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Défi climatique : tous dans le même bateau

par Bertrand Badré le 28 novembre 2022
Sommes-nous vraiment prêts à le relever ? La question du changement climatique cristallise certaines peurs, celle de l’avenir de notre planète, des futures générations. Alors que La COP27 s’achève et nourrit ce dialogue entre les dirigeants du monde, le titre du dernier ouvrage de Bertrand Badré, « Voulons nous sérieusement changer le monde ? » semble être plus que d’actualité. Ancien Directeur Général de la Banque mondiale, il dirige actuellement Blue like an Orange, il revient pour nous sur l’urgence à réussir cette transformation.
Le Laboratoire de la République : La tenue de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique fixe une fois de plus les enjeux des bouleversements auxquels le monde fait face. Un des objectifs fixés est de renforcer les ambitions d’une solidarité internationale. Pensez-vous que nous en prenions le chemin ? Cette fraternité à l’échelle mondiale est- elle vraiment possible ?  Bertrand Badré : Nous n'avons pas le choix. Comme déjà évoqué dans mes différents ouvrages et reprenant d'ailleurs les paroles de l’encyclique « fratelli, Tutti » du Pape François : « on n'est pas forcément sur le même pont ou dans la même classe, mais on est tous sur le même bateau. » Si nous n’avons pas une approche fraternelle de cette question planétaire, nous n'y arriverons pas. Des efforts formidables sont faits en France et en Europe. Mais la réalité est plus complexe. Si on ne permet pas à des pays qui ne sont pas partie de la même situation que nous, en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, de s'accrocher au paquebot, on aura tout perdu. La bataille du climat se livre partout tant à Bruxelles, Washington que Paris.  Elle se gagnera ou se perdra à la fin à Delhi ou à Bogota. Et donc cette COP est très importante parce qu'elle met le doigt là où ça fait mal. Les pays riches s'étaient engagés à accompagner financièrement les plus pauvres à hauteur de 100 milliards de dollars par an pour l’action climatique pour la période 2020-2025. Cet objectif a été rappelé à Copenhague en 2009, à Paris en 2015. Nous sommes en 2022 et nous n’y sommes toujours pas. Les pays qui souffrent le plus du climat sont précisément ceux qui n'ont pas contribué à ce changement climatique. La proportion des émissions de gaz à effet de serre qui relèvent des anciens pays industrialisés est colossale par rapport à ce qu'a pu émettre un pays comme la Côte d'Ivoire, le Cambodge, la Bolivie ou la Colombie.  On est effectivement dans une approche où la fraternité est probablement une des clés, une fraternité intéressée d'ailleurs, mais une fraternité malgré tout. Certains imaginent un monde où l’on construit des digues et des murs protégés par des drones ou toutes sortes de prouesses technologiques qui nous isolent du reste du monde. Cela ne peut pas être ma vision. Le Laboratoire de la République : En désignant deux ministres chargés respectivement de la transition écologique et de la transition énergétique, le gouvernement français souhaite renforcer son action de planification. Est-ce selon vous, suffisant ?  Bertrand Badré : je n'ai pas d'avis sur la structuration gouvernementale elle-même et je n'aime pas tellement le mot de « transition », je lui préfère celui de transformation. Il ne s’agit pas non de réduire cette question aux émissions de carbone. En tirant sur la pelote on s’aperçoit rapidement que cette transformation pose un cadre plus vaste et que tous les sujets viennent les uns derrière les autres. S’il suffisait que nous ayons tous une voiture électrique pour qu'il n'y ait plus de problème, ce serait simple. La construction de la voiture électrique est un sujet complexe en soit. Même chose pour la question des éoliennes. On voit bien que le concept qui se développe c'est celui de transition juste, parce qu'il y a une dimension sociale. Tous ces sujets sont très liés les uns aux autres et remettent en question notre modèle, notre mode de production, de consommation et de financement. Ces transformations sur le développement durable et le climat ne se passent pas d’ailleurs comme on l'avait prévu en 2015. On a implicitement laissé la main libre à « la main invisible » en pensant que le marché allait faire le boulot. Sept ans plus tard, on a certes fait des progrès, mais très insuffisants. Les Français aiment bien le mot de « planification », il leur rappelle la période de la reconstruction à la sortie de la seconde guerre mondiale. Je pense qu'effectivement qu’il faut une planification mais pas seulement étatique. Il faut surtout garder cet esprit de la planification à la française où tout le monde a été capable de se mettre autour de la table en disant : « voilà, on a un objectif qui est celui-là, comment peut-on ajouter les pièces ? Comment chacun peut y contribuer sachant qu’il y aura des gagnants et des perdants ? » A l’heure actuelle, nous sommes dans cette phase où il faut rendre la main un peu plus visible. Cela oblige à prendre des décisions fortes. Ce qui peut expliquer que les débats soient tendus en ce moment. Non seulement parce que la conjoncture est plus difficile, que la crise énergétique est là mais aussi parce qu'on se rend compte que la situation doit être prise au sérieux et la prise de décision aura des conséquences sur le long terme. Le Laboratoire de la République : le premier chantier de cette planification écologique est l'eau. Face à la complexité du sujet, pensez-vous qu’il faille accorder plus de place au travail de la recherche, à la science dans le débat d’idées et la prise de décision politique ? Bertrand Badré : Je n'aime pas parler de priorité parce que dans la planification, on comprend précisément que les sujets sont liés et que tout est prioritaire. Il faut traiter les sujets les uns avec les autres. L'eau est évidemment un sujet central, mais j'ose dire ni plus ni moins que le CO2, la biodiversité, nos équilibres sociaux, environnementaux. Avoir une approche d'ensemble de rénovation de notre modèle économique est essentiel et non la prendre par petits bouts. Ne perdons pas à l’esprit que depuis la création, le vieux principe de Lavoisier s’applique à la planète terre : « rien ne se perd, tout se transforme ». Le problème, c'est que cette eau, elle est plus ou moins disponible, plus ou moins propre. Et c'est un problème mondial. Le cycle de l'eau est mondial et en même temps, c'est très local. On est obligé de penser mondial et d'agir local. La prise en compte du réchauffement climatique a un fondement scientifique. Il y a un travail de pédagogie, de compréhension nécessaire. Il faut évidemment laisser sa place pleine et entière à la science et aux faits dans l'intérêt même de la parole politique. Dans un monde où les gens ne croient plus aux experts, il faut à la fois au maximum réhabiliter la science pour que la parole complotiste recule. Et en même temps, il ne faut pas la nier. Et donc la question se pose : « comment embarque -t-on tous ces gens-là sans créer de psychodrame, voire de révolte? » Le Laboratoire de la République : Les grandes écoles françaises s’emparent de la question climatique pour adapter le système éducatif aux nombreux défis. Vous intervenez régulièrement dans des grandes universités à travers le monde pour partager votre expérience et analyse, pensez-vous que nous soyons assez compétitif par rapport à d’autres pays du monde ?  Bertrand Badré : Je suis revenu en France il y a un an. J'ai fait un certain nombre d'interventions dans un certain nombre d'écoles et d'universités. Ça ne me donne pas une légitimité pour savoir si on est bien ou mal formé ici. En revanche, ce qui me parait central c ‘est d’avoir une approche multidisciplinaire. Notre faiblesse c'est que le rayonnement de nos institutions est plus limité que le rayonnement des grandes institutions anglo-saxonnes. C'est triste, mais c'est comme ça. C'est aussi important de regarder ce qui peut se passer dans les grandes universités britanniques ou américaines qui ont une force de frappe, y compris financière, infiniment supérieure à la nôtre. On a quand même beaucoup d’atouts qu’il faut valoriser. Je pense aux savoir-faire d’entreprises telle que Veolia, à l’effervescence de la French tech, aux nombreux intellectuels et chercheurs comme le penseur du « nouveau régime climatique » Bruno Latour ou le prix Nobel Jean Tirole. J'ai eu la chance d'avoir des responsabilités internationales, j’ai pu observer l’influence de la France. Elle n'est pas non plus infinie. L'Europe est un levier important à ne pas négliger, elle a une capacité à faire travailler ensemble des pays et c’est là un chemin d’avenir. Et probablement aussi, on ne prend pas complètement en compte les liens possibles avec les Britanniques. D’une manière générale, il y a toujours intérêt à construire ces ponts entre toutes les parties prenantes :  entreprises et ministères, mais aussi la puissance publique avec les ONG. Chacun est convaincu d'avoir raison tout seul. Donc il faut des endroits où tous les gens qui auraient raison tout seul se rendent compte qu'ils n'ont pas forcément raison sur tout et qu'ils sont plus pertinents ensemble. C'est un enjeu majeur. Je suis très préoccupé de l'urgence à trouver des solutions, là encore une fois il faut faire preuve d'intelligence collective.

Retour sur la soirée d’inauguration de l’antenne lilloise

par L'équipe du Lab' le 26 novembre 2022
Le 23 novembre dernier, le Laboratoire de la République ouvrait sa première antenne locale à Lille, lors d'une soirée à l'Université Catholique de Lille, organisée avec l’association De Plein Droit et le Think&Do Tank Youth’s Horizon, œuvrant respectivement pour l’accès aux droits sociaux des étudiants et les politiques éducatives.
La « république sociale » est un concept se situant au cœur de la philosophie politique de notre pays, mais que bien peu sauraient définir clairement. Et pourtant, la république sociale est loin d’être un concept purement théorique et abstrait. Elle a imprégné notre mode de vie et fait partie de notre quotidien. La république sociale pourrait être définie comme notion se préoccupant du bien-être des citoyens. Elle a pour but de faire société autour d’un projet d’égalité et de justice. Elle inclue la notion de destin commun, fondée sur le principe de solidarité. Elle est à l’origine de notre République et elle est aussi son avenir. En première partie de soirée, deux étudiants, Yash Savaliya et Rodolphe Hurtrez, ont pu témoigner dans le cadre du projet "Ils incarnent la République", développé par le Laboratoire. Leurs parcours particulièrement riches et inspirants ont mis en lumière la nécessité de renforcer et d'informer sur les dispositifs d'égalité des chances mis en place en France. Ensuite, cette soirée a été l'occasion pour les organisateurs et représentants de chaque association de présenter les projets à venir pour l'année 2023. Qu'il s'agisse de continuer à informer sur les aides sociales pour les jeunes pour l'association De Plein Droit (représentée par Théo Fouquer) ou de mettre en place une véritable synergie des jeunes pour Youth's Horizon et Le Laboratoire de la République (représentées par Lila Nantara), les projets sont multiples. Éric Clairefond, Délégué général du Laboratoire et Jean-Michel Blanquer, Président, ont également pu intervenir et s'adresser au public présent, particulièrement jeune : Une antenne du Laboratoire de la République, c’est avant tout un engagement concret des jeunes : à la fois dans la vie intellectuelle, pour le débat, mais aussi dans la vie pratique pour traduire la République par des actions, souvent au service des autres, ou simplement pour qu’on se sente appartenir à la même entité, à la même nation, à la République française. Enfin, une table ronde sur le thème "Droit social : réconcilier jeunesse et République" a clôturé la soirée, en présence de Richard Senghor, ancien Secrétaire général du Défenseur des droits, Hervé Terilynck, Directeur de cabinet de la Rectrice de la Région académique des Hauts-de-France et de l'Académie de Lille, David Dentreuil, Directeur des études et des stages de l'Institut Régional d'Administration (IRA) de Lille et Nathalie Flaszenski, Secrétaire générale du Conseil départemental de l'Accès au droit. « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. » C’est le projet de toute une génération, le fruit d’un investissement collectif qui s’inscrit dans une logique de concrétisation des promesses citoyennes, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La Sécurité sociale et les services publics en sont de parfaits exemples : depuis 1945, la République accorde à tous une sécurité face aux aléas de la vie. Pour la première fois, la volonté de la République est de sécuriser la vie des citoyens et d’atténuer la « peur du lendemain » que constituent la maladie, les accidents, l’âge ou encore l’instabilité financière. Les années 1980 font connaître à la République et aux citoyens une fragilisation du système, et de l’emploi en particulier, accompagnée d’un retour de cette « peur du lendemain » : la République sociale est déstabilisée.  Aujourd’hui, un obstacle persiste face aux vœux de la République sociale : l’accès aux droits. Les 18-25 ans et les plus de 60 ans sont les deux publics phares du Conseil Départemental de l'Accès au Droit du Nord (CDAD). Si les jeunes sont à l’aise avec le numérique, ils ne le sont pas intuitivement avec les démarches administratives en ligne. Cette capacité étant encore très dépendante du soutien familial, le CDAD œuvre pour l’accès aux droits de tous (accompagnement, informations, rendez-vous avec des professionnels : avocats, notaires, etc.), problématique essentielle dans un département précarisé.  À Lille, Bastia, Nantes, Metz et Lyon sont implantés des Instituts Régionaux d’Administration, faisant partie du réseau des écoles du service public. Au sein de ces instituts, la relation aux usagers est au cœur de la formation des élèves. « Simplifier, s’adapter, innover » sont les enjeux des futurs cadres de l’Administration française formés dans ces instituts, pour des services publics et une République sociale au plus proche des citoyens. À la suite de la crise sanitaire et dans le but de toujours tenir cette promesse de citoyenneté sociale, des mesures structurelles et conjoncturelles ont été prises pour les étudiants comme les repas à 1€ pour les étudiants boursiers. Cependant, l’accès à ce genre de dispositif doit être garanti à tous. Il existe à cet effet un guichet unique : le CROUS pour centraliser les informations concernant les droits des étudiants. Par ailleurs d’autres plateformes ont été créées pour toucher un plus large public de jeunes, telle que « 1 jeune, 1 solution », permettant la réduction d’inégalités en termes de réseau et d’opportunités. Les jeunes sont au cœur de nombreux dispositifs de notre République sociale. Dans la ville de Lille et plus globalement dans le Nord, l’accès aux droits est une problématique centrale. En partant de ce constat et grâce aux dynamiques permises par cette soirée de lancement d’antenne, le Laboratoire de la République est déterminé à faire vivre les valeurs républicaines, au plus près des jeunes citoyens lillois. La République au concret, c’est aussi tenir cette promesse de citoyenneté sociale ! 

Innovation et patrimonialisation : le rapport final remis au Laboratoire de la République

par L'équipe du Lab' le 25 novembre 2022
Depuis quelques mois, un groupe d'universitaires coordonné par Claudio Galderisi - membre du Comité scientifique du Laboratoire - travaille à la rédaction d'un rapport intitulé "Innovation et patrimonialisation. Pour un humanisme scientifique, numérique et technologique". Le rendu final de ces travaux a donné lieu le 21 novembre dernier à une conférence-débat organisée en Sorbonne et animée par Jean-Michel Blanquer.
Que revêt aujourd'hui la notion "d'innovation", "parée de toutes les vertus" et présente dans de nombreux appels à projets, qu'ils émanent des ministères comme des agences de l'État (ANR, ADEME, etc.) ? Quels sont les enjeux globaux évoqués à travers le terme "innovation" ? Quelles sont les différentes typologies d'innovation existantes et comment peuvent-elles nous éclairer sur ce terme ? Innovation et patrimoine ne sont-ils pas antithétiques ? C'est à toutes ces questions qu'ambitionne de répondre ce rapport produit par un groupe de réflexion composé de spécialistes représentant les grands acteurs disciplinaires, coordonné par Claudio Galderisi, philologue et spécialiste de la littérature française du Moyen-Âge et membre du Comité scientifique du Laboratoire. En convoquant de nombreuses disciplines - sciences humaines et sociales, sciences techniques, sciences politiques, histoire, anthropologie -, cette réflexion à plusieurs voix investit le champ de l'innovation, de sa définition à sa convocation par les pouvoirs publics, en passant par le domaine de la recherche. Le rapport final est à lire et à télécharger ci-dessous : Innovationetpatrimonialisation._17juillet2022_pdfTélécharger Coordonné par Claudio Galderisi. Avec les contributions de Pierre Caye, Gabriele Fioni, Pierre Glaudes, Alain Laquièze, Franck Neveu, Pierre Schapira, Carole Talon-Hugon, Jean-François Sabouret, Jean-Jacques Vincensini, Philippe Walter et de Bénédicte Durand, Philippe Dulbecco, Philippe Hoffmann.

Événement : le Laboratoire de la République s’implante à Lille

par L'équipe du Lab' le 17 novembre 2022
Le Laboratoire de la République vous donne rendez-vous à Lille le 23 novembre prochain pour le lancement de la première antenne locale lors d'une conférence : "Droit social : réconcilier jeunesse et République".
La République est-elle toujours sociale ? Les politiques d'accès aux droits ont-elles porté leurs fruits ? En quoi l'accès aux droits est-il un moyen de réconcilier jeunesse et République ? La République française est sociale en ce qu'elle garantit une égalité d'accès aux droits. La création de la Sécurité sociale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale répond en ce sens à la volonté de faire naître une République sociale. Toutefois, encore aujourd'hui, de très nombreux jeunes ignorent la plupart de leurs droits, mettant en lumière la faiblesse de leur lien actuel avec les institutions publiques. Renforcer le lien entre les jeunes et les services publics implantés sur leur territoire, c'est les rapprocher des institutions et donc de la République. Lors de cet événement organisé avec les associations 2 Plein Droit et Youth's Horizon, Richard Senghor, Hervé Teirlynk, Nathalie Flaszenski et David Dentreuil auront à cœur d'évoquer ces sujets et de revenir sur quelques-uns des fondements sociaux de la République française. Date : Mercredi 23 novembre 2022 Heure : 19h00 Adresse : Hôtel académique de l'Université catholique de Lille, Salle des Actes, 60 Boulevard Vauban 59800 Lille Sur inscription (gratuit) : veuillez cliquer ici.

Le Laboratoire de la République recevait la sociologue Nathalie Heinich lors des dernières « Conversations éclairées »

par L'équipe du Lab' le 17 novembre 2022
Mardi 15 novembre dernier, Marie Ameller et Brice Couturier recevaient Nathalie Heinich pour une conversation passionnante autour de son dernier ouvrage "La valeurs des personnes" (Gallimard, 2022).
Avec son ouvrage La valeur des personnes. Preuves et épreuves de la grandeur publié chez Gallimard à la rentrée, Nathalie Heinich analyse le processus qui nous amène à attribuer de la valeur aux personnes. A l'aide d'une méthodologie pragmatique et compréhensive - à contre-courant de la sociologie critique - la sociologue Nathalie Heinich évoque les différentes gammes de "preuves de qualité", qu'elles soient personnelles ou statutaires et analyse le rôle décisif des "épreuves d'évaluation" (entretien, examen, concours, évaluation) ainsi que de "l'épreuve de la grandeur" qui fabrique in fine la représentation des hiérarchies et donc des inégalités. Jalonnant son ouvrage de références littéraires particulièrement riches, Nathalie Heinich nous a offert, lors de cette conférence, une réflexion plus globale sur la recherche académique, qu'elle estime aujourd'hui minée par le militantisme. A ce propos, son ouvrage publié dans chez Gallimard au sein de la collection "Tracts", Ce que le militantisme fait à la recherche (n°29, 2021), contient une vive critique des "universitaires engagés" qui utilisent leurs travaux scientifiques et de recherche à des fins militantes et partisanes. Retrouvez l'intégralité des échanges ci-dessous : https://www.youtube.com/watch?v=uuzMXviAxIY

Touche pas à mon poste : la culture de l’invective est passée des réseaux sociaux à la télévision, selon Nathalie Sonnac

par Nathalie Sonnac le 14 novembre 2022
Jeudi dernier, 10 novembre, Cyril Hanouna, animateur de Touche pas à mon poste, diffusé sur la chaîne C8, a violemment pris à partie Louis Boyard, député LFI du Val-de-Marne, le traitant d'"abruti", alors que ce-dernier évoquait la fortune de Vincent Bolloré, propriétaire du groupe Canal +. Cet évènement a été abondamment relayé et critiqué. L’Arcom est saisie.
Le Laboratoire de la République : Cet évènement brutal a beaucoup fait réagir. Est-il inédit ? Nathalie Sonnac : L'altercation entre Cyril Hanouna et Louis Boyard est extrêmement violente, c'est sans doute ce qui rend d'abord l'évènement exceptionnel. Le comportement de l'animateur sur cette séquence est totalement délirant. Il faut néanmoins rappeler que ce n'est pas la première fois que Cyril Hanouna déborde. Rappelons qu'il y a à peine un mois, suite au meurtre atroce de la petite Lola, il a appelé à un procès expéditif de la principale suspecte, à sa condamnation à la perpétuité, en interpellant directement le ministre de la Justice. On observe d’ailleurs que si la réaction des réseaux sociaux à l’altercation n’est pas en faveur de l’animateur, elle s'explique en premier lieu par la violence et la vulgarité des propos : dans une cour d'école, on n'accepterait même pas ce type d'altercation qui n'a rien à faire sur un plateau de télévision. Ce qui rend la séquence également inédite, c'est que Cyril Hanouna s’adresse à un élu de la République, et lui tient des propos injurieux. C'est particulièrement inquiétant. Les représentants de la Nupes et de LFI ont saisi l'Arcom, qui a probablement dû recevoir par ailleurs de nombreux signalements. C'est inadmissible de s'adresser à un représentant de la Nation de cette manière, quel que soit l'âge dudit député et même si celui-ci fut un temps chroniqueur de l’émission. Cyril Hanouna ne fait pas ici la part des choses. C'est de l'ordre de l'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, et c'est peut-être ce qui sera retenu par les juges si l'affaire va au tribunal, comme on peut le prévoir. Le Laboratoire de la République : que peut faire l'Arcom, le gendarme de l'audiovisuel, contre ce type de débordements ? Nathalie Sonnac : L'Arcom dispose d’une échelle de sanctions allant de la mise en garde à la mise en demeure, une sanction sur la base de la convention qui a été signée entre l'Autorité et la chaîne. C'est donc la convention, et notamment les obligations générales de la chaîne en matière de maîtrise d’antenne (et ici de non-maîtrise), qui va être regardée et opposée à cette séquence. L'Arcom va également étudier la jurisprudence en la matière : c'est ce qui va rendre sa décision particulièrement intéressante, puisque nous aurons d'autres éléments sur des précédents de ce type à la télévision ou sur cette chaîne. Le Laboratoire de la République : Les élus sont-ils moins bien traités à la télévision qu'avant ? En particulier les députés ? Nathalie Sonnac : Ce qui est sûr, c'est que depuis plus d'une vingtaine d'années, on voit qu'il y a un mélange de genre, c'est à dire qu'il y a de plus en plus de politiques qui vont dans des émissions qui ne sont pas des émissions de débat public, mais des émissions de divertissement. Cela date à peu près du début des années 2000, et des premiers développements du genre de l'infotainment. De plus en plus d'élus, que ce soient des députés, des sénateurs, des ministres, des maires, etc. participent à des émissions dans lesquelles on voit bien que la composante récréative ou de divertissement est dominante. D'ailleurs, dans le cas de Touche pas à mon poste, l'Arcom regardera le format de l'émission.  N’est-elle qu’une émission de divertissement ? Comment qualifiez-vous une émission dans laquelle un député vient parler de sujets de société ? Nous sommes dans un entre-deux qui n'a rien de nouveau, qui est même de plus en plus courant. Bien sûr, les élus de la République y trouvent leur intérêt. C'est une façon pour eux aussi de se faire connaître, d'améliorer leur popularité, d'apparaître comme des gens sympathiques avec qui on peut discuter comme si on les connaissait, comme des copains. C'est du Drucker moderne. Sauf que Michel Drucker, il y a 20 ans, il était en costume cravate et s'exprimait normalement, avec respect. On constate sur 20 ans, qu’il y a de moins en moins d'espace de débat politique pur sur les chaînes de télévision. Cette séquence est le résultat de cette évolution. La fameuse émission, diffusée sur une chaîne publique, lors de laquelle Thierry Ardisson avait demandé à Michel Rocard : "est-ce que sucer, c'est tromper ?" date de 2001. Elle a marqué le début de quelque chose de nouveau. Le Laboratoire de la République : Comment en est-on arrivé aux insultes et à l'outrage ? Nathalie Sonnac : Ce type d'émission a beaucoup évolué ces vingt dernières années, essentiellement parce qu'elles se nourrissent de buzz fait sur les réseaux sociaux. C'est très caractéristique de ce qu'il se passe avec Hanouna, même si on retrouve peut-être la même recette chez Pascal Praud. Cyril Hanouna a un énorme fan club sur les réseaux sociaux et cherche à faire du buzz. Et le buzz s'importe dans l'émission télévisée. Auparavant, si quelqu'un dérapait dans une émission de télévision, cela faisait effectivement du bruit sur les réseaux. Aujourd'hui, il y a une communication permanente entre l'émission télé et les réseaux, dans un sens comme dans l'autre. Le buzz des réseaux nourrit le contenu de l'émission. C'est ce qui explique en partie la tonalité et le style de Cyril Hanouna, et ce dérapage en direct. C’est la violence que l’on retrouve sur les réseaux sociaux, caractérisés par l'invective, le non-débat, le manque de respect, la non-écoute qui se retrouvent malheureusement pêle-mêle à la télévision. Sur les réseaux sociaux ceci est renforcé par l'anonymat. Le Laboratoire de la République : La jeunesse est très perméable à ce type de formats. Comment s'assurer qu'elle se socialise à la politique par d'autres contenus ? Nathalie Sonnac : Effectivement, mais je ne crois pas que la jeunesse ait besoin de ce type d'émission pour s'informer, et c’est ici un très mauvais exemple donné aux plus jeunes qui regardent. Ce qui me semble particulièrement grave dans cette séquence, c'est, au-delà de l'insulte, l'absence d'échange. Il n'y a aucune écoute de part et d‘autre, aucune discussion, aucun débat entre Louis Boyard et Cyril Hanouna. Heureusement, d'autres formats existent. Les médias en France sont largement diversifiés et nous vivons dans un régime de liberté d'expression, on peut ne pas être d’accord mais on ne peut pas accepter cette violence verbale et ce manque d’écoute réciproque.  Il faut protéger le débat démocratique à la télévision. La force de ce média est sa capacité à réunir les gens à un moment donné, de favoriser une forme de vivre ensemble. La télévision garde la capacité de réunir une très large audience pendant un temps long. On sait qu’Internet favorise et renforce la polarisation des opinions, et joue sur une fragmentation des audiences et une segmentation de la population bien plus forte. La sphère médiatique traditionnelle est très violemment percutée par cette nouvelle donne, elle doit pouvoir réagir, s’adapter et rester attractive auprès des plus jeunes sans utiliser les stigmates des médias sociaux. Nathalie Sonnac est professeure en sciences de l'information et de la communication à l'Université Paris Panthéon-Assas et ancienne membre du collège du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Elle est l'auteure de nombreux ouvrages et articles scientifiques sur l’économie de la presse écrite, de l’audiovisuel et du numérique.

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