« Ne faiblissons pas face aux attaques antisémites »

par Caroline Yadan le 30 mars 2023 Caroline Yadan
Trois députés, Caroline Yadan (Paris), Éric Bothorel (Côtes-d’Armor) et Mathieu Lefèvre (Val-de-Marne) ainsi que le parti EELV ont saisi mardi 14 février la procureure de la République de Paris pour demander le blocage d’ « Europe Écologie – Les Bruns », un forum néonazi. Ce site est l’extension du site Démocratie participative, créé et animé par le néonazi Boris Le Lay, caché au Japon. Caroline Yadan éclaire cette initiative pour Le Laboratoire de la République.
Le Laboratoire de la République : Pourquoi avez-vous décidé, avec Éric Bothorel et Mathieu Lefèvre, de saisir la procureure de la République de Paris ? Caroline Yadan : Sur un plan purement juridique, l’article 40 du code de procédure pénale est très clair : tout citoyen ayant connaissance de faits pouvant constituer un crime ou un délit doit saisir le Procureur pour qu’il apprécie les suites à donner. Il s’agit bien d’une obligation civique, d’un devoir incombant au citoyen. En l’occurrence, les faits sont plutôt clairs : apologie du IIIe Reich, promotion d’un séparatisme d’extrême-droite, antisémitisme décomplexé, fantasmes de guerre raciale … Par le passé, Monsieur Le Lay, néonazi Français, a déjà été condamné pour des faits similaires, puisqu’il doit purger une peine de plus de 10 ans de prison et qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt Interpol. Les demandes d’extradition adressées au Japon n’ont, pour l’instant, pas porté leurs fruits. Au-delà de la simple démarche civique et juridique, l’enjeu de dénonciation de ces faits est, pour moi, fondamental. Il s’agit ici d’incarner la fermeté républicaine, et de ne pas faiblir face aux menaces et attaques faites à notre démocratie et à nos valeurs. Face à des faits aussi graves, il est de notre responsabilité d’incarner un rempart républicain et de lutter contre toutes les formes de racisme. Comment ne pas s’inquiéter de voir fleurir ce type de propos et de comportements sur Internet ? Je suis surtout inquiète et interrogée par le silence assourdissant des extrêmes sur ce sujet : ce silence est très révélateur… Le Laboratoire de la République : Dégradations de cimetières ou sur la voie publique, manifestations, diffusion sur internet : l’antisémitisme d’extrême-droite semble être plus présent qu’avant. La parole antisémite d’extrême-droite s’est-elle libérée ? Si oui, à la faveur de quoi ?  Caroline Yadan : L’augmentation des actes antisémites en France est constante. Elle a été de 74 % en 2021 et représente 60% des actes racistes alors que les juifs représentent 1% de la population. La dernière radiographie de l’antisémitisme, publiée par Fondapol en 2022, démontre que les Français ont conscience de la progression de l’antisémitisme : 64% des personnes interrogées estiment que l’antisémitisme est plus répandu qu’auparavant. La progression du phénomène antisémite, en France mais aussi dans le monde, est très inquiétante. Déferlement de la haine en ligne, poussée des thèses conspirationnistes, haine d'Israël, islamisme, récupération de la mémoire de la Shoah, attentats perpétrés en France, en Allemagne ou aux USA, assassinats, meurtres, menaces à l’encontre des Juifs, slogans antisémites scandés dans des manifestations, infiltration dans le mouvement des Gilets Jaunes ou des antivax, le phénomène perdure à travers l’histoire et se renouvelle dans ses formes et ses expressions. L’antisémitisme multiplie les visages et les faux semblants. Pour tenter de tromper notre vigilance, il se pare sans cesse des habits de notre temps. L’antisémitisme est attisé aujourd’hui par l’extrême-gauche, sur fond de haine d’Israël et de complaisance à l’égard de l’islamisme. L’antisémitisme qui tue aujourd’hui en France est l’antisémitisme islamiste. L’antisémitisme d’extrême-gauche a supplanté celui de l’extrême-droite dans l’espace médiatique classique et dans les arènes politiques. Toutefois, cette nouveauté ne doit surtout pas nous induire en erreur ou nous rassurer quant à une potentielle disparition ou diminution de l’antisémitisme de l’extrême-droite. Le Rassemblement National se positionne actuellement comme luttant contre l’antisémitisme, notamment à l’Assemblée nationale, dans une volonté de respectabilité : de la triste remise de médaille de la ville de Perpignan à Serge Klarsfeld par Louis Aliot à la volonté toute récente de prendre la présidence du groupe d’étude sur l’antisémitisme à l’Assemblée Nationale, nous assistons à une instrumentalisation par le RN de cette lutte contre l’antisémitisme. La parole antisémite d’extrême-droite est, par ailleurs, soutenue par le manque de régulation des propos tenus sur Internet qui prolifèrent à la faveur des algorithmes de plus en plus pointés du doigt pour leur tendance à invisibiliser les opinions modérées au profit d’opinions extrêmes. Enfin, et c’est là une grande source d’inquiétude, ces propos antisémites répandus sur les réseaux sociaux atteignent nos jeunes, trop peu accompagnés dans le décryptage des médias et trop peu éduqués face aux dangers du complotisme et des extrêmes. Instagram et TikTok recensent des millions de hashtags liés à l’antisémitisme, selon une analyse conduite par l’association britannique « Hope not Hate », la fondation allemande Amadeu Antonio et le groupe suédois Expo Foundation. Le Laboratoire de la République : Le site source « Démocratie participative » serait toujours accessible malgré un blocage ordonné en 2018 selon Libération. Les pouvoirs publics ont-ils les ressources pour bloquer durablement les sites racistes ou antisémites de ce type ? Caroline Yadan : La demande de blocage est une solution technique peu efficace et n’éteint de toute façon pas la source de la haine. La parade est facilement trouvée : il suffit de recréer le même site en changeant simplement son nom de domaine. Concrètement, il s’agit du procédé bien connu de la « boîte postale », simplement plus moderne, dématérialisée et reproductible quasiment à l’infini. A ma connaissance, le site « Démocratie Participative » est beaucoup moins accessible depuis que Google l’a déréférencé. Cela signifie qu’il n’est plus possible de le trouver au moyen d’une recherche via cette plateforme. Cette situation interpelle sur la capacité de réponse des pouvoirs publics car nous n’avons évidemment pas les mêmes moyens d’intervention techniques que les GAFAM. D’ailleurs, aucun État n’en dispose factuellement. Très concrètement, le pouvoir détenu par ces entreprises questionne partout à travers le monde, tant et si bien que leur démantèlement est évoqué par plusieurs responsables politiques à l’international. Au cours de la présidence française de l’Union européenne, Emmanuel Macron a indiqué envisager cette solution parmi les options de régulation possibles, sur un moyen terme. La majorité présidentielle a beaucoup œuvré pour renforcer la législation, et a également porté un travail de fond à l’échelle européenne pour structurer une réponse régionale, à défaut de pouvoir être mondiale. Beaucoup a déjà été fait : instauration du principe de la majorité numérique ; installation obligatoire par défaut du contrôle parental sur les ordinateurs ; renforcement des obligations incombant aux gestionnaires de plateformes, plus particulièrement lorsqu’ils sont saisis par une demande émanant de la justice ou des services de polices, renforcement des effectifs de police pour mieux lutter contre la cybercriminalité, … A l’échelle européenne, l’adoption des 2 règlements Digital Service Act (DSA) et du Digital Market Act (DMA) donne les moyens à l’Union européenne de répondre aux dérives constatées chez les GAFAM, que ce soit dans leur fonctionnement ou les services qu’ils proposent à leurs utilisateurs ou bien dans leurs obligations de lutte contre les contenus illicites, la transparence en ligne, l’atténuation des risques ou les réponses aux crises. Concrètement, la France comme l'Union européenne se dote des moyens de sanctionner les entreprises tout comme les utilisateurs, en fermant les sites criminels et en condamnant leurs auteurs à des amendes ou des peines de prison selon les faits. Toutefois, beaucoup reste encore à faire car les réseaux sociaux et Internet sont des espaces évolutifs où l’économie de l’infox a encore de beaux jours devant elle. Nous devons réfléchir et construire les solutions techniques, juridiques, économiques et sociales pour endiguer et marginaliser ces phénomènes. Olivier Véran a rappelé l’ouverture prochaine des états généraux de l’information, pour acter le lancement d’un travail essentiel à faire à l’heure des fake news, des conséquences des sphères complotistes et antisémites, de l’impact des réseaux sociaux et des algorithmes sur l’information. Les réponses restent donc à construire sur le plan politique, et j’aurais à cœur d’y prendre part dans les prochaines semaines.

Les violences parlementaires, un fait nouveau ?

par Jean Vigreux le 28 mars 2023
Depuis les dernières élections législatives, nous constatons beaucoup d'incidents au sein de l’hémicycle. Le Laboratoire de la République a interrogé à ce sujet Jean Vigreux, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Bourgogne. Il évoque pour nous la violence des débats dans l’histoire parlementaire.
Le Laboratoire de la République : La violence (verbale ou physique) qui s’exprime sur les bancs de l’Assemblée nationale est-elle plus importante aujourd’hui que par le passé ? Jean Vigreux : Il faut bien prendre en compte que la violence s’est exprimée à plusieurs moments de l’histoire de la République. Ainsi, on ne peut pas dire qu’elle est « plus importante aujourd’hui que par le passé ». Pour autant, il est aussi important de (re)considérer la place du palais de la représentation nationale dans les institutions, puisqu’elle évolue notablement ; sous la IIe République (1850), cette assemblée unique (l’Assemblée législative) joue un rôle capital qui lui est contesté par le Président de la République Louis-Napoléon Bonaparte et sa timidité croissante en termes de réformes est contestée par la gauche démocrate-socialiste (« démoc-soc », selon la terminologie de l’époque) ; sous la IIIe République (1900), à l’ère de la République parlementaire, l’hémicycle occupe le centre de la vie politique  française ;  ce  modèle,  toujours   d’actualité   avec   la   IVe République, est assez vite mis à mal par la logique de Guerre froide mettant à l’écart les communistes, pourtant majoritaires à l’Assemblée. Si la Ve République, dans un premier temps, réduit la place du Parlement, les évolutions ultérieures et les cohabitations rehaussent la fonction parlementaire. Dans cette perspective, le régime parlementaire qui est fondé sur l’échange, les débats, mais aussi les passions, s’expriment parfois avec violence en particulier lors des « fièvres hexagonales » selon la belle expression de l’historien Michel Winock. Des conceptions différentes de la société s’expriment, s’affrontent sur tout sujet clivant comme aujourd’hui celui des retraites qui cristallise les passions. L’outrance et la violence en politique sont d’autant plus saillantes qu’elles tranchent avec le processus de civilisation (bonnes mœurs, politesse, etc.) décrit par Norbert Elias. Le Laboratoire de la République : L’histoire parlementaire est émaillée d’incidents violents. Sont-ils toujours liés à un affaiblissement démocratique ? Jean Vigreux : Oui ces incidents violents sont nombreux, parfois oubliés, comme l’attentat commis par l’anarchiste Auguste Vaillant qui, le 9 décembre 1893, avait fait une soixantaine de blessés à l’Assemblée nationale. On a également refoulé les propos qui, le 6 juin 1936, ont accueilli Léon Blum venu présenter son gouvernement. Xavier Vallat, l’un des députés de l’opposition de droite-extrême, arborant dans l’hémicycle l’insigne des Croix-de-Feu, avait alors lâché : « Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif ». Puis pendant la guerre froide, le 3 mars 1950, le député communiste du Lot-et-Garonne, Gérard Duprat, demande la parole juste avant le vote d’un projet de loi sur les élections aux conseils d’administration des organismes de sécurité sociale et d’allocations familiales. Elle lui est refusée. Accompagné d’Arthur Musmeaux, député communiste du Nord, Duprat s’empare alors de la tribune. Une forte altercation s’ensuit et la séance est suspendue pendant dix minutes pour que le Bureau de l’Assemblée se réunisse. À la reprise de la séance sous la présidence d’Édouard Herriot, la censure avec exclusion temporaire du député communiste est votée « par assis et levé ». Devant le refus de ce dernier de quitter l’Assemblée, il est fait « appel au commandant militaire du Palais ». Après les trois sommations réglementaires, le commandant fait évacuer l’hémicycle par une compagnie de gardes républicains. Ce qui braque l’opinion publique… Plus proche de nous lorsque Simone Veil défendait la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), elle a subi les assauts verbaux de plusieurs députés et le débat sur cette loi réveille des pulsions d’un autre âge : la ministre, qui a connu l’enfer d’Auschwitz et de Bergen-Belsen, voit comparer l’IVG aux centres de mise à mort nazis. Le député centriste Jean-Marie Daillet n’hésite pas à assimiler l’avortement à l’envoi des enfants au « four crématoire » ; Jacques Médecin, député-maire de Nice, s’adressant directement à la ministre, déclare : « cela ne s’appelle pas du désordre, madame la ministre. Cela ne s’appelle même plus de l’injustice. C’est de la barbarie, organisée et couverte par la loi, comme elle le fut, hélas ! il y a trente ans, par le nazisme en Allemagne».  Tous ces exemples soulignent la ferveur, la passion des débats et des incidents violents — on aurait pu également évoquer le « mariage pour tous » —, mais pour autant, ils ne traduisent pas « toujours » un affaiblissement démocratique. Le Laboratoire de la République : Y a-t-il historiquement un lien entre la violence qui s’exprime au Parlement et la violence dans la rue ? Si oui, lequel ? Jean Vigreux : Ce lien n’est pas toujours établi, loin s’en faut. Il est nécessaire d’analyser chacun de ces moments, de les replacer dans les contextes précis : pour illustrer mon propos, je reviens sur la crise de mai-juin 1968, alors que l’exécutif n’arrive pas à venir à bout de la crise étudiante et du refus ouvrier du constat de Grenelle, conduisant à un grossissement du mouvement. Cela provoque une crise politique dont le premier événement symbolique est le meeting organisé le 27 mai au stade Charléty à Paris. L’UNEF, le PSU, la CFDT et la plupart  des organisations trotskistes et anarchistes appellent à manifester contre le gouvernement en mettant en avant le thème de la solution révolutionnaire à la crise. Plus de trente mille manifestants se retrouvent dans le stade en présence des principaux leaders de la gauche non communiste, parmi lesquels Michel Rocard, Jacques Sauvageot et Alain Geismar. Le lendemain, Pierre Mendès France, sollicité, notamment par la CFDT, pour proposer une solution politique alternative, donne son accord. Au même moment, François Mitterrand annonce lors d’une conférence de presse qu’il « convient dès maintenant de constater la vacance du pouvoir et d’organiser la succession ». La gauche est alors divisée et affaiblie par les ambitions de quelques-uns de ses leaders au moment où le pouvoir prépare sa contre-attaque politique. Pour autant la réaction du pouvoir rend caduques les revendications et s’emploie à mobiliser la « majorité silencieuse ». De retour après un voyage à Baden-Baden auprès du général Massu, qui l’a assuré du soutien de l’armée, le général de Gaulle prend en effet la parole à la radio le 30 mai 1968. Jouant sur la corde anticommuniste au lendemain de l’appel du PCF pour un « gouvernement populaire » et des grandes manifestations organisées par  la  CGT  à Paris et en province, il renouvelle son soutien au Premier ministre et annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Une grande manifestation, organisée secrètement depuis plusieurs jours, descend les Champs-Élysées dans une symétrie symbolique, rive droite contre rive gauche, quartiers bourgeois contre quartiers populaires, l’artisan de la mobilisation étant Robert Poujade, ancien normalien, agrégé de lettres classiques, député de la Côte-d’Or et surtout membre du secrétariat national de l’UNR. Plus de trois cent mille personnes apportent leur appui au général. Le lendemain, des manifestations identiques ont lieu dans la plupart des villes de France. Au-delà de la peur qui s’est emparée de nombreux Français devant les événements et la paralysie du pays, ces manifestations soulignent la permanence de la fracture politique qui traverse la France. Elles sont le prélude à la remobilisation de la droite politique, qui entame sa campagne électorale sur le thème du « complot communiste » et de la défense de la République. Solution politique de la crise, les élections législatives ont lieu dans un climat de « guerre civile froide », selon l’une des grandes plumes du Monde, André Fontaine. Après la « grande peur de mai », elles constituent pour la droite l’occasion d’une revanche sur le mouvement social et étudiant et sur les élections législatives de 1967 qui avaient  mis à mal la majorité. La campagne électorale est brutale et la droite remet en avant les slogans du « péril rouge » et de la « subversion communiste ». La libération de Salan, Bidault et des derniers membres de l’OAS emprisonnés,  l’annonce d’une amnistie des activistes de la guerre d’Algérie permettent de souder un très large front anticommuniste du centre à l’extrême droite de Tixier-Vignancour. Le général de Gaulle sort grandi de ses élections et sa victoire est totale. Il peut se séparer de son Premier ministre… Cet exemple invalide entre autres le lien organique entre la violence parlementaire et la violence de rue. Toutefois, d’autres crises peuvent entrer dans un tel modèle, comme les manifestations pour l’école (privée ou publique) sous la IVe République ou en 1983…

Fahimeh Robiolle : « Un vent de laïcité qui vient d’Iran souffle sur l’Europe »

par Fahimeh Robiolle le 17 mars 2023 F. Robiolle
6 mois après le meurtre de Mahsa Amini et pour la journée internationale des droits de la femme, le Laboratoire de la République a reçu Fahimeh Robiolle, scientifique nucléaire et enseignante iranienne ayant fuit la révolution islamique. Elle enseigne en France (ENA, école de guerre, Essec, Sc Po, Paris III) et milite ardemment en faveur des femmes afghanes et iraniennes. Après un premier entretien sur la situation des femmes afghanes, nous l'interrogeons sur la situation des femmes iraniennes depuis le meurtre de Mahsa Amini.
6 mois après le meurtre de Mahsa Amini et pour la journée internationale des droits de la femme, le Laboratoire de la République a reçu Fahimeh Robiolle, scientifique nucléaire et enseignante iranienne ayant fuit la révolution islamique. Elle enseigne en France (ENA, école de guerre, Essec, Sc Po, Paris III) et milite ardemment en faveur des femmes afghanes et iraniennes. Après un premier entretien sur la situation des femmes afghanes, nous l'interrogeons sur la situation des femmes iraniennes depuis le meurtre de Mahsa Amini. Entretien réalisé le 2 mars 2023. https://www.youtube.com/watch?v=HKdoKXj0Reg Entretien avec Fahimeh Robiolle sur la situation des femmes iraniennes

Regards croisés sur le Service National Universel : « Sur le plan humain, une expérience unique »

par Arthur Gadenne le 16 mars 2023
Dans cette série consacrée au Service National Universel, Le Laboratoire de la République donne la parole à ceux qui font vivre ce programme dans toute la France depuis sa création en 2019. Aujourd'hui, Arthur Gadenne, bénévole au sein du Laboratoire, recruté comme tuteur durant le séjour de cohésion du SNU du Val-de-Marne, nous fait part de son expérience.
Le Laboratoire de la République : Pouvez-vous nous raconter votre expérience du SNU ? Arthur Gadenne : Entre deux emplois et sans réelle expérience d'encadrement de jeunes, j'ai eu la chance d'être recruté comme tuteur durant le séjour de cohésion du SNU du Val-de-Marne, du 19 février au 4 mars 2023. En tant que tuteur, notre rôle est d'encadrer et d'accompagner les jeunes volontaires durant leur SNU, de les encourageant à participer aux activités et de veiller à ce qu'ils se sentent à l'aise tout au long du séjour. Cela passe certes par un maintien de la discipline et des règles de vie, nécessaires à la vie en collectivité, mais également par une disponibilité permanente et une écoute bienveillante des jeunes. Bien que présent pour tous les jeunes, chaque tuteur a la responsabilité d'une maisonnée (mixte) d'une dizaine de jeunes. Quatre maisonnées forment une compagnie, coordonnée par un capitaine. Durant ce séjour, nous étions 16 encadrants : 10 tuteurs et 2 capitaines, une référente sport et cohésion, une infirmière et le chef de centre et son adjoint. Sur la centaine de jeunes inscrits, un peu moins de 80 ont finalement participé à ce séjour. Mon expérience SNU a commencé par une semaine de formation, durant laquelle j'ai rencontré l'équipe encadrante et où nous avons pu nous approprier le contenu des deux semaines à venir. Ensuite, nous sommes allés chercher les jeunes dans leur gare de départ (en Occitanie et à Versailles), et nous les avons accompagnés jusque Cachan (idem à l'issue du séjour : nous les avons raccompagnés jusqu'à leurs parents). Le séjour a donc réellement commencé le dimanche 19 février au soir, lorsque tous les jeunes furent arrivés. Les jeunes ont été installés à 2 ou 3 par chambre non-mixtes, ont récupéré leurs uniformes, rendus leurs téléphones et sont venus dîner au réfectoire, par maisonnée. Le rythme du séjour était intense : réveil des jeunes par les tuteurs à 6h30, petit déjeuner à 7h15, lever des couleurs et marseillaise à 8h puis activité du matin, déjeuner, activité de l'après-midi, et ensuite se succédaient les temps de démocratie interne, d'hygiène & de douche, de téléphone (moins d'une heure par jour, variable), entrecoupés par un dîner tous ensemble à 19h et la journée se terminait par le coucher à 22h, et l’extinction des feux à 22h30. A cela s'ajoutaient également des moments de préparation de la cérémonie de clôture (prévue le dernier jour), ainsi que des moments de détente dans les espaces communs (foyer, cour, …), sous la surveillance des tuteurs. Concernant les activités, elles étaient nombreuses et variées : séances de percussions (tambours, djembés, …), de cécifoot (football pour aveugles), de capoeira, journée sport et cohésion au parc de Choisy (curling d'intérieur, biathlon en gymnase, joelette, course d'orientation, spéléobox, …), de Taekwondo et de Hapkimudo, … Ainsi que des rencontres avec de nombreuses associations, venues leur parler d'économie circulaire, leur raconter l'Europe au quotidien dans Cachan, les faire devenir des élus de la Nation pour une journée (proposition et vote de loi, travail en commission, amendements, négociations et vote final). A ces activités se sont ajoutées la venue de la Police Nationale (prévention routière, sensibilisation au cyberharcèlement et intervention sur les drogues et les addictions) et de la Banque de France (Escape Game ludique autour de la finance, pour apprendre à mieux gérer son argent). Ils ont également réalisé leur Journée Défense et Citoyenneté (JDC) et passé leur diplôme de Prévention et Secours Civiques 1 (PSC1) Le Laboratoire de la République : Quels enseignements en avez-vous retiré ? Arthur Gadenne : Ce séjour fut riche en découvertes et en enseignements pour moi. D'une part, parce que j'ai eu la chance de participer à toutes les activités avec les jeunes : j'ai appris énormément auprès des intervenants, découvert des sports et des associations nouvelles. D'autre part, sur le plan humain, ce fut une expérience unique, et formidable. Je connaissais la vie en collectivité, mais je n'avais jamais encadré de mineurs, qui plus est de 15 à 17 ans. C'est un âge transitoire où l'on voit les futurs adultes qu'ils seront se dessiner, jusqu'à en oublier parfois qu'ils sont encore adolescents. Souvent, au cours du séjour, leur maturité et leur réflexion sur certains sujets m'ont surpris. Plus souvent encore, j'oubliais que j'avais affaire à des ados. En leur fournissant un cadre d'échange et des règles de vie, j'ai pu m'effacer partiellement et les laisser prendre le contrôle de leurs temps de démocratie interne, voir les désaccords naître entre eux et, au fil des échanges, des terrains d'entente se dessiner. L'impossibilité de se réfugier dans sa chambre, derrière son téléphone ou avec d'autres personnes qui pensent comme soi, les obligeait à parler, à s'écouter, à chercher à se comprendre, et aucun désaccord n'a dégénéré en conflit durant ces temps d'échange, bien au contraire : c'est rapidement devenu un jeu pour eux, de chercher à se convaincre mutuellement de leurs idées, et un prétexte au rire. Personnellement, j'ai également réalisé la grande exigence nécessaire pour accompagner des jeunes. Chez les encadrants, nous avions deux mots d'ordre : l'exemplarité et la neutralité. L'exemplarité d'abord : nous ne pouvons pas exiger des jeunes qu'ils respectent des règles que nous, adultes, ne respecterions pas. Nous étions donc astreints aux mêmes règles, aux mêmes horaires, à la même discipline, dormions dans des chambres identiques aux leurs et aux mêmes étages qu'eux. La neutralité ensuite : à un âge où ils ont mille questions, et sont encore malgré tout influençables, notre responsabilité de tuteur est de ne jamais partager nos opinions ou nos convictions, qu'elles soient philosophiques, politiques ou religieuses. Face aux nombreux sujets qu'ils abordaient d'eux-mêmes, j'ai réalisé combien il aurait été simple de juste leur donner mon avis, au risque de fermer le débat. Les laisser cheminer par eux-mêmes, leur poser des questions supplémentaires, les amener à considérer une réalité puis son contraire puis encore une autre, les faire atteindre des contradictions dans leur réflexion et les voir résoudre ces contradictions en formant leurs propres hypothèses et postulats : voilà qui était bien plus édifiant, et pour moi et pour eux. Et rien de tout cela ne nécessitait que je donne mon opinion personnelle. Un autre aspect du séjour m'a fortement séduit : les rencontres improbables de jeunes profondément différents, facilitée par la grande mixité sociale qui régnait au SNU. Les répartitions par chambre se sont faites aléatoirement, et mélangeait indistinctement les origines sociales, géographiques, économiques et culturelles. De ce brassage, certaines amitiés magnifiques se sont forgées, et plusieurs jeunes ont déjà prévu de se revoir, de passer leurs prochaines vacances ensemble. Alors que l'école de la République ne parvient plus à favoriser la mixité sociale dans notre pays, le SNU m'a prouvé non seulement que c'était encore possible, mais en plus qu'elle était bénéfique pour tous les jeunes. Je garderais un dernier souvenir gravé dans ma mémoire : durant le cours de Hapkimudo (art martial de self défense), j'ai vu deux jeunes filles, l'une après l'autre, réussir une prise de neutralisation sur deux jeunes garçons plus grands, plus lourds et plus musclés qu'elles. Après le mouvement, elles ont littéralement sauté de joie et l'une d'elles a éclaté d'un rire libérateur. A ce moment-là, j'ai eu la distincte impression qu'elles venaient de découvrir leur propre force, de comprendre qu'elles n'étaient pas vouées à perdre face aux garçons. Grâce au travail et à la technique apprise, elles ont pu surmonter leur handicap de taille et de force. Ce déclic est, à mes yeux, fondamental et j'espère que de nombreuses autres jeunes femmes auront la chance de le vivre un jour (pour celles qui en ont besoin évidemment). Le Laboratoire de la République : Recommanderiez-vous le SNU et si oui, pour qui et à quel moment ? Arthur Gadenne : Le SNU est une expérience que tous les jeunes commencent avec une certaine appréhension. La timidité des premiers jours laisse rapidement place à l'aisance et au plaisir de la découverte du séjour et, lors du dernier jour, près d'un tiers des jeunes pleuraient à chaudes larmes en disant au revoir à leurs amis. Si la plupart des jeunes sont venus de leur plein gré, certains n'avaient pas choisi d'être là. Pourtant, tous sont repartis le cœur lourd, et tous ont adoré leur expérience au SNU, pour des raisons parfois très différentes. Je recommande donc le SNU pour tous les jeunes, qu'importe leur maturité, leur niveau scolaire ou leurs engagements extra-scolaires. Qu'ils y aillent en courant ou à reculons, ils y apprendront beaucoup, et en ressortiront grandis !

Fahimeh Robiolle : « Pour les Talibans, la femme n’existe pas »

par Fahimeh Robiolle le 10 mars 2023 F. Robiolle
Pour la journée internationale des droits de la femme, le Laboratoire de la République a reçu Fahimeh Robiolle, scientifique nucléaire et enseignante iranienne ayant fuit la révolution islamique. Elle enseigne en France (ENA, école de guerre, Essec, Sc Po, Paris III) et milite ardemment en faveur des femmes afghanes et iraniennes. Nous l'interrogeons sur la situation des femmes afghanes depuis l'arrivée des Talibans. Elle évoquera la situation des femmes iraniennes dans un prochain entretien.
Pour la journée internationale des droits de la femme, le Laboratoire de la République a reçu Fahimeh Robiolle, scientifique nucléaire et enseignante iranienne ayant fuit la révolution islamique. Elle enseigne en France (ENA, école de guerre, Essec, Sc Po, Paris III) et milite ardemment en faveur des femmes afghanes et iraniennes. Nous l'interrogeons sur la situation des femmes afghanes depuis l'arrivée des Talibans. Elle évoquera la situation des femmes iraniennes dans un prochain entretien. Entretien réalisé le 2 mars 2023. https://www.youtube.com/watch?v=ypxqYsXtF2Q&t=1s Entretien avec Fahimeh Robiolle sur la situation des femmes afghanes

Il était une fois Antioche

par Tarik Yildiz le 6 mars 2023
Il y a un mois, le 6 février 2023, la Turquie était victime de deux séismes dévastateurs et meurtriers. Plus de 50 000 personnes auraient perdu la vie. Tarik Yildiz, sociologue, notamment auteur de « De la fatigue d’être soi au prêt à croire » (Editions du Puits de Roulle), né de parents d’origine turque, témoigne de l’ampleur des destructions à Antioche, le « berceau des civilisations ».
Les habitants aiment rappeler aux visiteurs qu’Antioche est « le berceau des civilisations ». On vante les vestiges de l’empire Romain, le seul village arménien de Turquie, la présence d’une des rares synagogues d’Anatolie, d’églises variées –comme la fameuse grotte Saint-Pierre-, de lieux de culte divers respectés par tous… Une « mosaïque de peuples » compose cette ville si particulière érigée en modèle de tolérance par tous ceux qui l’ont côtoyée. Ce petit havre de paix, cette parenthèse en plein Moyen-Orient où l’on se croit tantôt à Rome tantôt dans le vieux Paris des ruelles tortueuses, dans laquelle personne ne se mêle de la confession des autres, où il n’est pas rare de voir des groupes d’amies se promener en pleine nuit tellement les environs transpirent la tranquillité, a été terriblement touché –tout comme de nombreuses autres provinces de Turquie et de Syrie- par les tremblements de terre du mois de février. Une douceur de vivre qui laisse sa place au tragique Le bilan provisoire de près de 50 000 morts pourrait avoisiner les 100 000, dont une part non négligeable concerne Antioche. Les répliques continuent de secouer la ville désormais fantôme. Les habitants qui ne veulent ou ne peuvent quitter les lieux dorment dans des voitures, des tentes ou, pour les plus chanceux, dans des conteneurs de fortune. Des familles entières ont disparu sous les décombres. Des miraculés se retrouvent orphelins, seuls survivants de fratries souvent nombreuses. Les uns se demandent pourquoi ils ont survécu, les autres prient le ciel de leur donner le courage de continuer à vivre. On ne croise plus que des soldats en patrouille dans cette ville rebelle et profondément laïque. La mort est visible dans tous les recoins de la région : le contraste avec cette cité où la douceur de vivre s’exprimait partout, du climat jusqu’au caractère des habitants, est terrifiant. Plus de chants, plus de gastronomie si raffinée qui embaume l’air des rues, plus de joie de vivre… Seuls le paysage lointain et ses monts fertiles tiennent encore debout, semblant contempler le désastre avec gravité. Une solidarité française appréciée, qui pourrait être encore plus forte A la fin des années 1920, le capitaine Pierre May, évoquant la population locale, indiquait : « Tâche délicate que celle de vouloir lever le voile qu’il s’est imposé jusqu’à ce jour […]. Tâche délicate que de parler de ceux qui n’aiment pas que l’on parle d’eux ». Cette même pudeur se lit sur les visages dignes des rares passants endeuillés près de cent ans après l’écriture de ces lignes. Ceux qui quittent la ville ont parfois honte de dire qu’ils viennent d’une zone sinistrée, souhaitant éviter de lire la pitié dans les yeux de leurs interlocuteurs, pourtant bienveillants. La France, comme d’autres pays, a fait preuve de solidarité dès les premiers instants. Des équipes françaises ont aidé à sortir les cadavres de sous les décombres, permettant d’acter la douloureuse réalité pour les proches. Au-delà d’une aide supplémentaire globale permettant à certaines familles de Turquie de séjourner quelques semaines en France le temps de bâtir de nouveaux foyers (possibilité offerte par d’autres pays européens), la profondeur des liens entre la France et la région pourrait suggérer des actes encore plus forts pour aider à la restauration (monuments historiques, mosaïques romaines et autres constructions antiques…). « Passer quelques semaines en dehors de la ville pour surmonter le deuil, oui, mais nous ne pouvons vivre durablement qu’ici » répètent en cœur les victimes qui n’ont qu’une seule obsession : reconstruire la cité et son patrimoine. Dans une des rues du centre-ville, on peut encore lire cette citation du poète Nâzim Hikmet entre les fissures : « Vivre comme un arbre, seul et libre. Vivre en frères comme les arbres d'une forêt ». Espérons qu’Antioche -comme les autres régions touchées-, renaîtra de ses cendres pour exposer au monde son paysage humain, aussi divers et libre qu’unique. Tarik Yildiz, sociologue, notamment auteur de « De la fatigue d’être soi au prêt à croire » (Editions du Puits de Roulle).

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