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Jeudi 23 mars : « Ukraine : 1 an après l’invasion russe »

par L'équipe du Lab' le 7 mars 2023 afficge_conférence_Ukraine
Jeudi 23 mars à 19h, le Laboratoire de la République et Jean-Michel Blanquer vous convient à une conférence sur "l'Ukraine : 1 an après l'invasion russe". Nous aurons à cœur d'analyser les conséquences du conflit en cours. Autour de deux tables rondes, nous débattrons de son impact sur l'Europe et le monde occidental et nous interrogerons sur la gouvernance mondiale dans un monde en recomposition.
19:00 : Introduction générale par Jean-Michel Blanquer - président du Laboratoire de la République 19.20 : 1er thème présenté par Jean-Michel Blanquer : Quel impact du conflit sur l'Europe et le monde occidental ? 19.55 : 2ème thème présenté par Nathalie Krikorian-Duronsoy : Quelle gouvernance mondiale dans un monde en recomposition ? 20.30 : Temps d'échanges 21.00 : Clôture des débats par Jean-Michel Blanquer Intervenants : Galia Ackerman : écrivaine, historienne, journaliste et traductrice littéraire franco-russe, spécialiste du monde russe et ex-soviétique Jean-Louis Bourlanges : député du Modem et président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale Pascal Bruckner : philosophe, romancier et essayiste français Christian Lequesne : professeur de science politique à Sciences Po Paris et ancien directeur du Centre d'études et de recherches internationales Quand ? Jeudi 23 mars à 19h30 Où ? Maison de l’Amérique latine 217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris Gratuit, inscription obligatoire Pour vous inscrire

Témoignage : Poutine face à l’effondrement, par Nina Khrushcheva, petite-fille de Nikita Khrouchtchev

par Nina Khrushcheva le 4 janvier 2023
Petite fille adoptive de Nikita Khrouchtchev, professeur en Affaires Internationales à la New School de New York, contributrice du Project Syndicate, Nina Khrushcheva a accepté de répondre, depuis Moscou où elle est de retour depuis quelques mois, aux questions du Laboratoire de la République. Un témoignage exceptionnel qui met en perspective les enjeux politiques russes dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Le Laboratoire de la République : Pouvez-vous nous parler de votre histoire personnelle ?  Nina Khrushcheva : C’est une très longue histoire... J'ai vécu aux États-Unis pendant plus de 30 ans. En fait, j'ai vécu aux États-Unis plus longtemps que je n'ai vécu en Russie. Je suis le produit de la Perestroïka de Gorbatchev qui a fait de l’Union Soviétique un pays libre, qui a dit aux Russes d’être libres et de faire ce qu’ils veulent dans la vie. Suivant ses recommandations, j’ai fait mes études supérieures aux États-Unis, à Princeton. J'y ai étudié la littérature comparée mais j'ai toujours été intéressée par la politique. J'ai pu travailler comme chercheuse en post-doctorat, en littérature, avec Jack Matlock, le dernier ambassadeur des Etats-Unis en Union Soviétique. J’ai également travaillé avec George Kennan, le grand diplomate et politologue à l’origine du concept de containment. Après avoir travaillé avec ces deux géants de la diplomatie et de l'analyse politique, j’ai fait de leurs disciplines mon métier et mon thème de recherche et d’écriture.  Pourquoi êtes-vous à Moscou en ce moment ? Nina Khrushcheva : Vous savez, je n’ai jamais quitté la Russie, je suis simplement partie vivre ailleurs. Quand Gorbatchev a déclaré que la Russie était un pays libre, quand il a dit : « faites ce que vous voulez », il nous a ouvert l’opportunité d’être expatrié. Je me suis toujours considérée comme une expatriée Russe aux États-Unis. Et aujourd’hui, je suis revenue à Moscou pour assister à la fin, à la fin de cette histoire, à la fin de la période d’ouverture que Gorbatchev avait initiée. Beaucoup de gens sont en train de quitter la Russie, mais il faut bien que quelqu’un reste pour témoigner de ce qu’il se passe.  Qu'en est-il de vos origines familiales, de votre histoire familiale ? Quel lien de parenté avez-vous avec Nikita Khrouchtchev ? Nina Khrushcheva : Je suis sa petite-fille adoptive et son arrière-petite-fille naturelle. Mon grand-père maternel, Leonid, était le fils naturel de Nikita Khrouchtchev. A la mort de Leonid, pendant la Seconde Guerre mondiale, Nikita Khrouchtchev a adopté sa fille Julia, qui n’est autre que ma mère. Elle avait alors deux ans.  Quelles sont vos relations avec le pouvoir en Russie ?  Nina Khrushcheva : Lors d’une réunion récente du club de discussion Valdaï à Moscou, Vladimir Poutine a confirmé que Nikita Khrouchtchev ne faisait en aucun cas partie de ses modèles. On lui a demandé s'il avait déjà eu l'impression de ressembler à Khrouchtchev et il a été totalement effrayé par cette question, presque dégoûté. Je n'ai donc – vous le comprenez – aucune relation avec le Kremlin, et je n'ai jamais eu de relation avec le pouvoir à l'exception de Gorbatchev, après sa retraite du pouvoir.  La crise des missiles de Cuba a au 60 ans au mois d’octobre. Pensez-vous qu'il y a des leçons à tirer de la façon dont Khrouchtchev et Kennedy ont réussi à sortir de cette crise, notamment en matière de négociation ?  Nina Khrushcheva : Oui, je pense que nous pouvons en tirer des leçons. Quand Khrouchtchev a défendu Fidel Castro et le régime de Cuba, que les Américains essayaient de faire tomber, il estimait qu’il était dans son bon droit : pourquoi l’Union Soviétique n’aurait pas, comme les Etats-Unis en Italie ou en Turquie, des armes nucléaires à Cuba ? Du point de l’équilibre des pouvoirs et de la parité, il pensait présenter une proposition valable. Mais Kennedy ne pouvait pas imaginer que quelqu’un puisse demander l’égalité dans ce domaine : il a réagi, de manière excessive à une proposition de Khrouchtchev qui était essentiellement défensive. Quand Khrouchtchev a compris qu’il avait mal anticipé la réaction de Kennedy, il a changé de posture. C’est là qu’ils ont commencé à échanger des notes et à entretenir des relations continues grâce à de multiples canaux secondaires.  A contrario, je ne pense pas que le Kremlin soit aujourd’hui capable de modifier son comportement. Dans une certaine mesure, Pourtine est contraint de le faire : les remarques sur les armes nucléaires se font de plus en plus rares. Ce changement de comportement n’est néanmoins pas orienté vers une sortie de conflit par la recherche de la paix, mais vers la destruction des infrastructures ukrainiennes par des forces militaires conventionnelles.   Poutine a reproché en 2014 à Khrouchtchev d’avoir cédé la Crimée à l’Ukraine en 1954. Pourquoi ? Nina Khrushcheva : Khrouchtchev est une bonne cible pour Poutine parce qu’il a été en quelque sorte un transfuge du système. Il s’est écarté de la formule despotique socialiste de fidélité à la ligne du parti. Les négociations avec Kennedy, les relations avec d’autres pays capitalistes, sont des éléments qui démontrent une forme de liberté par rapport à la ligne du parti. Bien sûr, les pays capitalistes étaient ses adversaires. Mais des événements démontrent une forme de liberté à la ligne. Lorsque Molotov lui reproche d’avoir partagé un sauna avec le président finlandais Kekkonen, Khrouchtchev répond : « C’est un chef d’État. Il va au sauna, et c’est comme cela qu’on crée de bonnes relations. » En somme, avec Gorbatchev, Khrouchtchev est une cible facile parce qu’il n’était pas comme les membres classiques du parti. Il pouvait par exemple se montrer très critique de certains agents du renseignement soviétique, mais continuer de les rencontrer. Imaginez Poutine critique de certains agents et entretenir des relations avec eux ! Ils sont au mieux arrêtés ou mis dehors. Après le XXème Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique en 1956, quand l’URSS a écrasé l’Insurrection de Budapest, Khrouchtchev n’arrêtait pas d’expliquer sa politique. C’est donc dans ce sens qu’il est une cible facile pour le Kremlin aujourd’hui. Il passe pour un faible parce qu’il a toujours voulu expliquer ce qu’il faisait, rationnalisé ce qu’il faisait.  S’agissant de la Crimée, ce n’est pas lui qui a décidé du don du territoire à l’Ukraine. A ce moment-là, en 1954, il n’avait pas assez de pouvoir pour décider de cela tout seul. Il y avait d’autres personnes au gouvernement. Il a néanmoins, probablement, été à l’initiative de cette cession, parce qu’il pensait, en gestionnaire, que c’était une bonne décision.  Enfin, je crois que Poutine n’aime pas Khroutchev parce que Khrouchtchev a été le premier à endommager le renseignement soviétique. Il l’a endommagé parce qu’il a placé le KGB sous le contrôle du Parti communiste. C’est une décision que Poutine ne peut pas respecter, parce qu’il considère que le KGB doit tout contrôler.  Khrouchtchev serait un contre-modèle pour Poutine parce qu’il représenterait une version plus « libérale » de l’exercice du pouvoir ?  Nina Khrushcheva : Je ne peux pas dire que Khrouchtchev était un « libéral », bien sûr que non. Mais on peut dire qu’en tout cas, il essayait d’exercer différemment le pouvoir. C’était un despote, parce qu’il agissait de manière despotique dans le régime qu’il dirigeait. Il a dû agir en despote en Hongrie et dans d’autres cas. Mais je ne pense qu’il était un dictateur : il entretenait des formes de dialogue. La différence entre la guerre en Ukraine et la crise des missiles de Cuba, c’est notamment qu’il y avait encore un débat à l’époque. Certains avaient averti Khrouchtchev que c’était une mauvaise idée d’envoyer des missiles à Cuba. Il l’a fait, mais il y avait du dialogue. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, il n’y a pas eu de dialogue. Personne n’a dit à Poutine que l’invasion ne se passait pas du tout comme prévu. Poutine critique Khrouchtchev parce que selon lui, il n’était pas assez fort, il ressemblait trop à un humain. Quand Khrouchtchev allait parler à une foule, il le faisait réellement, cela ne ressemblait pas un à show de télévision. Il était trop accessible et simple pour quelqu’un qui est assis au Kremlin et dont la seule activité est d’envoyer des ordres et des décrets. Khrouchtchev a négocié avec les États-Unis, au risque d’endommager sa réputation. Lorsque l’URSS a retiré les fusées de Cuba, les États-Unis ont également retiré leurs fusées de la Turquie. Mais personne ne l’a jamais su, jusqu’à la toute fin. Poutine ne peut pas imaginer mettre en jeu sa réputation. Conserver sa réputation le conduit à d’horribles extrémités.  Quand Khrouchtchev a quitté le pouvoir, il a prononcé la phrase suivante, en se référant à la mort de Staline et à la transmission du pouvoir en 1953 : « La peur a disparu et nous pouvons parler d’égal à égal. » Cette « peur » est-elle revenue en Russie ? Le pouvoir peut-il à nouveau être transmis sans violence ?  Nina Khrushcheva : Je ne peux pas répondre à cette question. Le pouvoir a été transmis sans violence mais jamais démocratiquement depuis 1964. En revanche, il y a une violence autour du pouvoir. Le changement de direction du pouvoir est violent. Ce qu’il s’est passé en février 2022, c’est un changement violent dans la direction du pouvoir, comme nous n’en avons jamais vu. Poutine dirigeait une autocratie fonctionnelle à la construction de laquelle il avait concouru. Et soudain, il se dit : « Le monde ne me respecte pas, ne me prend pas au sérieux. Ils vont utiliser l’Ukraine pour me faire la même chose qu’à Saddam Hussein, qu’à Milosevic. Je vais donc attaquer ce pays. » Ce qui est donc remarquable, c’est le changement violent dans la conduite du pouvoir. Vous êtes à Moscou, que se passe-t-il aujourd'hui ? Comment les moscovites réagissent-ils aux derniers événements ? Nina Khrushcheva : Il y a eu un virage. J’étais à Moscou en juin et juillet et je me disais : peut-être que dans un mois nous aurons commencé à trouver des solutions raisonnables à la situation. Je veux dire : le Poutinisme ne va pas tomber du jour au lendemain, mais je me disais que d’une certaine manière, ils arriveraient à trouver des solutions raisonnables. C’était sans doute une idée dans la tête de Poutine. Il est extrêmement chanceux depuis 22 ans et c’est pour cela que je me disais que d’une manière ou d’une autre, il arriverait à surpasser tout le monde et à s’en sortir en arrangeant les choses, en trouvant des solutions raisonnables.  Mais le contexte a changé, contre toute attente. Je n’y attendais pas. L’Ukraine a commencé à avancer, à reprendre des territoires. Les Ukrainiens ont rapidement appris à utiliser les armes livrées par l’OTAN. Avec ces victoires ukrainiennes, et encore plus depuis le 21 septembre et la mobilisation des civils réservistes, s’est installé un sentiment très étrange. Il y a ces messages à la télévision qui nous disent que nous sommes unis, ensemble, une nation unie et puissante engagée dans la guerre. Il y a ce récit et puis il y a la réalité qui paralyse tout le monde. Je ne sais pas si c’est de la peur ou du désespoir. Nous ne savons pas comment cela va se passer, comment la Russie va s’en sortir sans s’effondrer. Personne ne sait ce que demain apportera. Ce désespoir est encore plus grand et plus fort que la peur du Kremlin. On n’a jamais vu autant de policiers dans les rues : un tiers des personnes dans la rue sont des policiers. Bien sûr, la Russie a toujours été un Etat où la police est très présente, mais jamais à ce point. J’ai lu George Orwell et j’ai enseigné la critique de la littérature de propagande. 1984 a toujours été une référence pour moi mais je n’ai jamais vécu dans 1984. Cela a toujours été une œuvre de fiction mais aujourd’hui, Moscou ressemble à un 2022 de George Orwell. Propos recueillis le 8 décembre 2022. 

Jean-François Cervel : quelles visions de l’ordre mondial s’affrontent au travers de la guerre en Ukraine ?

par Jean-François Cervel le 22 décembre 2022
Jean-François Cervel, ancien inspecteur général de l'Éducation nationale, ancien directeur du Cnous (Centre national des oeuvres universitaires et scolaires) et membre de la commission géopolitique du Laboratoire de la République, analyse le nouvel ordre mondial en place depuis le début de la guerre en Ukraine. Il s'attache, dans cette tribune, à révéler le projet plus ambitieux de Vladimir Poutine de redistribuer les cartes du jeu géopolitique et géostratégique mondial afin de mettre en marche une véritable "révolution mondiale".
La décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine le 24 février 2022 n’est pas seulement la manifestation d’un impérialisme territorial classique souhaitant retrouver une partie de l’empire soviétique défunt. Elle s’inscrit dans un projet beaucoup plus ambitieux d’instaurer un nouvel ordre mondial. Le projet est global, relevant de la géostratégie et de l’idéologie. Il s’agit de mettre fin à la domination occidentale sur le monde et de faire disparaître, du même coup, la pensée libérale qui caractérise l’occident depuis le 18eme siècle. Cette « révolution mondiale » a été clairement affirmée par Vladimir Poutine. Elle est partagée par une grande partie des pays du monde et, au premier chef, par les dirigeants chinois. Ces pays s’organisent, aujourd’hui, dans une alliance plus ou moins formalisée contre l’occident afin d’établir ce nouvel ordre du monde. Il s’agit, d’une part, de s’attaquer à la position dominante américaine et, d’autre part, de détruire les fondements du système libéral occidental. En dépit des deux guerres mondiales qui ont ravagé l’Europe, la domination occidentale sur le monde a perduré. Victorieux en 1918, encore davantage en 1945 puis en 1989, les États-Unis d’Amérique ont dominé le monde. Le dollar règne en maître sur les échanges internationaux et sur la finance mondiale, les États-Unis, avec leurs alliés de l’OTAN, britanniques et français, ont trois sièges de membres permanents au Conseil de sécurité de l’ONU, l’armée américaine possède des bases sur tous les continents, les grandes entreprises américaines dominent largement les marchés des technologies les plus avancées, les standards et le droit étasuniens tendent à s’imposer partout... C’est d’abord à cette domination historique que nombre de pays veulent mettre fin. Mais, par-delà cette remise en cause de puissances dominantes, c’est aux fondements du système occidental qu’ils veulent s’attaquer. Qu’est-ce que le système occidental ? Le système occidental se définit fondamentalement par la défense de l’individu et de sa liberté, la gestion démocratique de l’intérêt général, la limitation de l’arbitraire du pouvoir dans le cadre d’un Etat de droit, le règlement pacifique des conflits, l’universalisme des valeurs des droits de l’homme et du citoyen, le progrès de la connaissance et de l’éducation de tous. C’est donc un système libéral, démocratique, progressiste et universaliste. Le système libéral n’est ni la licence, ni l’anarchie, ni le libertarisme que certains dénoncent. Le système libéral c’est la gestion d’un équilibre permanent entre les droits de l’individu et l’organisation de l’intérêt général. C’est la destruction de ce corpus de valeurs qui forment un tout et qui constituent le « système libéral », qui est l’objectif central de l’alliance des pays anti-libéraux qui contestent chacun des éléments de cet ensemble.  Au fil du temps, les ennemis de ce système de valeurs ont été nombreux. Les intégrismes religieux, les idéologies fasciste, national-socialiste et communiste ont affirmé leur volonté de détruire ce système de la liberté. Les mêmes sources idéologiques affichent à nouveau, aujourd’hui, avec une force particulière, leur volonté de destruction. Comme le dit clairement Pierre Servent, il suffit de lire les textes des idéologues islamistes, russes et plus encore chinois pour comprendre que c’est sur ce registre que se situe le combat.  Bien entendu, il est parfaitement légitime de contester la domination des puissances occidentales et, au premier chef, la domination américaine et de souhaiter une organisation plus équilibrée de la gestion du monde, faisant appel à tous les acteurs, sur tous les continents. Bien entendu, il est parfaitement légitime de dénoncer les excès du système libéral et de souhaiter une régulation plus ferme de ses dérives, environnementales, financières ou sociales.  Mais le « nouvel ordre mondial » doit-il, sous prétexte de rééquilibrage, faire disparaître la liberté et la démocratie ? C’est la question que l’on doit se poser en examinant ces propositions de nouvel ordre mondial que prônent un certain nombre de dirigeants alors que, selon une analyse récente (citée par Pierre Buhler, dans Le Monde, le 10 novembre 2022 ), seuls 34 pays relèvent, aujourd’hui, de la catégorie des démocraties libérales ! Le « nouvel ordre mondial » peut-il être celui préconisé par nombre d’intégristes de toutes les religions et notamment islamistes qui veulent imposer leurs croyances et leur organisation traditionnelle de la société ? Le nouvel ordre mondial peut-il être l’ordre autocratique et militaire que Vladimir Poutine veut imposer à l’Ukraine en détruisant ses infrastructures et en martyrisant sa population civile en la livrant à une soldatesque qui, comme toute soldatesque au long de l’histoire, détruit, massacre, viole et pille ? Le nouvel ordre mondial peut-il être l’ordre totalitaire du Parti communiste chinois qui veut imposer partout son despotisme prétendument éclairé dans une société totalement contrôlée, uniformisée, enrégimentée, sous l’autorité d’une oligarchie auto-désignée dans la plus totale opacité ? Les textes adoptés par le Parti communiste chinois parlent d’un monde idyllique de prospérité, de développement harmonieux, de défense d’un véritable multilatéralisme, de réforme du système de gouvernance mondiale. Ils affirment que « la Chine aide à la stabilisation d’un monde changeant et troublé ». Ils prônent le partage et la coopération gagnant-gagnant.  Peu importe les changements dans le monde, la Chine dans la nouvelle ère sera toujours un bâtisseur de la paix mondiale, un contributeur au développement mondial, un défenseur de l’ordre international. La Chine ne va bien que lorsque le monde va bien et le monde va encore mieux lorsque la Chine va bien.  Le concept de construction de la communauté de destin pour l’humanité relie le rêve chinois aux rêves des peuples du monde entier.  Texte affiché lors d’une exposition chinoise dans les locaux de l’UNESCO à Paris le 15 novembre 2022. Derrière ces propos lénifiants de prospérité partagée et de développement mondial harmonieux, il y a la réalité du rouleau compresseur de la dictature communiste chinoise et de sa main mise progressive sur de nombreux pays devenus économiquement et financièrement dépendants. Le multilatéralisme prétendument égalitaire peut-il être développé avec des pays autoritaires dont les dirigeants n’ont aucune légitimité démocratique ?  C’est toute la question qui est posée aujourd’hui. La « révolution mondiale » que Vladimir Poutine appelle de ses vœux doit-elle être la victoire de l’alliance des régimes autoritaires visant à vaincre enfin les tenants du système libéral ? L’union des régimes autoritaires de la Chine, de la Russie, de l’Iran, manipulant les états vassaux de la Corée du Nord ou de la Syrie serait-elle plus efficace et plus satisfaisante pour la gouvernance du monde que le système libéral ? Bien sûr, le nouvel ordre mondial ne doit pas être non plus l’ordre insidieux que veulent mettre en place les sociétés multinationales du Net ou les détenteurs de la puissance financière qui s’organisent pour échapper à toute réglementation et à tout contrôle au service de leurs seuls profits. La liberté des puissances économiques ne doit évidemment pas l’emporter sur la bonne gouvernance de l’intérêt général. Le nouvel ordre mondial devrait donc être un ordre collectif supra national garantissant la liberté individuelle et organisant le pilotage de l’intérêt général planétaire. Il devrait être l’ordre d’une véritable République-Monde en charge d’un développement harmonieux de l’espèce humaine respectant l’environnement naturel dont elle procède. Il ne devrait être l’ordre d’aucun pays ni d’aucun groupe d’intérêts mais il devrait être celui de l’intérêt général de l’humanité. C’est cet ordre-là qui devrait l’emporter sur les logiques d’affrontement, de guerre et de mort qui sont affichées aujourd’hui par l’alliance des puissances totalitaires. Evidemment, une telle définition paraît totalement utopique aujourd’hui alors que la réalité est celle de l’affirmation généralisée d’intégrismes exacerbés et belliqueux. Mais il faut continuer à affirmer ce projet qui est le seul à même d’éviter des dérives tragiques pour tous.  L’Europe, porteuse de ces valeurs de paix, de respect et de liberté doit continuer à défendre cette ambition collective que demandent tous les peuples à travers le monde.   Jean-François Cervel Jean-François Cervel a été directeur du Cnous (Centre national des oeuvres universitaires et scolaires). Agrégé d'histoire, il a effectué la quasi-totalité de sa carrière au sein de l'administration, notamment en tant qu'inspecteur général de l'administration de l'Éducation nationale. Il est membre de la commission "Géopolitique" du Laboratoire.

[Conférence] Invasion de l’Ukraine : Quelle analyse, quelle réaction, quelle mobilisation ?

par L'équipe du Lab' le 7 mars 2022 photo de l'événement sur l'Ukraine à l'Assemblée nationale
Le 1er mars, le Laboratoire a organisé une conférence à l'Assemblée nationale sur la situation en Ukraine. Compte-rendu de cette conférence.
Photos et vidéos de la conférence en bas d'article Introduction de la conférence La conférence débute par un mot de Jean-Michel Blanquer, Président du Laboratoire de la République, au cours duquel il rappelle que défendre la souveraineté de l’Ukraine revient à défendre bien plus : la liberté et la démocratie. Le nationalisme, c'est la guerre, et nous devons lui opposer l'esprit de la nation. Cela nous oblige alors à deux choses : être mobilisé, d'une part, et comprendre, d'autre part. Ce qui nous mobilise tous depuis l'invasion de l'Ukraine nous ramène inévitablement à la République. Cette guerre est avant tout une violation du droit, de l'article 2§4 de la Charte des Nations Unies. L'Europe est donc violée, dans ses territoires tout d'abord, car l'Ukraine, d'un point de vue géographique, fait partie de l'Europe. L'Europe est ensuite violée en esprit : l'esprit européen est personnifié, car l'esprit européen souffre. Cette crise nous ramène ensuite à la République car elle nous rappelle que les enfants, grands oubliés de cette guerre, doivent être au centre de nos préoccupations. Pierre-Yves Bournazel, député de la 18ème circonscription de Paris, poursuit l'introduction de cette conférence. Il appelle à ne pas confondre Vladimir Poutine avec le peuple russe : le président n'a pas demandé l'aval de son peuple pour faire la guerre. Il amène tout un chacun à prendre conscience de la véritable nature du régime russe par cette pensée : « Un opposant en Ukraine est libre ; un opposant en Russie est en prison ». Puis, il termine par cette phrase importante de Raymond Aron : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition : c'est qu'elles le veuillent ». Être républicain aujourd'hui, c'est aussi être démocrate et défendre la démocratie. Caroline Yadan, avocate et membre du Laboratoire de la République, nous rappelle pour finir les grandes questions qui animent ce bouleversement géopolitique majeur : comment en sommes-nous arrivés là ? Devons-nous craindre en sus d'un conflit armé, des cyber attaques ? La Russie est-elle isolée ou peut-elle compter sur des pays alliés ? De quoi la guerre en Ukraine est-elle le nom ? 1ère table ronde : Analyse : De quoi la guerre en Ukraine est-elle le nom ? Brice Couturier, essayiste, modérait cette première table ronde qui réunissait Frédéric Encel essayiste, géo-politologue et maître de conférences à Sciences Po, Asma Mhalla, enseignante à Sciences Po, spécialiste des enjeux numériques, Jean-Louis Bourlanges, député et président de la commission des affaires étrangères et Marie Mendras, chercheuse au CNRS et CERI et professeure à Sciences Po, spécialiste de la Russie. Marie Mendras débute cet échange en rappelant que cette guerre, absolument monstrueuse, a été décidée par un clan. Le clan poutinien n'avait aucun moyen de prévoir. C'est le principe de la dictature : on désinforme, on diffuse des fake news. Ils n'ont pas anticipé car ils ne le pouvaient pas : Vladimir Poutine lui-même ne pouvait plus anticiper les réactions en chaîne. Il a désormais les moyens militaires et financiers d'exprimer sa haine contre les Ukrainiens, qui a aussi eu lieu contre les Géorgiens, en 2014, lors de la Guerre du Donbass et de l'annexion de la Crimée. Elle rappelle toutefois ce qui est tu et pourtant véhiculé par le régime Poutinien : il y a une véritable révolution démocratique depuis les années 1980. Question : Pensez-vous qu’il existe une chance que cela s’arrête ? Marie Mendras rappelle que nous observons depuis le début la chute du régime Poutinien. Le peuple russe est en général contre la guerre et contre l’engagement de la guerre en Syrie. Une grave crise est en train de se propager au sein des élites dirigeantes, autour de Poutine, à la fois dans le milieu du renseignement, dans le milieu militaire, dans le milieu diplomatique. Il y a un mensonge sur les pertes russes en Ukraine, qui se comptent par milliers, alors même que les informations russes évoquent quelques pertes. Une véritable désinformation est à l'oeuvre. Jean-Louis Bourlanges aborde ensuite la question de l’OTAN : si l'OTAN était quelque chose de conquérant et d’artificiel, la preuve a été faite qu’il était préférable de bénéficier de l’article 5 que d’en être exclu. La naïveté ne réside donc pas dans le fait d’entamer des négociations mais dans le fait d’accepter des négociations sans même y avoir participé. La façon dont la population a voulu prendre en main leur destin a fortement inquiété Vladimir Poutine. L’Ukraine a choisi quelqu'un qui est un héros du quotidien, (ndlr : Volodymyr Zelensky, le Président ukrainien) car placé dans des responsabilités étonnantes. Vladimir Poutine ne peut tolérer le contraire du pouvoir de la tyrannie kleptocratique qu’il a instauré en Russie. Ndlr : Une kleptocratie désigne un système politique au sein duquel une ou plusieurs personnes, à la tête d'un pays, pratique à une très grande échelle la corruption, souvent avec des proches et des membres de leur famille. Le choix de l’intervention global est totalement irrationnel : le Président russe se met un poids sur les épaules qu’il aura énormément de mal à gérer. Question : L’Allemagne vient d'annoncer aujourd'hui qu’elle doublerait son budget de dépenses : l’idée d’une souveraineté européenne de défense est-elle en train de faire son chemin ? Jean-Louis Bourlanges rappelle que l’essentiel, c'est l’endurance, c'est-à-dire la capacité à vivre dans le temps long. Pour citer le Cardinal de Richelieu, « Il faut tenir la distance ». Il est impossible de continuer à faire semblant d’être des partenaires confiants des Russes, des amis des Chinois. Il faudra qu’on tienne la distance, qu’on accepte les conséquences très dures des sanctions, et la négociation sur le temps que le Président de la République Emmanuel Macron a engagé, en profitant de la maladresse de Joe Biden. Question : En lien avec votre article publié dans Le Monde à propos de la cyberguerre, estimez-vous, Asma Mhalla, que la campagne de désinformation par les trolls Poutiniens ont réussi leur coup ? Asma Mhalla développe le terme de cyberguerre, qui comprend deux grands domaines : les cyberattaques et la guerre informationnelle, qui se passe par les réseaux sociaux. La Russie a développé des techniques très sophistiquées en terme d’infiltration des informations. Les Russes sont familiers de ce type de pratique et le conflit ukrainien ne fait pas exception. En revanche, la guerre informationnelle a été perdue par la Russie car la guerre des images a été gagnée par Volodymyr Zelensky. Vladimir Poutine a une communication traditionnelle, verticale, basée sur des méthodes de terreur. Une guerre informationnelle sur les réseaux sociaux se déroule comme suit : on commence à construire le narratif, c'est-à-dire le discours qui mène à la brutalisation de la population cible. Puis, les trolls domestiques vont relayer ce discours en masse. Question : Aux yeux des Russes, est-on déjà entré en état de guerre, ou alors des négociations sont-elles encore possibles ? Asma Mhalla répond qu'en termes d’Internet, il est à prévoir une déconnexion de l’armée russe : on aura alors deux cyberespaces qui vont être parfaitement distincts, et avec la main mise du Kremlin sur l’ensemble du réseau. Il aura le contrôle pur et parfait sur leur propre réseau. On aura ainsi deux blocs qui se font face et qui ne vont plus pouvoir communiquer. En ce moment, on étudie la possible d’arrêter la diffusion de RT et Sputnik (ndlr : Russia Today et Sputnik, deux médias affiliés au gouvernement russe). Les formats de ce type de chaînes sont compatibles, face aux réseaux sociaux, avec un mécanisme de viralité. Une des mesures de rétorsion possible serait que tous les journalistes soient dans l'obligation de quitter le terrain : ce serait un bannissement qui constituerait « une grande humiliation » pour le régime russe, selon la journaliste Anne Nivat, spécialiste de la Russie. En effet, depuis la création de RT et Sputnik, il s'agit de la volonté de Vladimir Poutine d'avoir des chaînes qui peuvent porter l'histoire, la communication, la propagande du gouvernement russe à l’extérieur du pays. Frédéric Encel évoque pour lui la leçon à tirer dans cette crise, celle de l’humilité. Pendant plus de 22 ans, Vladimir Poutine a démontré beaucoup de brutalité, beaucoup de pragmatisme et de rationalité. De ce point de vue là, le stratège est celui qui est pragmatique : il met toutes les conditions en oeuvre afin de mettre en place des interventions militaires. On aurait dû écouter « la dérive idéologique poutinienne » comme le dénonce l’Élysée. On ne peut jamais faire confiance à un autocrate ! Cela s’applique de manière universelle (Frédéric Encel évoque Mao, stratège et « boucher »). Vladimir Poutine est brutal mais il a construit une véritable forme de stratégie. La grande puissance pauvre ne peut pas être vaincue militairement. Tout ce qui relève de l’économique, du financier et du politique nous montre que le Président russe est finalement très seul. Frédéric Encel file ensuite la métaphore du joueur de cartes (ici, Vladimir Poutine) qui ne dispose pas de plus de deux jokers (son droit de veto et ses moyens militaires) pour lutter contre ce que nous pouvons lui opposer : des sanctions très lourdes qui, en principe, devraient le faire réfléchir. Or, c'est à double tranchant : rien n’indique que les sanctions pourront le faire reculer. La Russie peut inquiéter en dépit de sa faiblesse par sa capacité de nuisance. Elle finance des groupes mercenaires sans les assumer qui se payent sur la dette, elle procède à des cyber attaques. La Russie surjoue d’une capacité de nuisance en créant des leviers, puis une peur panique qui permet de pallier cette faiblesse. Le problème de l’autocrate dirigeant une grande puissance pauvre réside dans le fait qu'il avait sous-estimé la volonté ukrainienne à résister à une intervention militaire de sa part. Il y a eu un dispositif de mésestimation. Vladimir Poutine est conscient du sort réserver aux autocrates précédents lorsqu’ils ont perdu une guerre. 2ème table ronde : Réactions : Quelle réponse à l’agression russe ? Quels scenarii du futur ? Cette deuxième table ronde est modérée par Jean-Philippe Moinet, essayiste et fondateur de la Revue Civique. Elle regroupe Valéria Faure-Muntian, députée, présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, Galia Ackerman, historienne, spécialiste de l’ex-URSS et Pascal Bruckner, essayiste. Question : Quelle est la meilleure manière de se mobiliser ? Galia Ackerman introduit son propos en rappelant que cette réunion arrive à un moment extrêmement douloureux, car nous avons appris que des chars russes de 60 kilomètres de long se dirigeaient vers Kiev. Le Président Vladimir Poutine a dit lundi dernier qu’il prévoyait « une opération spéciale » pour parler de la guerre de manière tacite. Il évoquait un processus de « dénazification » : cela semble bizarre pour un régime avec à sa tête un président juif. Pour eux, cela signifie la décapitation physique de l’élite politique ukrainienne. Des listes ont été faites par les chaînes russes : ils ont l’intention de capturer physiquement et éliminer quelques centaines de personnes, les hommes politiques de Volodymyr Zelenksy, intellectuels et chefs des ONG, journalistes et réfugiés politiques russes et biélorusses ; car c’est dans ce pays qu'ils se sentaient libres. Les mesures ressemblent à celles des nazis, comme quand on envoyait dans les camps pour toute opposition. Galia Ackerman pense que Vladimir Poutine réagit avec une certaine logique malgré le fait qu'il vive dans une réalité parallèle, dans laquelle il a fallu éradiquer toute opposition en Russie, et la réduire au silence. Nous étions avant dans un constat très triste, les ONG ont été déclarées « agents étrangers » car financés par l’étranger, c'est-à-dire l’Occident. C’est symbolique : hier, il a été confirmé la liquidation de Memorial (ndlr : l'ONG Memorial était le plus importante association de défense des droits de l'homme russes, gardienne de la mémoire des victimes de la terreur stalinienne), c'est-à-dire la conscience de la nation, une organisation qui collectait des centaines de milliers de témoignages, avec 64 sections dans les régions et des millions de pages sur Internet. Toute la mémoire des tragédies du communisme du XXème siècle était réunie. C’était une ONG créée pendant la Perestroïka. Elle doit être dissoute et mise en liquidation judiciaire. L'ONG des droits humains et de préservation de la mémoire des victimes de crimes soviétiques est en effet coupable de « violations répétées » de la loi sur le statut des « agents de l'étranger ». Au moment où on a déclaré la fermeture du Memorial, c’est Poutine qui a posé des ultimatums à l’Occident. C’est presque une signature stalinienne. L’action militaire en Ukraine est une opération de libération : on utilise la terminologie de la Seconde Guerre mondiale comme si on libérait l’Europe des nazis. Cette fois, on veut libérer l’Ukraine de la Russie. Déjà 1 500 journalistes l’année dernière ont quitté la Russie : cette exode pourra peut être s'arrêter, car désormais, un Russe peut difficilement quitter la Russie. On parle d’une nuit noire. Il faut agir en faveur de la société ukrainienne et faciliter les conditions d’obtention d’asile pour les opposants russes. Il faut aider les opposants russes à partir en exil et leur faciliter un départ. Valéria Faure-Muntian souhaite aller dans le sens de Galia Ackerman, avec une formule choisie « L’Ukraine est mise à genoux par Poutine mais elle se relèvera ». Elle fera la démonstration de cette capacité à se relever, seule, ou avec l’aide de l’Occident. Le peuple russe est aujourd'hui isolé pour plusieurs générations. Poutine a détruit la Russie en premier chef, ils mettront plusieurs générations à s’en relever. Les deux médias russes libres ont été fermés définitivement car ils sont considérés par Poutine comme « agents étrangers ». C’est définitivement la réinstallation du soviétisme. La guerre est atroce en Ukraine. La destruction de la tour de télévision à Kiev ne présage rien de bon. Les Ukrainiens commencent à souffrir de pénurie alimentaire. Et puis, il y a les réfugiés : on ne peut pas laisser toutes ces femmes, enfants et vieillards aux frontières. L’avenir est dans les pourparlers diplomatique pour qu’il y ait un cessez-le-feu. Mais, on le voit lors des débats, ce que demande l’Ukraine est légitime, ce que demande la Russie est aberrant. La « dézanification » ne veut absolument rien dire dans un pays comme l’Ukraine qui commémore les morts de la Seconde Guerre mondiale. Question : Quel serait, selon vous, le levier le plus efficace pour agir aujourd'hui ? Pascal Bruckner se dit surpris par une chose dans cette affaire, c'est que certains puissent être surpris. Il suffit de lire les traductions des discours de Poutine depuis une vingtaine d’années, ou alors « Dans la tête de Vladmir Poutine » de Michel Eltchaninoff (ndlr : publié aux Éditions Actes Sud, en 2015). Il a construit pendant 22 ans une sorte de système paranoïaque où l’ennemi principal est l’Europe, et les États-Unis, qu’il décrit comme décadente, comme en proie à l’esprit LGBT. Au fond, Vladimir Poutine est un possédé froid, glacial : « Le fou est celui qui a tout perdu sauf sa raison » pour citer G.K. Chesterton. Ici, Poutine est le fou qui a tout perdu sauf sa haine froide. Les Occidentaux ne veulent pas entendre ce langage. Poutine fascine par sa brutalité, on écrase les révoltes dans le sang et quiconque relève la tête sera décapité : il faut prendre cet ennemi là au sérieux. Le scénario du pire est le scénario du probable : personne ne veut vivre à coté de la Russie. Selon Galia Ackerman qui a longtemps analysé et étudié la logique militarisme russe, un adage populaire de l’armée russe dans une logique militariste très ancrée dit « on peut répéter ça », alors que les gens qui ont connu la guerre répétaient plutôt tout l’inverse:  « Pourvu que ça ne se répète pas ». Valéria Faure-Muntian affirme que Vladimir Poutine veut retrouver l'impérialisme russe, dans un sentiment de dégradation de reste du monde. Pourquoi s’arrêterait-il en chemin ? Il pourrait très bien continuer à attaquer, en s’en prenant à la Moldavie et la Géorgie par exemple, qui ne font pas partie de l'OTAN. Frédéric Encel évoque ensuite la Chine. Sans vouloir faire d’essentialisme, il affirme que les Occidentaux et les Russes ne fonctionnent pas sur le plan géopolitique comme fonctionnent les Chinois. L’usage de la force létale a été le modus operandi principal. Les Chinois nous montrent, notamment depuis 1979 au Vietnam, qu’ils ne procèdent pas prioritairement par l’usage d’armes létales. La Chine s’est abstenue au Conseil de sécurité : elle n’est pas une alliée de la Russie ! Si l’OTAN est faible sur la crise ukrainienne, alors quelle leçon les Chinois vont-ils en tirer pour Taiwan ? Les Chinois sont en train de nous observer de très près. Question : Est-ce qu'il ne faudrait pas discuter avec les Chinois ? Ils savent très bien articuler la palette diplomatique, militaire, etc. Les Chinois attendent très patiemment. C’est soit les Ouïghours, soit les Tibétains, soit les Ukrainiens. On ne pourra pas sauver tout le monde : il va falloir faire des choix. Question : Peut-il y avoir une révolte du peuple russe contre Poutine ? Peu probable qu’il y ait une révolution contre Vladimir Poutine. Le sort réservé à l’opposition est la décapitation. La Russie a au moins été suspendue du Conseil de l’Europe. Selon Galia Ackerman, la solution ne peut venir que du premier cercle de Poutine, c'est-à-dire d'un coup d’État. On dénombre déjà quatre coups d’états : le premier était contre Staline ; le deuxième contre Lavrenti Beria ; ancien premier vice-président du Conseil des ministres de l'URSS et chef des services secrets, le troisième contre Nikita Khrouchtchev qui a été limogé ; le quatrième contre Mikhaïl Gorbatchev mais ce putsch n’a pas réussi. Poutine doit être très prudent, on ne compte plus les nombreux régicides de l’empire russe. S’il souhaite jouer avec du nucléaire, quelqu'un trouvera un moyen d'y mettre un terme. Suite aux accords de Minsk de 1991 qui entérinent la dislocation de l'Union soviétique et donne naissance à la Communauté des États indépendants, nait trois ans plus tard les mémorandums de Budapest. L’Ukraine a renoncé à toute partie d’armement nucléaire au profit de la Russie. Les mémorandums de Budapest sont trois documents signés en termes identiques le 5 décembre 1994, respectivement par la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine ainsi que par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie qui accordent des garanties d'intégrité territoriale et de sécurité à chacune des trois anciennes Républiques socialistes soviétiques (RSS) en échange de leur ratification du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Lors de la crise de Crimée de 2014, l'Ukraine se réfère à ce mémorandum pour rappeler à la Russie qu'elle s'est engagée à respecter les frontières ukrainiennes, et aux autres signataires qu'ils en sont garants. Quelques photos de cet événement : Les vidéos de la soirée :

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