Du sommet des collines de Rocinha aux plages lumineuses de Copacabana, le Brésil déploie ses paradoxes. Terre de contrastes et de luttes, il oscille entre aspirations sociales et urgence environnementale. Alors que la COP30 approche à grands pas et que le monde aura les yeux tournés vers Belém, le pays s’efforce de concilier développement économique, justice sociale et préservation de l’Amazonie. Dans les rues de Rio, les tensions politiques restent vives : Lula, revenu au pouvoir avec une promesse de réconciliation, suscite autant d’espoirs que de défiance. Entre les partisans du renouveau social et les nostalgiques d’un ordre autoritaire incarné par Bolsonaro, notre correspondant en Amérique latine, Erévan Rebeyrotte, prend le pouls de cette société brésilienne fragmentée.
Lors de mes pérégrinations à Rio de Janeiro, j’ai eu l’occasion d’échanger avec de nombreux habitants. Tous partagent la même ville, mais évoluent dans des réalités profondément contrastées. Ces rencontres m’ont permis de saisir une fracture marquée : d’un côté, ceux qui placent leurs espoirs en Lula ; de l’autre, ceux qui voient dans sa politique une source d’insécurité, estimant qu’elle favorise les favelas en leur apportant soutien et protection.
Lors de mon voyage, j’ai d’abord exploré la favela de Rocinha, guidé par Renaldo, un habitant né et élevé dans ce quartier. Avec passion et lucidité, il m’a partagé son regard sur les transformations vécues sous la présidence de Lula. Selon lui, l’arrivée de ce dernier au pouvoir a marqué un tournant : des écoles, des hôpitaux et des gymnases ont vu le jour, offrant enfin des infrastructures essentielles à une population trop longtemps oubliée. Malgré la persistance d’une criminalité omniprésente — armes et drogues circulant presque librement — ces améliorations ont insufflé un nouvel espoir à de nombreux habitants.
La présence de touristes y est paradoxalement protégée non par la loi, mais par la peur : celle que l’irruption de la police, à la suite d’un incident, ne déclenche une fusillade sanglante. Dans cette société parallèle, hors du cadre étatique, des règles strictes s’imposent : quiconque menace un visiteur risque des représailles sévères, comme la mutilation, tant les conséquences pourraient être dramatiques pour toute la communauté. Rocinha vit en marge du système, mais elle obéit à ses propres lois.
Plus tard, dans un tout autre décor, sur la plage de Copacabana, j’ai rencontré Luis, un policier, et Anita, une avocate. Autour d’un café, face à l’océan, ils m’ont livré une vision radicalement opposée. Tous deux s’inquiètent du retour de Lula au pouvoir, qu’ils accusent de fermer les yeux sur la violence des cartels et des milices qui gangrènent le pays. À leurs yeux, sa politique est trop laxiste et contribue à fragiliser encore davantage les quartiers populaires. Pour cette raison, ils ont voté Bolsonaro lors des dernières élections, espérant une réponse plus ferme face à l’insécurité.
Encore aujourd’hui, l’ombre de Jair Bolsonaro, reste omniprésente. Le 26 mars dernier, la Cour suprême brésilienne a décidé d’ouvrir un procès contre l’ancien président pour tentative de coup d’État. Bolsonaro, qui a gouverné de 2019 à 2022, se trouve désormais accusé d’avoir fomenté une conspiration pour conserver le pouvoir à tout prix après sa défaite en 2022 face à Luiz Inácio Lula da Silva. Selon les enquêteurs, il aurait même envisagé l’assassinat de Lula et d’autres figures politiques. Les charges contre lui, parmi lesquelles "coup d’État" et "organisation criminelle armée", pourraient lui valoir plus de 40 ans de prison.
Enfin, la question écologique, notamment la gestion de l'Amazonie, constitue un autre champ de bataille pour le Brésil. Sous Jair Bolsonaro, la politique environnementale du pays avait sombré dans un abandon préoccupant. Un "laisser-faire" quasi officiel avait ouvert grand les portes à une déforestation galopante, dont l’ampleur devenait chaque jour plus dramatique. Mais l’arrivée de Lula au pouvoir a marqué un tournant. Entre août 2023 et juillet 2024, la déforestation a chuté de moitié. En un an, ce sont 6 288 kilomètres carrés de forêt qui ont disparu — l’équivalent de la Savoie — contre 13 000 km² en 2021, au paroxysme de l’ère Bolsonaro. Pourtant, malgré cette embellie relative, l’Amazonie continue de souffrir. La déforestation demeure à des niveaux alarmants, et les flammes, attisées par une sécheresse d’une rare intensité, poursuivent leur œuvre dévastatrice au cœur de la forêt.
Pourtant, même sous Lula, l’Amazonie demeure une frontière entre développement économique et préservation écologique. Le président, tout en affichant une politique ambitieuse pour la sauvegarde de la forêt, soutient également des projets controversés, comme la construction d’une autoroute traversant l’Amazonie, pour faciliter l’accès aux ressources et au commerce. Cette contradiction entre les discours écologiques et les projets d’infrastructure illustre la complexité des choix auxquels le pays fait face à l’aube de la COP30, qui se tiendra à Belém en novembre prochain.
Sources :
https://www.lemonde.fr/international/article/2025/03/15/les-actions-de-lula-en-faveur-de-l-amazonie-ne-doivent-pas-masquer-le-fait-qu-il-a-cede-sur-d-autres-dossiers-environnementaux_6581387_3210.html
https://reporterre.net/Au-Bresil-malgre-ses-promesses-ecologiques-Lula-promeut-le-petrole-et-la-deforestation
https://www.francetvinfo.fr/monde/bresil/assaut-contre-des-lieux-de-pouvoir/l-ex-president-bresilien-jair-bolsonaro-sera-juge-pour-tentative-de-coup-d-etat_7153254.html
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