditions Grasset. "La littérature ne permet pas de marcher mais elle permet de respirer, et je trouve qu'on étouffe", reprend Mathieu Laine à Roland Barthes. Se saisir des grandes fictions permet de voir d'autres vies que la nôtre. La lecture de romans permet de se plonger par le prisme des émotions et des personnages dans des situations qui ne sont pas les nôtres et en creux, cela permet à chacun d'exercer son esprit critique et d'avoir la capacité accrue de comprendre l'autre. Retrouver la conversation éclairée de Mathieu Laine sur notre chaîne Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=IYlNHTEM_4A

« La littérature est la vigie et la gardienne de notre esprit critique ! »

par Mathieu Laine le 13 mars 2023 Mathieu laine
Entrepreneur, essayiste et professeur à Sciences Po, Mathieu Laine sera l’invité des Conversations Éclairées le 15 mars prochain, pour présenter son nouvel essai, La compagnie des voyants (Grasset). Il évoque aujourd’hui pour le Laboratoire de la République le rôle qu’il assigne à la littérature et aux grands écrivains en démocratie.
Le Laboratoire de la République : Dans un monde où renaissent les idéologies, la littérature a-t-elle encore une place ? Si oui, laquelle ? Mathieu Laine : La place de la littérature est d’autant plus essentielle dans nos sociétés que les idéologies non seulement renaissent mais se radicalisent. L’idéologie n’est pas néfaste en soi. Le primat d’une idée, d’un bouquet de valeurs donne son plein sens au combat politique. Il n’y a rien de pire qu’une politique déracinée prétendant à l’absolu pragmatisme technocratique et clinique, qui est une idéologie refusant de se donner un nom et un mal se prenant pour son remède. La floraison du Laboratoire de la République prend racine dans une terre républicaine, son Manifeste invitant à transformer ce creuset en action par la répétition d’un puissant « Nous devons ». Le risque véritable des idéologies contemporaines, de ces constructivismes de la déconstruction et des néo-communautarismes actuels, c’est qu’ils prétendent exercer une domination hégémonique dans notre rapport au monde, aspirant au fond à éteindre la lumière et toute forme de débat, de confrontation sereine des idées contraires. Cette prétention à l’exclusivité intellectuelle devient d’autant plus nocive lorsqu’une idéologie se construit ou s’érige en opposition à d’autres : les positions se figent, les esprits se ferment et nous ne parvenons plus à comprendre ou à dialoguer avec le camp d’en face. Face à ce danger viscéral pour la démocratie et ses piliers essentiels que l’on croyait, non sans naïveté, définitivement acquis sur nos terres, la littérature offre un précieux remède. Elle ouvre les portes et les fenêtres de l’esprit humain en nous plongeant dans D’autres vies que la mienne, pour reprendre le si beau titre d’Emmanuel Carrère. Elle nous vaccine contre la tentation du simplisme, des effets de bulle et de l’enfermement idéologique. Car l’ouverture à l’autre, la rencontre avec l’altérité sont inscrites dans son code génétique. C’est la nature même de la littérature de nous donner de vivre les émotions des personnages et de les transformer, par sédimentation en nous, en recul, en compréhension, en maturité humaniste. Pour citer Maurice Blanchot, « L’expérience de la littérature est l’épreuve même de la dispersion, elle est l’approche de ce qui échappe à l’unité ».  Justine Augier résume également à merveille le rôle des lettres face aux revendications idéologiques : « Quoi qu’elle ait à raconter, quelle que soit sa forme, la littérature défait ce qui enferme »;la littérature « fait vivre la pluralité en chacun, donne vie en soi à d’autres regards sur le monde ». La littérature est la vigie et la gardienne de notre esprit critique. Elle s’avère d’autant plus précieuse lorsque celui-ci est menacé par le discours à œillères des faux prophètes. Un roman à la main, « nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune » écrit Marcel Proust dans Le temps retrouvé. C’est grâce à elle que Kamel Daoud s’est arraché à l’islamiste radical qui ne supporte que la lecture d’un seul livre. C’est aussi elle qui a permis à Michel Schneider de se sortir du Maoïsme, la lecture de La Recherche lui ayant parue incompatible avec l’idéologie totalisante qu’il récitait comme on le fait d’un catéchisme. Le Laboratoire de la République : Vous citez régulièrement la phrase de Roland Barthes : « La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer. » L’émancipation ne passe-t-elle pas aussi par la littérature de combat, en prise directe avec la réalité sociale ou politique, d’Annie Ernaux à Virginie Despentes que vous évoquez d’ailleurs dans La compagnie des voyants ? Mathieu Laine : La littérature est une arme plus puissante qu’il n’y paraît. Voilà pourquoi les dictateurs veulent toujours écrire un livre et l’imposer à tous tout en ayant horreur des romanciers et de leurs romans. Bien entendu, la littérature de combat, ou littérature engagée, est essentielle pour permettre aux sociétés humaines d’évoluer vers davantage de liberté et de fraternité. Le combat de la littérature réside précisément dans le choix d’opter pour les mots plutôt que les fusils : l’engagement n’implique pas nécessairement la violence, bien au contraire. Virginie Despentes a mille fois raison lorsqu’elle écrit Vernon Subutex et nous fait découvrir les vicissitudes d’autres vies que la nôtre tout en nous mettant en garde contre la tentation de la haine (« C’est vivifiant, la haine. Il n’y a qu’à aller sur Twitter pour comprendre que tout le monde en a envie ») et ô combien tort lorsqu’elle défend, dans un élan abjecte, les terroristes ayant perpétré les attentats de janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo. A ce sujet, je suis fidèle à la vision du Contre Sainte-Beuve de Proust : peu importe l’auteur, sa vie et sa pensée, seule l’œuvre m’intéresse et c’est pourquoi cette trilogie à toute sa place dans ma Compagnie des voyants. « On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments » affirmait déjà André Gide. La puissance subversive de la littérature, cette puissance explosive dans Mario Vargas Llosa parle si bien, réside dans sa capacité à interroger la validité, la pérennité et la légitimité de nos modèles sociaux, politiques, économiques ou intellectuels. Écrire, mais aussi lire et relire (mon livre invite aussi à relire !), c’est refuser de se contenter du monde tel qu’il est. En ce sens, la littérature offre bien un chemin d’émancipation.  Le Laboratoire de la République : Il y a quelques mois, des propos tenus par Michel Houellebecq dans la revue Front Populaire ont soulevé de nombreuses critiques. Les grands écrivains sont-ils toujours de bon conseil ?  Mathieu Laine : Si la littérature cultive l’esprit critique, c’est aussi et parfois surtout pour que nous puissions en faire preuve face aux grands écrivains eux-mêmes. Le cas Céline illustre assez l’ambivalence du génie littéraire : on ne lit pas Voyage au bout de la nuit et Bagatelles pour un massacre (l’un des trois pamphlets céliniens, à vomir d’antisémitisme et de haine) de la même manière. On en revient, comme je l’évoquais à l’instant, à la distinction essentielle formulée par Marcel Proust dans son Contre Sainte-Beuve : l’homme n’est pas l’œuvre, l’œuvre n’est pas l’homme. Le critique littéraire Sainte-Beuve affirmait que l’œuvre d’un écrivain constituait le reflet de sa vie. Proust refuse l’équation et sépare la production intellectuelle ou artistique des événements biographiques : « L’homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n’est pas la même personne ». Certes, « on ne donne rien si libéralement que ses conseils » nous avertit François de La Rochefoucauld dans ses Maximes. Il faut toujours se méfier de ceux qui ont la prétention d’avoir toujours raison. Camus nous avait prévenu et je préfèrerai toujours la nuance humaniste enracinée sur des valeurs fortes à la radicalité qui encapsule et, à la fin, qui exclut ou pire encore. Le Laboratoire de la République : L’œuvre de Roald Dahl, jugée trop « offensante », a été récemment réécrite par la maison d’édition Puffin Books, ce qui a provoqué une vive polémique. Comment résister aux dérives de la cancel culture ? Mathieu Laine : La réécriture de l’œuvre de Roald Dahl est d’autant plus préoccupante que l’auteur n’est plus là pour donner son point de vue sur ces changements : l’histoire de la littérature est pleine de ces travaux de réagencement, de suppression ou de modification, mais ils sont traditionnellement l’apanage de l’auteur ! Ou du censeur, dans les pays désertés par la tradition républicaine et la liberté d’expression. Il est proprement scandaleux qu’une maison d’édition ait pu se prêter à un tel exercice sans l’accord de l’écrivain. L’inquiétude face à la montée de la cancel culture tient au fait que cette censure existe désormais au sein même des démocraties : la Grande-Bretagne, comme le montre l’exemple de Roald Dahl, mais aussi les États-Unis, ce dont témoignait déjà Philip Roth en 2000 (!) avec La Tache, où Coleman Silk, professeur d’université, est injustement renvoyé  au prétexte qu’il aurait employé un qualificatif raciste pour désigner deux élèves absents  de son cours : « « Raciste », il avait suffi de prononcer le mot avec une autorité officielle pour que ses alliés prennent leurs jambes à leur cou jusqu’au dernier »… Le roman de Roth illustre particulièrement bien les dangers du moralisme hypocrite et la dérive fascisante de la culture woke, qui refuse ce qu’est la science comme le débat démocratique, à savoir la confrontation sereine, apaisée et libre des idées contraires, et tente de réécrire non seulement les œuvres littéraires, mais aussi l’Histoire pour faire triompher une vision biaisée du monde. Pour lutter contre cette radicalisation de la bien-pensance, il conviendrait d’abord de respecter, de sanctuariser l’héritage culturel qui est le nôtre, y compris pour le critiquer. Ce travail de préservation et de mémoire est prégnant chez Toni Morrison, par exemple : elle se confronte ouvertement au passé traumatique des Afro-Américains dans son roman Beloved, dont la dédicace (« Soixante millions et davantage ») rend hommage aux victimes de la traite négrière, sans pour autant sombrer dans l’injonction à réécrire ou à exclure. Il serait également intéressant que les détracteurs de certains ouvrages proposent à leur tour une production intellectuelle ou artistique en accord avec leur vision du monde. Plutôt que de réécrire l’ancien, pourquoi ne pas commencer par écrire le nouveau ? Il est plus facile de s’armer d’un correcteur orthographique moralisateur pour piétiner le legs d’un auteur que de faire œuvre soi-même. Si l’on entend défendre la liberté autant que la responsabilité, c’est pourtant le seul chemin moralement acceptable. Romans « républicains » de la sélection Mathieu Laine : "La littérature est l'alliée de l'esprit critique" - Laboratoire de la République (lelaboratoiredelarepublique.fr) Si l’on entend par « républicain » une tradition politique alliant l’héritage intellectuel des Lumières, la laïcité, la justice sociale, la délibération démocratique et la défense du progrès, voici quelques livres de La Compagnie des voyants qui me semblent correspondre à l’adjectif, même s’ils le sont tous, à mon sens. Lady L., Romain Gary : dénonciation magnifiquement incarnée du terrorisme intellectuel et politique, de l’idéologie destructrice ; refus de céder au pouvoir magnétique d’un leader charismatique, Armand Denis, qui dicte à ses acolytes leurs opinions comme leurs comportements. Le roman de Gary nous met en garde contre la dictature de l’émotion – passion amoureuse, orgueil démesuré ou bons sentiments aveugles : ainsi, Lady L. considère les anarchistes comme « des rêveurs d’absolu qui prennent leur noblesse et l’exquise qualité de leurs sentiments humanitaires pour une doctrine sociologique ». Lord Glendale avertit Lady L. avant même qu’elle ne prenne conscience de son aliénation intellectuelle : « Vous êtes tous les deux des passionnés, vous ignorez entièrement les latitudes tempérées, les seules où le bonheur humain se manifeste parfois avec quelque chance de durer » ; ces « latitudes tempérées » ne sont-elles pas précisément celles défendues par le projet républicain ?   Sa Majesté des mouches, William Golding: Ralph le démocrate contre Jack le démagogue. La conque, symbole de la libre-parole et du débat démocratique, joue un rôle fédérateur essentiel. Tant qu’un enfant la tient dans ses mains, il a le droit de s’exprimer, d’interroger les choix du groupe et de proposer d’autres modèles à ses congénères. Sur l’île des enfants perdus, le coquillage représente littéralement la res publica, qui fait de l’organisation sociale une « chose publique ». Les Démons, Fiodor Dostoïevski : le roman de Dostoïevski offre précisément le négatif du projet républicain. Bien que la Russie soit encore un empire en 1873, l’auteur nous met en garde contre « l’un des maux les plus dangereux de notre civilisation actuelle », à savoir l’extrémisme idéologique. A la fois pamphlet politique et drame métaphysique, Les Démons nous invitent à nous défier de tout projet réformateur qui repose sur une doctrine simpliste, une appropriation du pouvoir et la violence arbitraire. La Ferme des animaux, George Orwell: là encore, Orwell nous présente moins la république idéale que son dévoiement funeste. L’hypocrisie des cochons, qui n’hésitent pas à affirmer que « Tous les animaux sont égaux » avant de préciser que « certains le sont plus que d’autres », réduit progressivement à néant la liberté que les animaux de la ferme pensaient conquérir en chassant les humains. Avant de faire la révolution, choisissons attentivement ceux qui vont succéder aux dirigeants en place, nous dit Orwell, qui nous rappelle également l’importance du débat démocratique.  Le tyran n’est pas le seul à saborder la république des animaux ; les moutons, qui bêlent à l’unisson, ne laissent aucune place aux protestations des autres membres de la communauté : « certains animaux auraient peut-être bien protesté, si à cet instant les moutons n’avaient entonné leurs bêlements habituels » ; ils « mirent fin à la discussion », « ruinant toute chance de discussion ». Quant au cheval Malabar, il y croit, il se donne, et il finit chez l’équarisseur : sublime invitation aux croyants et aux idiots utiles de se défier des promesses de Grands soirs.  Pourquoi j’ai mangé mon père, Roy Lewis : pour la croyance indéfectible en la puissance du progrès. A la croisée de la fable et du manuel d’histoire, Pourquoi j’ai mangé mon père reflète avec humour l’éternel débat qui agite nos sociétés, entre conservatisme et progrès, entre repli et ouverture. « Back to the trees! » ; « Remontons dans nos arbres et n’en bougeons plus ! » prône l’oncle Vania, effaré par l’ambition de son frère Edouard, qui ne cesse de réfléchir aux manières d’améliorer la vie quotidienne des pithécanthropes. « On peut avancer ou reculer (…) rester sur place est impossible » : aller de l’avant en privilégiant l’inventivité et l’innovation à la défiance ou à la crispation identitaire, voilà justement le projet d’Edouard, républicain avant l’heure à maints égards.

Mercredi 15 mars : L’essayiste Mathieu Laine, l’invité de notre prochaine « conversation éclairée » !

par L'équipe du Lab' le 3 mars 2023
Mercredi 15 mars, le Laboratoire de la République aura l'honneur de recevoir Mathieu Laine pour son ouvrage "La Compagnie des voyants" aux éditions Grasset. Marie Ameller et Brice Couturier animeront cette onzième "conversation éclairée".
Entrepreneur et essayiste, Mathieu Laine relit avec nous 25 romans pour nous aider à comprendre le monde. Qu'il s'agisse de La Tâche de Philip Roth, La ferme des animaux de George Orwell, les Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar… Ces livres nous offrent des clés indispensables pour échapper aux idéologies, décoder les populismes et défendre les valeurs humanistes qui nous unissent. Dans une période marquée par la simplification à outrance des débats, cet essai nous rappelle le rôle indispensable de la littérature pour notre vie civique : nous donner le goût de la réflexion, l'amour des idées, en les incarnant à travers des mondes riches et des personnages complexes, souvent proches comme parfois très éloignés de nous. Les échanges seront suivis d’un cocktail et d’une séance de dédicaces. Quand ? Mercredi 15 mars à 19h30 Où ? Maison de l'Amérique latine 217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris Gratuit, inscription obligatoire Pour vous inscrire, cliquez ici

Pour une reconnaissance du crime « d’apartheid des femmes »

par Renée Fregosi le 2 février 2023
Renée Fregosi est Docteur en philosophie et en science politique. Elle est membre du comité scientifique du Laboratoire et de la commission République laïque. La qualification de crime d'apartheid contre les femmes qui a fait l'objet d'une tribune dans le Monde du 1er février est aujourd'hui indispensable pour lutter contre les nouvelles offensives discriminatoires à leur égard en particulier dans les pays islamistes. Renée Fregosi en fait l'analyse pour le Laboratoire de la République.
Dans une tribune parue le 1er février 2023 dans le journal Le Monde, à lire ici, huit éminents juristes français, parmi lesquels Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix et Linda Weil-Curiel, responsable de la Ligue du droit international des femmes, ont interpelé les Nations Unies, l’Union Européenne et le président de la République française, les enjoignant de compléter la Convention internationale sur la répression et l’élimination du crime d’apartheid, par la condamnation du crime « d’apartheid des femmes ». En s’inspirant de la Convention de 1973 contre le crime d’apartheid racial pratiqué par l’Afrique du sud à l’époque, le collectif propose de lui adjoindre un nouvel article ou d’ajouter une partie à son article 2, condamnant la « séparation radicale, sous la contrainte, des femmes ». La ségrégation et les discriminations légales, fondées sur le seul critère du sexe, dont les femmes sont victimes aujourd’hui dans plusieurs États à travers le monde, appellent en effet la reconnaissance par la communauté internationale de la notion d’apartheid sexuel, en l’occurrence à l’encontre des femmes. Cet apartheid des femmes est pratiqué depuis de longues années dans plusieurs théocraties du Moyen-Orient et dans des régimes islamistes d’Asie, mais c’est ladite « révolution islamique » menée par l’ayatollah Khomeini qui avait provoqué la première réaction de quelques féministes françaises contre l’ostracisme légal des femmes dans la sphère publique et leur soumission s’accompagnant souvent de maltraitances dans la sphère privée.  Puis dans les années 90, la Ligue du droit international des femmes a commencé à avancer cette analogie entre l’apartheid fondé sur la race et l’apartheid fondé sur le sexe. Aujourd’hui, la révolte contre le régime des mollahs en Iran qui s’est cristallisée autour de l’obligation pour les femmes de porter le voile, ainsi que le retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan, ont relancé le débat. La revendication de la reconnaissance de la qualification, et de la condamnation, par la communauté internationale du crime d’apartheid des femmes est non seulement justifiée mais est devenue indispensable pour lutter contre la nouvelle offensive islamiste désormais mondialisée. Or l’imposition du voilement des femmes, présentée par les islamistes comme une injonction religieuse est généralement appréhendée de façon erronée en Occident. Paradoxalement en effet, alors que latins ou anglosaxons, nos pays d’une façon ou d’une autre, ont tous vu leurs États nationaux se séculariser et leurs sociétés s’émanciper du poids communautaire et des mœurs traditionnelles, la nature politico-religieuse et l’origine orientale de ce totalitarisme de troisième type qu’est l’islamisme, les déroute et les inhibe. Le voile, emblématique de l’offensive islamiste qui en a fait son étendard, est en fait un signe sinon universel du moins un signe reconnu dans toutes les cultures traditionnelles influencées par les religions monothéistes : le voile c’est le signe de la soumission et de l’impureté des femmes. On peut ainsi se référer à la première épître aux Corinthiens de verset 11 où l’apôtre Paul donne ces deux raisons du voilement des femmes. Mais les cultures occidentales en se modernisant ont peu à peu abandonné ce signe. L’islamisme dans son offensive de réislamisation a fait du retour au port du voile, un de ses marqueurs, et de l’oppression des femmes un des piliers de son système. En devenant « voile islamique », le voile, avant tout symbole de l’oppression des femmes, est donc devenu non pas tant un « signe religieux » qu’un signe politique. Mais le voile n’est que la partie la plus visible de la soumission exigée des femmes et de leur relégation. La ségrégation, la séparation des groupes est en effet le premier pas indispensable à la structuration de relations sur le mode de l’inégalité au sein d’un même espace partagé. Le voilement du corps des femmes est ainsi l’instrument d’une triple séparation. 1. Séparation réelle : grâce au voile, le corps des femmes dans l’espace public partagé est de fait soustrait au regard et au contact des hommes non autorisés à les voir et à les toucher. 2.  Séparation métaphorique ou métonymique (lorsque seule la tête est voilée) : le voile construit de façon imaginaire un mur qui délimite un espace séparé lorsque par la force des choses les femmes évoluent dans le même espace que les hommes, contrairement aux espaces matériellement séparés de la salle à manger ou du hammam, et aux espaces interdis aux femmes comme les cafés. 3. Séparation symbolique : le corps des femmes est « mis sous » voilement, parce qu’il est « sous-mis », et son impureté est ainsi exclue du monde et à la limite n’existe plus. La relation à la femme s’organise en effet dans l’islam selon une « dynamique de l’inclusion et de l’exclusion » et selon un « processus d’identification-désidentification » (deux concepts développés par Abram de Swaan dans un autre contexte). On sépare pour unir, pour rendre vivable la cohabitation, la relation entre les sexes est paradoxalement rendue acceptable par leur séparation. Le processus est redoublé par la question du rapport sexuel et de la procréation : les femmes appartiennent nécessairement à l’humanité sinon le rapport sexuel avec elles serait de la bestialité rigoureusement réprouvée, et la procréation serait une impossibilité ou une monstruosité, mais en même temps les femmes étant considérées comme impures et leur commerce réputé dangereux pour les hommes, la contradiction se résout forcément dans la violence. En terre d’islam la répression sexuelle étroitement articulée à la soumission des femmes marche ainsi du même pas que la répression des délits de libre expression et surtout de liberté de conscience : apostasie et athéisme, sont pourchassés davantage encore que les religions autres que l’islam (toujours soumises cependant à la dhimmitude). On comprend donc pourquoi la laïcité est l’ennemie déclarée de l’islamisme. La laïcité avant de s’incarner dans des lois de 1791 à nos jours, est en effet un esprit qui prend racine dans la philosophie des Lumières et la philosophie du libertinage : libertinus en latin signifiant « l’esclave affranchi », le libertin est cet humain (homme ou femme) affranchi de l’emprise religieuse et des pensées dogmatiques en général, un être émancipé de la soumission, un individu libre de corps et d’esprit. La libération des femmes qui passe tout autant par la libre disposition de son corps que par la libre pensée, l’esprit libéré des préjugés, est donc forcément, foncièrement laïque. C’est à ce titre que la lutte contre l’apartheid des femmes concerne les défenseurs de la laïcité, et de la démocratie. En proposant la reconnaissance et la condamnation de l’apartheid des femmes, il ne s’agit pas pour les États démocratiques de s’immiscer dans des questions religieuses mais de préserver la liberté de conscience de tous les individus hommes ou femmes, et l’égalité des sexes. C’est pourquoi, la France qui est à l’avant-garde du combat laïque depuis ses origines philosophique jusqu’à son institutionnalisation dans un corpus juridique remarquable, s’honorerait de prendre la tête de cette revendication à l’ONU.

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