Michelle-Irène Brudny, professeur et philosophe, explore le thème complexe du mensonge en politique à travers le prisme analytique de Hannah Arendt. Arendt considère le mensonge, l'illusion et l'erreur comme des éléments intrinsèquement liés à l'action politique. Une réflexion contemporaine sur la communication politique et la guerre de l'information prend racine dans son analyse de la guerre du Vietnam, où l'objectif était de "gagner la bataille dans l’esprit des gens". Cette perspective trouve un écho frappant dans les événements comme le Covid ou le conflit Israël-Hamas, faisant émerger des questions cruciales sur la confiance envers la politique.
L'analyse part de l'affaire des Pentagon Papers pour comprendre la relation entre le mensonge ou la tromperie et la politique. Hannah Arendt soutient que le mensonge est un outil indispensable dans la sphère politique, utilisé pour influencer l'opinion publique et justifier des actions contestables.
L'exemple de la guerre du Vietnam illustre la manière dont la manipulation de l'information peut devenir une arme politique puissante. Arendt met en lumière l'objectif de cette guerre, non seulement militaire, mais aussi idéologique et psychologique - "gagner la bataille dans l’esprit des gens". Cette notion fait signe vers la communication politique contemporaine, où la perception façonne la réalité autant que les faits eux-mêmes.
Le conflit Israël-Hamas fait apparaître des similitudes avec les dynamiques identifiées par Arendt. Les médias, les discours politiques, idéologiques et les récits officiels sont des instruments qui façonnent la perception, influençant ainsi le soutien public et international.
La question cruciale émerge : comment préserver la foi en la politique alors que le mensonge semble être un compagnon constant de l'action politique ? Arendt invite à une réflexion profonde sur la nature de la vérité et de la confiance dans le domaine politique. En fin de compte, son essai souligne la nécessité d'une transparence accrue et pose la question essentielle : le gouvernement a-t-il une mission d'information, et comment peut-il l'accomplir en conservant la confiance du public ? Ces questions demeurent centrales pour une démocratie digne de ce nom.
https://youtu.be/CyT5jYR3LFs
Philippe Le Corre est chercheur au Asia Society Policy Institute (Centre d’analyse sur la Chine), conseiller d’Asia Society France. Samedi 4 février, le ballon chinois qui survolait les Etats-Unis a été abattu. Un deuxième ballon chinois survole l’Amérique latine et les Américains supposent un troisième quelque part dans le monde. La rencontre entre Xi Jinping et Joe Biden lors du dernier G20 avait créé une promesse d’apaisement. Après cet incident, les relations diplomatiques sont très tendues notamment après le report de la visite diplomatique d’Antony Blinken, chef de la diplomatie américaine, en Chine. Philippe Le Corre nous fait part de sa vision sur l’état des relations sino-américaines et les rumeurs médiatiques persistantes de conflit potentiel dans quelques années.
Le Laboratoire de la République : Pour les Américains, le ballon était un engin espionnant des sites stratégiques. Pour les Chinois, il s’agissait d’un « aéronef civil, utilisé à des fins de recherches météorologiques ». Les Etats-Unis instrumentalisent-ils l’incident ? La Chine peut-t-elle mentir sur la véritable mission de son ballon ?
Philippe Le Corre : Ce n’est ni la première fois que la Chine envoie ce type d’engin au-dessus du territoire américain, ni la première fois qu’elle cherche à pénétrer les secrets du dispositif sécuritaire des Etats-Unis ou d’un autre pays. Au moins quatre ballons avaient déjà été repérés par le passé au Texas, en Floride ou à Hawaï. Les autorités américaines ont commencé à analyser les débris de cet appareil et il est certain que la direction chinoise est déjà sur la défensive, toujours prête à invectiver ses adversaires. Pourtant, selon le Washington Post- ces actions susmentionnées sont clairement identifiées comme des opérations offensives de surveillance ou d’espionnage, lancées à partir d’une base militaire de l’île de Hainan. Le Département d’Etat a d’ailleurs échangé avec les ambassades d’une quarantaine de pays – le Japon, par exemple – pour les informer de la situation. Certains de ces ballons sont équipés de senseurs et de matériaux de transmission, et n’ont aucun lien avec la « météorologie ». Selon certaines sources, la riposte des porte-paroles de Pékin cache en réalité un embarras comme celui de quelqu’un pris « la main dans le sac »…même s’il est possible que le ballon en question ait dévié de sa trajectoire pour se retrouver au-dessus de l’Etat du Montana, il s’agit d’une vraie crise qui a provoqué le report sine die de la visite en Chine du Secrétaire d’Etat, Antony Blinken, qui devait permettre de reprendre le dialogue. C’est une occasion manquée à l’heure où les Républicains –peu suspects de vouloir favoriser un rapprochement sino-américain- viennent de prendre le contrôle de la Chambre des Représentants aux Etats-Unis.
Le Laboratoire de la République : Sur fond de rivalité économique et d’enjeux géostratégiques, on assiste à une escalade de la confrontation sino-américaine. Quelles sont, à vos yeux, les ambitions respectives des Etats-Unis et de la Chine ?
Philippe Le Corre : L’ambition des Etats-Unis est simple : de continuer à dominer les autres puissances militairement grâce à des technologies avancées, notamment les semi-conducteurs, et une armée disposant de moyens importants sur tous les continents – dont l’Indo-Pacifique. Ils disposent d’atouts sérieux, notamment des laboratoires efficaces, des universités hors pair et un tissu militaro-industriel porté par la classe politique américaine, qu’il s’agisse des Républicains ou des Démocrates. A ce stade, malgré tous les problèmes de l’Amérique, il n’y a aucune puissance qui puisse réellement rivaliser avec les Etats-Unis.
Pour la Chine, il s’agit de démontrer qu’elle s’est rapprochée de la première marche du podium sous l’égide d’un parti communiste lancé dans une stratégie nationaliste et revancharde laquelle permet au régime d’apparaître comme le grand défenseur des intérêts de la nation. La rivalité sino-américaine est multidimensionnelle : de l’économie à la science, en passant par la diplomatie, l’éducation, l’espace ou l’intelligence artificielle, il n’est guère de domaine dans lequel la Chine ne tente de concurrencer l’Amérique. Mais cette dernière dispose d’un atout : ses nombreux alliés, les démocraties notamment, inquiets de voir la Chine prendre une position dominante en Asie en particulier.
Le Laboratoire de la République : Les deux pays déclarent leur souveraineté attaquée. Les spéculations médiatiques sur la possibilité d’un conflit armé dans quelques années vous semblent-elles fondées ?
Philippe Le Corre : Je ne vois pas en quoi la souveraineté de la Chine a été attaquée dans cette affaire. Si un engin de ce type avait pénétré l’espace aérien chinois, il ne fait pas de doute que le dispositif sécuritaire de l’Armée populaire de Libération l’aurait immédiatement abattu (même si aucun pays ne menace actuellement la Chine, ni de près ni de loin). Concernant l’éventualité d’un conflit armé, c’est une autre question. S’il advenait, il y a de fortes chances que cela tourne autour du détroit de Taiwan ou en mer de Chine où Pékin se comporte depuis plusieurs années « en terrain conquis » ce qui ne laisse d’inquiéter les pays limitrophes, particulièrement le Vietnam et les Philippines. La question de Taiwan est d’une autre nature, elle tient à l’obsession nationaliste de Xi Jinping, nommé pour un troisième mandat lors du 20ème congrès du parti communiste en novembre dernier. Le secrétaire général s’est donné pour objectif de récupérer d’ailleurs, à l’image de la « rétrocession » de Hong Kong à la Chine, en 1997, puis de Macao en 1999. A l’heure où l’économie chinoise ralentit, où la crise immobilière persiste et où la démographie connait une régression sérieuse, l’idéologie est le seul totem auquel le parti peut s’accrocher sans vergogne. Or le soudain virage à 180° opéré en fin d’année au sujet de la « politique du zéro Covid » continue de provoquer des interrogations sur la politique de long terme de l’équipe au pouvoir. On voit mal la stratégie s’il y en a une. Et l’opacité demeure la règle. Sans doute la nomination officielle du gouvernement à l’occasion de la session annuelle des deux chambres du Parlement chinois début mars permettra-t-elle de lever quelques ambiguïtés, mais pour les China watchers de nombreuses questions demeureront sans doute.
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