Brice Couturier et Chloé Morin ont accueilli Nicolas Tenzer pour discuter de son dernier ouvrage, « Notre guerre : Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique », publié par les éditions de l’Observatoire. N. Tenzer a exposé la nécessité d’une stratégie lucide dans un monde où les certitudes passées obscurcissent les dangers futurs. Il a souligné l’urgence d’une nouvelle diplomatie face à la dégradation du droit international et à l’affaiblissement des démocraties confrontées à des régimes prêts à tout pour préserver leur pouvoir. En analysant les crises contemporaines telles que la guerre russo-ukrainienne et les ambitions chinoises, N. Tenzer a proposé un plan d’action rigoureux pour éviter les erreurs du passé et naviguer dans un monde où la guerre est devenue omniprésente. Son livre, bien plus qu’un ouvrage de géopolitique, est un appel à la lucidité et un avertissement contre les illusions qui nous rendent vulnérables.
https://youtu.be/kH2qfQd5DHA?si=eR_O90tv-NCEdoCN
Mercredi 24 avril, à la Maison de l'Amérique latine, le Laboratoire de la République vous invite au rendez-vous des "Conversations éclairées". Brice Couturier et Chloé Morin reçoivent Nicolas Tenzer pour la publication de son dernier ouvrage : « Notre guerre : Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique » aux éditions de l'Observatoire.
Alors que les certitudes d'hier occultent les risques de demain, Nicolas Tenzer propose une stratégie indispensable pour avancer dans un monde qui est, de fait, en guerre. "Notre guerre" n'est pas simplement un livre sur la géopolitique ; c'est un appel à la lucidité, une cartographie des illusions lourdes de notre vulnérabilité. Ainsi, Nicolas Tenzer ne se borne pas à diagnostiquer les maux de notre époque : il propose une feuille de route rigoureuse et pragmatique pour naviguer dans un monde où la guerre est devenue notre présent. L'auteur s'immerge dans l'urgence d'une époque où le droit international est de plus en plus détruit et où les démocraties, affaiblies, perdent pied devant des régimes qui ne reculent pas devant le crime de masse. Dès lors, la guerre russe contre l'Ukraine n'est pas une anomalie, mais le reflet d'un monde en proie à un révisionnisme systématique et insidieux. Tenzer dévoile la supercherie des politiques lénifiantes, révélant une réalité affolante mais indispensable à saisir. Tirant les leçons de l'histoire et des errements stratégiques passés, il offre un plan d'action pour une nouvelle diplomatie de guerre, étayée par une analyse implacable des évolutions actuelles : entreprises criminelles russes, ambitions chinoises, conflagrations au Moyen-Orient et attaques contre les démocraties. Il met en relief l'idée que notre monde nécessite une saisie sans complaisance des forces à l'œuvre. Nous serions sinon condamnés à réitérer les fautes qui ont conduit à la catastrophe.
Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po et auteur du blog politique internationale Tenzer Strategies.
Échanges suivis d’une séance de dédicaces.
Quand ? Mercredi 23 avril, à 19h30
Où ? Maison de l’Amérique latine
217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris
Participation libre, inscription obligatoire
Pour vous inscrire, cliquez-ici
A la veille de « l’anniversaire » des deux ans de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et dans un contexte marqué par des échéances électorales décisives, Nicolas Tenzer apporte son analyse du conflit et évoque le rôle des occidentaux. Il est enseignant à Sciences-Po Paris, non-resident senior fellow au Center for European Policy Analysis, blogueur sur les questions internationales et de sécurité sur Tenzer Strategics, et vient de publier "Notre Guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique" (Éditions de l’Observatoire, 2024).
Le Laboratoire de la République : Voilà deux ans que la Russie a envahi l’Ukraine. A la lumière des forces en présence et de la spécificité du conflit, doit-on s’attendre à un conflit de longue durée ?
Nicolas Tenzer : Rappelons d’abord que, en réalité, cette guerre, devenue totale le 24 février 2022, dure depuis dix ans. Pendant longtemps, beaucoup ne voulaient pas la voir et les dirigeants n’en parlaient guère alors que, avant 2022, elle avait déjà fait 14 000 victimes et 1,6 million de déplacés. A l’époque, lorsque je disais que la guerre faisait rage à 3 heures d’avion de Paris, beaucoup me regardaient interloqués. Donc le conflit de longue durée que vous évoquez, il est en fait déjà là. Va-t-il encore continuer longtemps ? Je répondrais comme le président Zelensky l’a fait récemment à la Conférence de Munich sur la sécurité : « Ne demandez pas aux Ukrainiens quand la guerre va se terminer. Demandez-vous (Occidentaux) pourquoi Poutine est encore capable de la poursuivre ». Cette phrase rappelle trois réalités. La première est que la guerre serait déjà achevée par la victoire de l’Ukraine si les Occidentaux l’avaient déjà voulu. Nous avions la possibilité d’arrêter les massacres commis par Moscou mais nous, Alliés, n’en avons pas décidé ainsi. Ensuite, le péché capital, qui vaut culpabilité, ayant consister à laisser des dizaines d’Ukrainiens se faire assassiner est uniquement le nôtre. Enfin, cette phrase est indicatrice de la suite des temps. Ce qui va advenir dans les mois qui viennent dépend de notre volonté de donner toutes les armes possibles, sans limitation en termes de spécificité (portée des missiles, avions de chasse) pour permettre à l’Ukraine de gagner et à la Russie d’être défaite. Si nous prenons conscience de cette nécessité, il n’est, pour les nations européennes, d’autre choix que de passer réellement en économie de guerre.
Les Ukrainiens ont démontré leur incroyable faculté d’innovation sur le plan technologique. Cela m’a encore frappé chaque fois que je suis retourné en Ukraine depuis le début de cette guerre totale. Elle a quand même réussi à détruire 20 % de la flotte russe en Mer Noire et à menacer la Crimée. Un de mes amis, ancien ministre ukrainien, me prédisait déjà en septembre 2022 que la Crimée pourrait être récupérée avant le Donbass. Quand, à mon tour, j’évoquais cela dans plusieurs émissions, beaucoup se montraient sceptiques. C’est progressivement en train de se réaliser. Si la Russie a certes trois fois plus de soldats à mobiliser que l’Ukraine, l’absence de souci de la part de Poutine pour ses soldats fait qu’ils meurent en plus grand nombre dans des batailles inutiles. Avec toutes les armes occidentales, l’Ukraine pourrait frapper en profondeur les forces ennemies, y compris sur le territoire russe – ce qui est légal en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies – et obliger Moscou au reflux. Tous les experts sérieux disent que, si nous le voulons, Kyïv peut l’emporter d’ici la fin de l’année.
Le Laboratoire de la République : Quelle est votre analyse de l’impact des élections américaines sur la mobilisation occidentale en faveur de l’Ukraine ?
Nicolas Tenzer : La possibilité d’une victoire de Trump en novembre, qui n’est pas une découverte récente, a eu un effet de remobilisation des pays européens sur le plan militaire. Leurs dirigeants ont été saisis comme d’un vertige, car ils savent que, sans les États-Unis, non seulement l’Ukraine aurait pu ne pas survivre aux assauts russes, quand bien même cette aide américaine reste insuffisante, mais que les pays européens ne seraient pas à même d’utiliser leur propre défense conventionnelle pour résister aux attaques russes contre l’un des leurs. Ils ont pris conscience que, pour assurer eux-même cette défense, ils devront passer rapidement bien au-delà des 2 % du PIB, norme minimale fixée par l’OTAN et que la France n’atteindra que cette année. Si l’on devait, de plus, remplacer le parapluie nucléaire américain, ce chiffre devrait même être triplé. Mais c’est prioritairement nos forces conventionnelles que nous devons renforcer de manière drastique. Pour ne citer qu’un chiffre, le budget de défense de l’UE représente aujourd’hui un tiers du budget américain, alors que la taille de notre population est supérieure.
Autrement dit, nous devons nous mettre en état non seulement d’assurer notre propre défense territoriale au niveau européen, mais également être capables d’intervenir alors même que Washington ne le voudrait pas. La question pourrait d’ailleurs se poser concrètement pour l’Ukraine en cas de victoire électorale de Trump. Or, là aussi, le problème n’est pas entièrement nouveau : rappelons-nous que François Hollande, en 2013, était prêt à frapper les centres de commandement du régime criminel syrien après les attaques chimiques contre la Ghouta, mais a dû y renoncer après qu’Obama ait refusé de faire respecter la ligne rouge qu’il avait lui-même déterminée et que la Chambre des Communes britanniques l’a aussi exclu. Notons que cette décision du président américain a été comme un signal donné à Poutine qu’il avait les mains libres. 2014 en découle logiquement.
Le Laboratoire de la République : En cette année des élections européennes, quel rôle peut et doit jouer l’Europe pour influer sur l’issue du conflit ?
Nicolas Tenzer : L’Europe doit prendre la tête dans le combat le plus résolu pour qu’une action décisive soit engagée en Ukraine, sinon elle perdra toute légitimité et toute crédibilité. Comme souvent, nos impératif en termes de valeurs et de sécurité se rejoignent. Abandonner l’Ukraine ou chercher lâchement à négocier avec Poutine serait d’abord trahir nos principes, et notamment notre obligation de faire respecter le droit international. Cela a toujours été au cœur de la vocation européenne, beaucoup plus, reconnaissons-le, qu’américaine. Une telle trahison de la cause ukrainienne serait d’autant plus dramatique que, à Maidan déjà, l’Ukraine a chassé son dictateur pro-russe Viktor Ianoukovitch, au nom des valeurs européennes et que, aujourd’hui, ses combattants meurent pour nous aux avant-postes d’une guerre européenne que nous leur avons honteusement déléguée. En 2015, l’ancien ministre tchèque des Affaires étrangères, Karel Schwarzenberg, disparu l’année dernière, déclarait que le destin de l’Europe se jouerait en Ukraine. Car si l’Ukraine tombe, si Poutine ne connaît ne serait-ce qu’une demi-victoire, c’est ensuite l’Union européenne qui sera attaquée. L’Ukraine est la dernière sur la liste avant nous dans ce qui serait une liste actualisée de nos indifférences telle que le Pasteur Martin Niemöller l’avait jadis formulée. Après avoir laissé se faire massacrer les Tchétchènes, les Géorgiens et les Syriens, sans les Ukrainiens nous n’aurons plus personne pour nous défendre. J’espère que la France pourra prendre la tête de ce combat européen pour l’Ukraine et faire comprendre à ses citoyens comme à tous ceux de l’Europe que cette guerre est la nôtre et qu’elle requiert, car elle est totale, une mobilisation de même nature. Devant un ennemi radical dans le crime et la volonté de destruction, nous devons apprendre à penser, puis à agir, radicalement. Soyons directs : je ne suis pas sûr qu’un jour nous n’ayons pas nous-mêmes à livrer cette guerre. Ayons l’intelligence de le regarder en face et de nous y préparer.
Vendredi dernier, Evguéni Prigojine et son groupe paramilitaire russe Wagner sont entrés en rébellion armée contre Moscou après avoir accusé l'armée russe d'avoir mené des frappes meurtrières sur des camps de ses combattants. Christian Lequesne, ancien directeur du CERI, professeur de sciences politiques à Sciences Po Paris et membre du comité scientifique du Laboratoire de la République, analyse ce soudain revirement de situation qui n'a duré que vingt-quatre heures mais qui a remis en cause l'invulnérabilité de Vladimir Poutine.
Le Laboratoire de la République : Complot intérieur, machination des services secrets, diversion militaire…Près d’une semaine après les faits, quel sens donner à l’évènement ?
Christian Lequesne : Il est difficile de lui donner un sens définitif. On s’interroge encore. Mais il semblerait que l’enjeu fut pour le chef des Wagner, Prirogine, de résister à l’absorption de ses mercenaires dans les troupes du ministère de l’Intérieur. D’où les mots très durs pour le ministre de la Défense, Choïgou, et pour le chef d’état major, le Général Guerassimov. Certains officiers n’aimant pas ces deux derniers, comme le Général Sourovikine, en ont profité pour appuyer Wagner. Ils reculent aujourd’hui, car Poutine est en train de reprendre la situation en mains.
Le Laboratoire de la République : C’est la première fois depuis son arrivée au Kremlin que le pouvoir de Vladimir Poutine vacille. L’échec de Wagner va-t-il selon vous l’affaiblir ou au contraire le renforcer ?
Christian Lequesne : Il est évident que c’est un affaiblissement. Dans un pays qui continue d’entretenir le culte du chef à la tête de la nation, toute contestation du chef se transforme en diminution de pouvoir. D’où la forte présence médiatique de Poutine depuis quelques jours sur le front de la guerre. Il commente les avancées russes, les pertes militaires etc. avec un sens du détail nouveau. Tout ceci pour bien montrer à l’opinion russe qu’il contrôle la situation. Il ne serait pas étonnant qu’il décide de faire monter la pression en termes de terreur. L’attaque du restaurant à Kamarotsk, qui a fait 10 morts et 61 blessés, peut être lu ainsi.
Le Laboratoire de la République : Evgueni Prigojine pourrait-il jouer un rôle dans les mois ou années à venir en Russie ?
Christian Lequesne : Difficile à dire avec précision. Il est semble-t-il réfugié à Minsk où le président biélorusse l’aurait accueilli avec l’idée de jouer un rôle de médiateur avec Poutine. Les Wagner sont retournés au combat. Poutine, après avoir fustigé les traitres, a dit qu’il n’y aurait pas de poursuite. Prirogine à mon avis n’aura pas de rôle dans l’appareil d’Etat mais continuera à monayer ses services en faisant monter un peu les enchères. N’oublions jamais que derrière Wagner, il n’y a pas que des sentiments nationalistes. Il y aussi des intérêts financiers qui se traduisent en espèces sonnantes et trébuchantes pour leur chef. L’accès accru aux ressources minières en Afrique peut être une compensation.
Le Laboratoire de la République : Comment pourrait finir le règne de Poutine ? Le scénario du putsch militaire est-il le plus probable ?
Christian Lequesne : Je n’y crois pas de la part des militaires de l’armée régulière, mais de la part d’un groupe mercenaire comme Wagner, personne ne peut l’exclure. C’est dans le fond ce que Prirogine a tenté, sans que nous sachions s’il était décidé à aller au bout ou s’il voulait simplement faire monter la pression pour négocier son indépendance. Je pense que dans un pays comme la Russie, une « révolution de palais » n’est jamais à exclure, mais je verrai cela plutôt comme le fait de certains politiciens qui considèreraient Poutine « épuisé » en association avec des officines de renseignement. Mais une fois encore, je ne crois pas que nous en soyons là, comme la reprise en mains par Poutine l’a montré. Ce scénario serait plus probable si l’offensive ukrainienne réussissait à reprendre de grandes parts de territoire, donnant l’impression au peuple russe que le pays perd vraiment la face. Pour l’instant, une bonne partie de l’opinion russe, abreuvée par la seule télévision d’Etat, continue de croire que la Russie va gagner contre les fascistes ou les néonazis.
Jean-François Cervel, ancien inspecteur général de l'Éducation nationale, ancien directeur du Cnous (Centre national des oeuvres universitaires et scolaires) et membre de la commission géopolitique du Laboratoire de la République nous éclaire sur la situation géopolitique d'aujourd'hui. Selon lui, l’évolution des évènements internationaux au long des dernières semaines confirme l’inéluctable montée d’une logique d’affrontement entre le bloc des démocraties libérales et le bloc des régimes totalitaires.
Vladimir Poutine vient de dire clairement quels étaient ses objectifs lorsqu’il a engagé la guerre contre l’Ukraine. Par-delà les occupations territoriales, il s’agissait d’empêcher que l’Ukraine ne rejoigne le camp des démocraties libérales. Il s’agissait de défendre le camp des valeurs traditionnelles contre le camp de la décadence occidentale. Il s’agissait de réintégrer l’Ukraine dans le giron du grand Empire euro-asiatique défenseur de l’ordre traditionnel. Comme la Biélorussie, l’Ukraine devait redevenir une province de cet empire anti-libéral, de même que les Etats du Caucase et la Moldavie. L’ennemi de Vladimir Poutine, c’est l’Occident libéral. Il affirme clairement qu’il s’agit d’un affrontement global, de puissances, de systèmes et de valeurs. C’est lui qui le dit, démentant ainsi le discours des « réalistes » occidentaux essayant de trouver des excuses à la guerre engagée par le pouvoir russe contre l’Ukraine.
Les actions de déstabilisation menées contre la Géorgie et la Moldavie afin de s’opposer à la volonté d’une majorité des populations de ces pays de rejoindre l’Union européenne, s’inscrivent dans le droit fil de cette volonté. La Russie a entamé une guerre complète et inexpiable contre l’Occident libéral considéré comme un ennemi global. En témoignent outre la mise en œuvre d’une guerre particulièrement destructrice, des décisions symboliques comme le retrait de la Russie du processus de Bologne en matière de diplômes d’enseignement supérieur ou la réaffirmation d’une « politique éducative patriotique ».
La décision qui a été prise par Vladimir Poutine d’engager une guerre de destruction massive en Ukraine apparait donc clairement comme une décision stratégique. Le conflit sera, de ce fait, de longue durée et la Russie s’organise pour développer son économie de guerre à long terme autour des ressources énergétiques, du complexe militaro-industriel et de ses alliances internationales.
Elle bénéficie pour cela, en effet, de ses relations chaque jour renforcées avec l’ensemble des régimes totalitaires qui affichent la même hostilité au système de valeurs libérales au premier rang desquelles le parti communiste chinois et le régime islamique iranien.
Le parti communiste chinois vient de réaffirmer clairement son dispositif de dictature en renforçant sa mainmise sur l’ensemble de l’appareil d’Etat et sur l’ensemble du tissu économique. Dans la plus totale opacité, de nouveaux dirigeants ont été désignés par les instances du Parti et le pouvoir sans partage de Xi Jin Ping a été encore renforcé. Son discours a été aussi d’une grande limpidité. Il est violemment et intégralement anti-libéral, sur tous les plans, économique, politique, culturel, idéologique. Il veut un nouvel ordre mondial, dirigé selon les règles du système dictatorial chinois. Ce discours n’est pas nouveau puisque les dirigeants chinois l’affichent depuis longtemps mais il est réaffirmé avec la plus grande brutalité.
L’Iran a rejoint cet axe russo-chinois et développe ses liens avec ses deux grands partenaires comme en témoignent les accords signés en matière économique et militaire et les déplacements des plus hauts dirigeants dans chacun de ces pays.
Cet ensemble étend à très grande vitesse sa mainmise sur le reste du monde en s’appuyant sur ses états vassaux déjà existants et en faisant basculer dans son camp nombre de pays qui se voulaient non-alignés. Comme à l’époque de la guerre froide une compétition acharnée est engagée sur tous les continents entre le bloc totalitaire et le bloc occidental. Sous prétexte de « désoccidentaliser » le monde, les puissances totalitaires installent leur propre domination en Afrique, en Asie, en Amérique latine. Les provocations militaires de la Corée du Nord participent de cette pression sur l’occident de même que l’aide à la nucléarisation de l’Iran.
L’accord qui vient d’être signé, à Pékin, ce vendredi 10 Mars, entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, témoigne de manière aveuglante de ce rapprochement entre régimes autoritaires, autour de la Chine, contre les Etats-Unis et l’occident. Mohamed ben Salman a choisi son camp, celui des régimes totalitaires. Ce n’est pas une surprise puisqu’il partage leur idéologie et qu’il avait déjà montré tout le mépris qu’il a pour les valeurs occidentales et pour les Etats-Unis. Mais c’est une alerte majeure pour les occidentaux et notamment pour les Etats-Unis alliés traditionnels des pays de la péninsule arabique puisque l’Arabie, comme la Turquie avant elle, n’hésite pas, désormais, à acheter des armes chinoises sophistiquées.
La pression est donc présente partout. La France la subit, au premier chef, en Afrique mais l’Europe est en première ligne notamment tout autour de la Méditerranée et au Proche-Orient.
Dans ce contexte, pouvons-nous continuer à être dans une logique sinon de coopération internationale - comme pendant toute la période dite de « mondialisation » - mais au moins de coexistence pacifique comme semble le défendre le pouvoir chinois ?
Quand les pays totalitaires manifestent une telle volonté d’agression et de destruction du système libéral cela semble difficile à envisager. Peut-on faire confiance à des régimes dictatoriaux pour organiser des échanges économiques honnêtes et, au-delà, une véritable gouvernance raisonnable du monde ? On ne peut qu’en douter.
L’affrontement est donc ouvert. Il va utiliser tous les moyens et se développer dans tous les champs. On le voit clairement en matière économique où le pouvoir chinois joue des énormes investissements engagés par les entreprises occidentales sur le territoire de la Chine. On le voit en matière monétaire avec la volonté d’utiliser de moins en moins les devises occidentales et d’organiser un système de paiements propre au bloc eurasiatique.
Mais le domaine essentiel sera celui des sciences et des techniques et notamment de leurs applications militaires. La compétition en ces domaines est ouverte de longue date et ne fera que s’accentuer comme le montre la course en matière d’intelligence artificielle ou dans le domaine spatial et, plus généralement, dans tout le champ des techno-sciences où la compétition pour la prééminence est acharnée. Il faudra donc redoubler d’attention pour protéger les compétences occidentales en ces domaines.
Loin d’être des champs d’action collective commune, la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement seront des éléments de l’affrontement global.
Cet affrontement sera de longue haleine. La seule question aujourd’hui est de savoir lequel des deux systèmes s’effritera le premier, les deux ayant des forces et des faiblesses. On voit bien que, lorsqu’elles sont en capacité de s’exprimer, les populations des pays totalitaires demandent la liberté et la démocratie comme l’ont montré les oppositions à Hong Kong, en Iran ou en Biélorussie. Mais la puissance coercitive des régimes totalitaires est telle que ces oppositions pacifiques et, par définition, inorganisées, n’ont guère de chances de faire changer les choses si elles ne sont pas soutenues par l’alliance des pays libres. D’où l’importance du soutien à l’Ukraine et à la Moldavie, aujourd’hui en première ligne de cette guerre. D’où l’importance de la défense de la liberté de choix pour Taiwan. D’où l’importance du soutien à la lutte des femmes partout où elles sont soumises à des régimes despotiques. Tout recul en ces domaines sera une victoire pour les puissances totalitaires.
On sait bien qu’il faudrait sortir collectivement d’une logique de puissance pour affronter les problèmes communs à l’ensemble de l’Humanité. Mais on ne peut le faire aujourd’hui face à des régimes qui veulent imposer leur modèle totalitaire. Il faut donc continuer à défendre fermement les valeurs du système démocratique libéral face à cette organisation mondiale des pays anti-libéraux.
Encore faut-il que les populations des pays occidentaux comprennent la situation d’affrontement dans laquelle nous nous trouvons et prennent la mesure des redoutables conséquences de cette situation que nous allons devoir gérer. Il est inquiétant de constater qu’aucun parti politique ne veut le dire clairement aujourd’hui, entretenant l’illusion que tout peut continuer comme avant alors que les équilibres du monde sont en train de changer sous nos yeux et à notre détriment.
Ecrit le 15 mars 2023
Jeudi 23 mars, le Laboratoire de la République réunissait Jean-Louis Bourlanges, Pascal Bruckner et Christian Lequesne pour échanger sur la première année écoulée du conflit ukrainien. Cette table ronde était animée par Nathalie Krikorian-Duronsoy et présidée par Jean-Michel Blanquer. Les échanges ont permis de s'interroger sur l'impact du conflit, le rôle de l'Europe, celui des Etats-Unis ou de la Chine et à réfléchir à la recomposition des grands équilibres et de la gouvernance mondiale.
La question de l'Ukraine est importante pour le Laboratoire de la République. Cette guerre forge la nation ukrainienne. Elle pose des questions sur la République et la démocratie. Dans un premier temps, les échanges se sont concentrés sur l'Union européenne et la relative unité européenne, puis sur les enjeux géopolitiques, le rôle de la Chine, l'avenir de la Russie et la manière dont les puissances mondiales se positionnent.
Cette table ronde a réuni Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des Affaires étrangères, Pascal Bruckner, essayiste, romancier et philosophe, et Christian Lequesne, professeur de science politique à Sciences Po Paris et ancien directeur du Centre d'études et de recherches internationales.
Retrouver l'intégralité de cette table ronde sur notre chaîne Youtube :
https://www.youtube.com/watch?v=f55rtsZP0gA
Ukraine : 1 an après l'invasion russe
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