Étiquettes : République

Perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France

par Antoine Armand le 13 juillet 2023
Le 30 mars 2023, la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France" a rendu son rapport. Ses conclusions décryptent les raisons de ce constat. Le député Antoine Armand évoque pour la commission Défi environnemental du Laboratoire les pistes de solution pour regagner en souveraineté et favoriser sobriété et transition énergétique vertueuse.
Antoine Armand, dans le cadre des travaux de la commission "défi environnemental" du Laboratoire de la République, nous éclaire sur les décisions politiques qui ont conduit à la situation de dépendance énergétique actuelle. Celle-ci a impliqué, l'hiver dernier, la nécessité de prendre des mesures d'urgence en matière de sobriété. Le parlementaire, en revenant sur les principales conclusions de la commission d'enquête, nous explique les grandes orientations qui permettront de retrouver notre souveraineté énergétique et d'optimiser la transition écologique. Regarder l'entretien en entier sur notre chaîne Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=z4asUsyY8co Entretien avec le député Antoine Armand, rapporteur de la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France"

« L’avenir du travail et du dialogue social » avec M. Pénicaud et J.C. Mailly

par L'équipe du Lab' le 27 juin 2023
Mardi 20 juin, le Laboratoire de la République invitait Muriel Pénicaud, ancienne ministre du Travail, et Jean-Claude Mailly, ancien secrétaire général de Force Ouvrière à l'hôtel de l'Industrie pour débattre sur l'avenir du travail et du dialogue social.
Le mardi 20 juin 2023, le Laboratoire de la République, dans le cadre des travaux de sa commission République Sociale a organisé une conférence sur "l'avenir du travail et du dialogue social en France" à l'Hôtel de l'Industrie (Paris 6è). Un passionnant débat entre Muriel Pénicaud, ancienne ministre du Travail et Jean-Claude Mailly, ancien secrétaire général de Force Ouvrière a permis d'évoquer les grands enjeux du futur du monde du travail (l'impact des nouvelles technologies et notamment de l'Intelligence artificielle, l'égalité femme-homme, la formation, l'emploi des jeunes et des séniors, la transition écologique, l'importance de la négociation, le rôle des syndicats et ses relations avec les pouvoirs publics...) et de mettre en lumière des pistes d'amélioration au travers des témoignages et réflexions de deux grands acteurs du dialogue social. Edouard Tétreau, essayiste et entrepreneur, a modéré les échanges. Retrouver la captation en son intégralité sur notre chaîne Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=iBGjGB37ezU "L'avenir du travail et du dialogue social en France"

Intelligence artificielle : une trêve de 6 mois pour répondre aux risques encourus

par Malik Ghallab le 22 juin 2023
En mars dernier, Elon Musk et des centaines d’experts ont signé une lettre ouverte demandant la suspension pour six mois des recherches sur les systèmes d’intelligence artificielle plus puissants que GPT-4. Malik Ghallab, directeur de recherche au CNRS, fait parti des signataires. Il nous explique les raisons d'une « pause » dans le développement de l’intelligence artificielle.
Laboratoire de la République : Vous faites partie des signataires de l’appel mondial pour une pause dans le développement de l’Intelligence artificielle (IA) qui a été publié sur le site de la fondation américaine « Future of life » le 29 mars dernier. Pourquoi avez-vous signé cet appel ? Malik Ghallab : Ce que nous demandons dans cet appel, ce n’est pas seulement une pause dans le développement de l’IA mais une pause dans son déploiement et sa diffusion. Bien au contraire, il est nécessaire que les recherches se poursuivent. La pause demandée concerne le déploiement auprès du grand public et l’utilisation par des entreprises qui peuvent être mal avisées. Cet instrument avec des modèles de langages profonds a des performances remarquables et est surprenant sur bien des aspects. Cependant, sa diffusion présente des risques. C’est un constat qui est régulièrement partagé. C’était déjà un sujet central à Paris il y a trois ans lors du Forum de l’IA pour l’humanité qui a réuni 400 à 500 participants à l’échelle internationale. Cette conférence avait d’ailleurs donné lieu à de nombreux documents et à un ouvrage de référence sur le sujet. Le Laboratoire de la République : quels sont ces risques ? Il faut d’abord bien comprendre qu’aujourd’hui la technique de l’IA est en avance sur la science de l’IA. On sait faire beaucoup plus de choses que l’on ne les comprend. Cela peut paraître surprenant mais ce n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire des sciences et techniques. Par exemple, la machine à vapeur a devancé Carnot de trois siècles. Le moteur électrique a devancé Maxwell de près de cinq siècles. En ce qui concerne l’IA, la science était en avance sur la technique depuis les débuts de son développement dans les années 50 jusque dans les années 80 et puis, progressivement, les choses se sont inversées. Aujourd’hui, par conséquent, on ne sait pas expliquer exactement les performances remarquables du système en matière de maîtrise du langage et de développement de raisonnements. Il y a eu un changement de phase important entre la version 2, GPT 2, et la version 3, et encore un changement plus important avec la version 4. L’émergence progressive de compétences argumentatives est étonnante mais difficile à comprendre. Il y a une centaine de publications chaque mois dans les revues scientifiques sur ce sujet. La deuxième source de risques est liée à l’écart entre les possibilités d’adaptation de la société et l’évolution des techniques. Les techniques avancent très vite mais la société a besoin de quelques générations pour pouvoir bien digérer une technique donnée et pour pouvoir mettre en place des garde-fous, des mécanismes de régulation et de contrôle. Aujourd’hui, on avance à une vitesse élevée dans une dynamique qu’on ne contrôle pas. Il n’y a pas de pilote à bord. Sur un certain nombre de sujets, on a besoin de mécanismes de régulation. On sait les mettre en place sur des techniques et technologies plus anciennes, par exemple, dans le domaine du médicament. On ne déploie pas un médicament sitôt que quelqu’un a inventé une molécule. Il se passe de très nombreux mois, voire des années de tests et de validations avant que des autorités spécialisées donnent leur feu vert et disent qu’un médicament peut être utilisé et prescrit par des médecins. Dans d’autres domaines, comme celui des transports, il ne suffit pas qu’un industriel sorte un nouvel appareil pour inviter les passagers à bord. Il peut se passer de longs mois, voire des années avant que l’appareil ne soit certifié. A contrario, il n’y a que très peu de mécanismes de contrôle sur les technologies d’IA. Les garde-fous qui ont été mis en place au niveau européen concernent principalement le respect de la vie privée (par exemple le RGPD) ou l’encadrement de la liberté d’expression : ils ne répondent pas du tout aux risques que posent les technologies d’intelligence artificielle. Laboratoire de la République : Concrètement, quels risques politiques pour notre démocratie pourrait apporter la diffusion de l’IA générative à court terme ? On a parlé de la diffusion de fake news de meilleure qualité par exemple. Malik Ghallab : L’apparition de fake news n’est qu’une des facettes du problème. Ce qui pose fondamentalement problème, c’est que les technologies d’IA confèrent un avantage énorme à ceux qui les possèdent. Elles sont en effet très difficilement reproductibles et déployables. Un modèle comme celui de GPT coûte plusieurs milliards d’euros et demande une somme d’énergie considérable au déploiement. Le développement de ces technologies est extrêmement lourd. On ne pourra pas disposer d’autant de ressources pour développer des modèles alternatifs au sein de laboratoires de recherche. En revanche, l’usage individuel de cette technologie est très simple : ce sont des technologies disponibles. Tout le monde peut interagir avec un système de dialogue. Leur disponibilité individuelle est donc très importante. Mais cette disponibilité individuelle n’a rien à voir avec l’acceptabilité sociale. L’acceptabilité sociale doit prendre en compte des effets à long terme, les valeurs d’une société, la cohésion sociale, etc. ChatGPT va avoir par exemple un impact considérable sur l’emploi : l’acceptabilité sociale va considérablement diminuer si l’outil met des centaines de milliers de personnes au chômage.  Les capacités de manipulation sont également considérables, malgré les précautions prises par OpenAI et les progrès en la matière. L’IA est une technologie clé dans la course à la puissance économique (entre entreprises) et géostratégique (entre États) car elle donne à celui qui la possède des avantages compétitifs immenses. Dans un monde où il y a de plus en plus de conflits ouverts, l’IA va être utilisé pour manipuler des sociétés à grande échelle. Il faut que les sociétés puissent se protéger. Laboratoire de la République : De nombreuses personnalités se sont exprimées pour dire qu’une pause dans le déploiement de l’IA était illusoire. Qu’en pensez-vous ? Peut-on vraiment mettre en place des mécanismes de ralentissement pour pouvoir réguler l’IA rapidement ? Malik Ghallab : Nous n’arriverons pas à mettre en pause le déploiement de l’IA si nous ne faisons que constater plus ou moins cyniquement l’existence des moteurs du développement technique et économique, comme le modèle de capitalisme de surveillance. Beaucoup d’efforts ont été faits au niveau européen en ce qui concerne le respect des données individuelles. Ces règles ont été largement acceptées et bien déployées au-delà de l’Europe. Des mécanismes similaires peuvent être créés si on se donne le temps de comprendre les technologies d’IA. Nous ne pouvons pas à la fois constater les manipulations politiques qui ont été conduites à grande échelle ces dernières années (pensons au scandale Cambridge Analytica) et rester les bras croisés sur l’IA. Cette pétition signée par plus de 20 000 personnes avait pour ambition d’attirer l’attention sur un risque considérable. Pour déployer un outil à une échelle aussi vaste, il faut le maitriser et savoir où il nous conduit. Il faut prendre le temps de comprendre pour réguler son usage. Entretien réalisé par téléphone.

Jeudi 29 juin : « La laïcité pour aujourd’hui et demain »

par L'équipe du Lab' le 21 juin 2023
Jeudi 29 juin, la Commission République laïque du Laboratoire organise sa première conférence sur le sujet : "La laïcité pour aujourd'hui et demain".
Alors même qu’elle a été pensée et concrétisée comme le meilleur moyen de libérer les individus, la laïcité est désormais perçue, notamment chez les jeunes, comme un instrument de coercition qu’exerceraient sur eux les pouvoirs publics. Notre engagement en faveur de la laïcité doit nous conduire, d’une part à un réarmement intellectuel pour revivifier les fondements de l’esprit laïque et sa défense des trois Libertés, de conscience, de pensée et d’expression, et d’autre part, à réenchanter la laïcité. Cette première rencontre de la Commission « République Laïque » du Laboratoire de la République, marque le lancement de notre action et propose de réfléchir autour de trois tables rondes. Celles-ci interrogent des praticiens de terrains, élus, grands témoins tous acteurs de la promotion de la laïcité. Les échanges seront introduits par Jean-Michel Blanquer, président du Laboratoire de la République, et modérés par Michel Lalande, haut fonctionnaire et référent de la Commission « République laïque » du Laboratoire. Nos tables rondes seront les suivantes : 1) La laïcité sur le terrain : Véronique Grandpierre : historienne et inspecteur d’Académie de Paris. Inspecteur pédagogique régional au rectorat de Paris. Référente académique laïcité et faits religieux pour Paris. Iannis Roder : professeur agrégé d’histoire en collège (Seine-Saint-Denis). Membre du Conseil des sages de la laïcité. 2) Les élus face aux enjeux de la laïcité : Caroline Yadan : députée de la 3ème circonscription de Paris. 3) De grands témoins - L'enjeu de la formation : Fahimeh Robiolle : ingénieure nucléaire iranienne, enseignante à Sciences Po et à l'ESSEC. Militante en faveur des femmes iraniennes et afghanes. Pierre-Henri Tavoillot : maître de conférences en philosophie et responsable du DU « référent Laïcité » à la faculté des lettres de Sorbonne Université. Les tables rondes seront suivies d’un dialogue avec la salle. Quand ? Jeudi 29 juin, 19h Où ? Maison de l'Amérique latine 217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris Gratuit, inscription obligatoire Pour vous s'inscrire, cliquez-ici

Le droit d’asile en question

par Michel Aubouin le 20 juin 2023
L'attaque au couteau à Annecy perpétrée par un réfugié a généré de nombreux débats sur le droit d'asile. Michel Aubouin, préfet honoraire, auteur de « Le Défi d’être français » aux éditions de La Cité, revient sur la question du droit d'asile. Alors que le projet de loi "asile et immigration" sera débattu prochainement au Parlement, quelle est l'organisation de la demande d'asile et quelles sont les défaillances ?
La tentative d’assassinat perpétrée par un réfugié sur des enfants dans un parc d’Annecy a engendré de multiples réactions sur le thème du droit d’asile. L’horrible fait-divers et les commentaires qu’il a générés avaient pourtant peu de relations. L’individu appréhendé bénéficiait en effet d’un statut de réfugié obtenu en Suède qui l’autorisait à se déplacer librement dans l’espace Schengen. Si une défaillance est à relever, elle concerne au premier chef les institutions françaises en charge de la protection des populations, dès lors que son installation dans un parc public, au vu et au su de tous, aurait dû enclencher une enquête de police qui aurait permis de vérifier qu’il avait dépassé le temps au-delà duquel il ne pouvait demeurer en France, et, en liaison avec la Suède, de mesurer son état de dangerosité, qui aurait sans doute mérité un placement d’office en soins psychiatriques (s’il est avéré que son épouse avait signalé son cas). Le prétexte du débat était infondé, mais le débat lui-même mérite d’être ouvert. Le droit d’asile, en effet, ne manque pas de susciter des interrogations légitimes. Son essence honore les pays démocratiques, mais son application en Europe est d’une rationalité très relative. En France, le droit d’asile a été formulé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et, depuis cette date, notre pays a accueilli de nombreux opposants politiques, des militants menacés dans leur pays, des familles juives chassées de l’empire Austro-hongrois ou les rescapés arméniens des massacres perpétrés par la Turquie. A ce principe initial, qualifié de constitutionnel, s’est ajouté un autre principe, introduit par la Convention de Genève de 1951, approuvé par la France. Si l’on voulait prolonger cet élan de générosité, il est assez évident que nous devrions organiser, aujourd’hui, la protection des femmes menacées de mort en Iran pour refuser le port du voile ou celle des opposants russes au régime du président Poutine. Ce n’est pas ainsi que les choses se passe, car l’essentiel des demandes d’asile sont formulées par des personnes qui ont réussi à s’embarquer pour une traversée périlleuse de la Méditerranée, payée au prix fort à des groupes mafieux sans scrupule. L’organisation de la demande d’asile est elle-même assez étonnante. Elle devrait  en toute logique être formulée dans le pays d’origine, auprès de nos postes consulaires ou de bureaux créés à cet effet. A tout le moins, elle devrait être déposée lors de l’arrivée sur le sol français. Mais, en France, elle relève d’un guichet administratif dédié. La démarche est si compliquée qu’elle a généré une intense activité d’avocats spécialisés. L’OFPRA, qui peine à gérer ces flux, dispose d’une première grille de lecture qui distingue les pays sûrs des pays à risque. A priori, le ressortissant d’un pays sûr (la Suisse, par exemple) ne peut demander l’asile en France. L’établissement de cette liste constitue ainsi la colonne de notre droit d’asile. Chaque pays, en la matière, dispose de son appréciation, fondée sur les relations qu’il entretient avec les pays tiers. En bonne logique, l’établissement de la liste devrait relever de la compétence du Premier ministre, sur proposition du Quai d’Orsay. En fait, elle relève du conseil d’administration de l’Office où la majorité des sièges est occupée par des collègues du ministère de l’intérieur, aucun d’entre eux n’ayant de compétence quant aux sujets traités. L’asile est ainsi considéré comme l’une des branches de la politique publique de lutte contre l’immigration et la direction qui en est chargée relève du ministère de l’intérieur. Cette situation est d’autant plus paradoxale qu’en vingt ans, depuis que ce ministère s’en occupe, le pourcentage des demandeurs d’asile bénéficiant du statut de réfugié à été multiplié par deux, passant de 20 à 40%. Lorsque le demandeur a été débouté devant l’OFPRA, il a la possibilité de faire appel devant la Commission nationale du droit d’asile, présidée par un membre du Conseil d’Etat. Il est évident les membres de cette instance de recours n’ont guère plus de compétence pour comprendre la situation interne au Burkina-Faso ou au Vénézuela que les officiers de protection de l’Ofpra. En 2022, 137 000 étrangers ont formulé une demande d’asile. Les quatre premières nationalités ont concerné l’Afghanistan, le Bangladesh, la Turquie et la Géorgie. Les Afghans sont pour l’essentiel des jeunes migrants qui n’ont pas réussi à passer en Grande-Bretagne. Leur rôle exact dans la résistance aux talibans est sans doute difficile à apprécier. Les femmes sont absentes de ce groupe. Les motivations des ressortissants du Bangladesh sont sans doute de nature économique. Les ressortissants turcs sont essentiellement des Kurdes. Quant aux Géorgiens, ils arrivent par l’aéroport de Beauvais d’un pays qui tente de se rapprocher de l’Europe. Aucun de ces pays n’appartient à l’espace francophone. Lorsque la décision est négative, la question posée à l’administration est celle de la suite à donner. En bonne logique, l’étranger entré clandestinement en France et débouté du droit d’asile doit retourner dans son pays d’origine. Il est évident qu’il n’existe aucun moyen de coercition permettant de reconduire leurs ressortissants en Afghanistan ou au Bangladesh. Les 82 000 déboutés de l’année 2022 vont ainsi s’agréger, pour la plupart, au volume des étrangers vivant en France de manière irrégulière, attendant les cinq années mentionnées dans la circulaire signée par Manuel Valls pour obtenir, en 2027, la régularisation de leur situation. La politique de l’asile aura ainsi manqué sa cible et les procédures mises en oeuvre auront fait de cette politique essentielle un prolongement des politiques d’immigration. L’Europe, face à ce phénomène, n’intervient qu’à la marge. Elle assigne au premier pays d’installation l’obligation de recueillir la demande d’asile. En confondant l’asile et la gestion de l’immigration irrégulière, elle a confié ce rôle à l’Italie et à la Grèce. La situation est intenable, mais comment amener les demandeurs d’asile à se répartir entre des pays qui n’appliquent pas tous les mêmes règles et ne présentent pas les mêmes opportunités économiques ? Il convient de réfléchir à la manière de mieux faire coïncider notre politique étrangère avec notre politique de l’asile, pour rendre à la France son aura de nation militante des droits de l’homme.

Marché européen du carbone : comment « changer les règles du jeu » économique dans l’intérêt général ?

par Christian Gollier le 15 juin 2023
Depuis 2005, le marché européen du carbone met en pratique le système du pollueur-payeur, afin de contrôler et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce marché s’applique à environ 40% des émissions du continent via son système d’échange de quotas d’émissions (ETS « Emissions Trading System »). Christian Gollier, économiste, directeur et co-fondateur de la Toulouse School of Economics, spécialiste de l’économie de l’environnement, co-auteur des 4èmes et 5èmes rapports du GIEC, nous apporte son éclairage sur l’état actuel et les enjeux de ce marché.
Le Laboratoire de la République : Dans une économie mondiale mettant en avant la maximisation du profit, l’Europe a choisi de prendre en compte financièrement les externalités environnementales grâce à ce marché du carbone. Quelles ont été les conséquences de sa mise en place ? Sont-elles celles attendues ? Christian Gollier : En augmentant le coût des énergies fossiles par rapport aux énergies renouvelables, ce système a effectivement permis de réduire significativement les émissions des secteurs industriels et électriques en Europe. Les secteurs non-couverts par ce système, comme le transport et le chauffage, ont au contraire vu leurs émissions croître sur la période. Néanmoins, jusqu’à récemment, le prix d’équilibre du carbone sur ce marché est resté trop bas pour rendre le charbon non-rentable. Mais aux prix actuels, le charbon n’est aujourd’hui plus rentable, et les électriciens polonais et allemands ont aujourd’hui un intérêt financier à s’en dégager. Le Laboratoire de la République : Le prix du carbone a quadruplé depuis 2020, atteignant environ 100€ la tonne en 2023. Comment l’Europe parvient à maintenir sa compétitivité industrielle tout en prenant en compte ce prix du carbone grandissant ? Une croissance verte est-elle atteignable ? Christian Gollier : Il est complètement évident que si l’Europe reste incapable à rétablir une juste compétition entre les producteurs européens exposés à ce prix du carbone et les producteurs étrangers qui peuvent polluer gratuitement, beaucoup des premiers devront mettre la clé sous la porte, et se feront remplacer sur les marchés par les seconds. La planète n’y gagnera rien. Rien ne sert d’être vertueux si c’est pour en mourir ! C’est pour cela que l’Union a décidé récemment de rétablir une saine concurrence vertueuse en imposant dès 2026 des ajustements carbone à ses frontières externes qui obligeront les importateurs de produits carbonés à payer le même prix du carbone que les producteurs locaux. Le Laboratoire de la République : Un nouveau marché du carbone (ETS2) est prévu, spécifique au chauffage des bâtiments et aux carburants routiers. Un fonds social sera créé afin d’atténuer les conséquences néfastes de ce nouveau marché pesant directement sur les plus modestes. Ce fonds garantira-t-il un pouvoir d’achat suffisant aux ménages ? Des évènements tels que la crise des Gilets Jaunes ne risquent-ils pas de se reproduire ? Christian Gollier : On peut associer lutte contre le changement climatique et lutte contre les inégalités en redistribuant une partie du revenu issu de la vente de permis d’émission aux pollueurs vers les ménages les plus modestes, de manière à ce que ces derniers soient pleinement compensés, voire sur-compensés, pour la perte de pouvoir d’achat associée au renchérissement des produits les plus carbonés, sans modifier leur incitation à décarboner leur mode de vie. C’est ce que la France n’avait pas fait avec sa taxe carbone, ce qui avait déclenché le mouvement des gilets jaunes. Mais c’est ce que l’Europe s’apprête à faire. Le Laboratoire de la République : Plus largement, les critères extra-financiers ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) sont mis en avant de façon croissante par les entreprises. Lorsqu’il s’agit de réorienter les décisions des investisseurs dans une logique de réduction des émissions de gaz à effets de serre, ces critères ESG ont-ils un poids significatif ou sont-ils principalement un instrument de communication aux conséquences négligeables par rapport à celles du marché du carbone ? Christian Gollier : Il est incontestable que beaucoup d’entreprises ont pris conscience de leur responsabilité environnementale. Maintenant, que peut faire un chef d’entreprise dans les secteurs où les marges ne permettent pas d’affronter la hausse des coûts des modes de production moins carbonés ? Prenons l’exemple de l’acier. Selon certaines estimations, le remplacement des hauts fourneaux utilisant le charbon pour réduire le minerai de fer par des technologies utilisant de l’hydrogène et de l’électricité verte irait jusqu’à doubler les coûts de production de cet acier. Concrètement, sans un prix du carbone ou d’autres mécanismes de soutien public, une entreprise qui adopterait cette technologie verte serait certes responsable, mais ferait rapidement faillite. Les critères ESG sont utiles pour faire évoluer les mentalités, mais il ne faut pas en attendre beaucoup. Seul l’Etat est en situation de changer les « règles du jeu » de l’économie de marchés pour aligner la myriade d’intérêts individuels avec l’intérêt général. Beaucoup d’activistes et ONG soutiennent une stratégie climatique consistant à obliger les compagnies pétrolières et gazières à réduire leur offre de produits pétroliers aux consommateurs. Comme on l’a vu l’an dernier avec l’embargo sur les produits fossiles russes, une baisse de l’offre fait exploser les prix de l’énergie. Certes, cette hausse des prix incite à la sobriété et à une transition vers des modes de vie et de production moins carbonés. Mais cette stratégie atteint cet objectif en réduisant significativement le pouvoir d’achat, en particulier des ménages les plus modestes, tout en accroissant les profits des « majors » et la rente pétrolière empochée par leurs actionnaires. La taxe carbone a aussi cet effet très décrié d’accroître les prix pour inciter à la décarbonation, mais au lieu d’enrichir les compagnies pétrolières, elle remplit les caisses de l’Etat qui peut utiliser ce revenu fiscal pour compenser certaines catégories de ménages. Je suis effaré que ces activistes et ces ONG militent pour une telle stratégie, alors qu’une tarification du carbone la domine clairement dans toutes les dimensions environnementales et sociales. Nous vivons une période d’intense frustration et tension sociale au sujet du changement climatique dont nous sommes individuellement et collectivement responsables. Trop d’impensés des politiques climatiques proposées continuent à prospérer. Les scientifiques des sciences sociales, en particulier les économistes, ont échoué à apporter au débat public dans ce domaine les éclairages de la science. Cet échec, tout comme le manque de courage politique et la nature peu altruiste de l’Homme, mettent en danger notre démocratie libérale tout comme notre avenir sur cette planète, alors que de nombreuses voix s’élèvent pour que nous « bifurquions » et que nous « désertions » de cette organisation du « vivre ensemble », sans offrir une alternative claire et acceptable.

Pour rester informé
inscrivez-vous à la newsletter

S'inscrire