Syrie : « Ce sont les ennemis de l’Occident qui ont gagné »

par Patrice Franceschi le 11 décembre 2024 franceschi noir blanc
Après la chute du régime de Bachar al-Assad, l'écrivain et aventurier français met en garde contre tout enthousiasme autour de l'arrivée au pouvoir des rebelles islamistes d'Hayat Tahrir al-Cham. Patrice Franceschi nous alerte en particulier sur la situation des Kurdes en Syrie. Il décrypte aussi la stratégie de communication déployée par leur leader Abou Mohammed al-Joulani, nouvel homme fort de la Syrie, et le jeu de dupes qui risque de se mettre en place avec la communauté internationale.
Le Laboratoire de la République : Quelle est votre analyse de la chute éclair du régime de Bachar al-Assad, renversé en une dizaine de jours par les rebelles islamistes du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS) mené par Abou Mohammed al-Joulani ? Patrice Franceschi :  Vous utilisez le terme de « rebelles islamistes », d’autres médias sont moins prudents et utilisent simplement le terme de « rebelle » avec ce qu’il charrie de positif. Le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC) est un groupe islamiste, il convient de le répéter. Il suffit de regarder la situation dans la poche d’Idleb qui est sous leur contrôle : c’est un petit califat totalitariste, sous influence turc à la mode Daesh. HTC n’a pas changé magiquement de nature en trois semaines. Toute cette affaire me rappelle ce qu’il s’était passé en Iran en 1979 : la haine du Shah d’Iran était telle qu’en France tous les journaux encensaient l’ayatollah Khomeini, y compris les intellectuels comme Michel Foucault. Puisque Khomeini était contre le tyran reconnu, il avait le blanc-seing de la communauté internationale. Bachar al-Assad est un criminel devant l’Histoire, qui a du sang sur les mains jusqu’aux coudes. D’un point de vue moral, il est normal de se réjouir de sa chute. Mais d’un point de vue politique, il n’est pas impossible que celui qui le remplace aujourd’hui soit pire que lui, comme l’ayatollah Khomeini a été pire pour le peuple iranien que le Shah Mohammad Reza Pahlavi : il est donc hors de question de se réjouir de l’arrivée d’al-Joulani au pouvoir. Le Laboratoire de la République : La Syrie pourrait donc tomber de Charybde en Scylla ? Patrice Franceschi : Il ne faut avoir aucune confiance dans HTC. Ce sont les ennemis de l’Occident qui ont gagné, de nos démocraties et de toutes nos valeurs d’égalité et de liberté. Des islamistes téléguidés par la Turquie et financés par les Qataris. Ce groupe est morcelé, instable, mais tenu dans équilibre fragile par les Turcs. Ce sont les Turcs qui sont à la manœuvre depuis le début : ce sont eux qui contrôlent indirectement la poche d’Idleb, ce sont eux encore qui ont amalgamé les résidus des groupes islamistes après l’éclatement de Daesh, du front Al-Nostra, d’Al-Qaeda et de dizaines d’autres groupes terroristes pour les réunir sous cette unité un peu factice d’HTC. Sans oublier les brigades islamistes étrangères, notamment les brigades françaises dont on estime qu’ils sont environ 200 avec al-Joulani, les islamistes ouighours, turkmènes et bien d’autres. Enfin ce sont eux qui ont fabriqué l’armée nationale syrienne (ANS), qui la contrôlent et la financent, notamment pour persécuter les Kurdes. Tout cela forme une sorte de confédération islamiste plus ou moins bien contrôlé par la Turquie d'Erdoğan qui a deux objectifs clairs : chasser Bachar al-Assad du pouvoir et éliminer les Kurdes afin de pouvoir être les seuls maîtres du jeu dans la région. Or il me semble que cet agenda, pourtant assez bien établi, est souvent passé sous silence dans les médias. Le Laboratoire de la République : Vous estimez que les Kurdes sont abandonnés par la communauté internationale ? Patrice Franceschi : Oui, les Kurdes sont une fois de plus abandonnés par la communauté internationale, en particulier par les Américains.  Ce sont les premières victimes des deals économiques des Etats-Unis avec les Russes, les Iraniens et les Turcs, exactement comme en octobre 2019 quand Donald Trump avait donné le feu vert à Erdogan pour s’emparer d’une partie des territoires libérés de Daesh par les Kurdes, où se retrouve aujourd’hui une partie de l’armée nationale syrienne qui les attaque et les persécute sans relâche.   Le Laboratoire de la République : Quid des chrétiens de Syrie ? Patrice Franceschi : L’immense majorité est déjà partie, l’autre est soit du côté des forces démocratiques kurdes, soit est restée à Damas ou Alep. Ils n’ont rien à craindre dans l’immédiat, car la politique des islamistes menés par al-Joulani est de faire le moins d’esclandre possible pour faire croire qu’ils sont des partenaires démocratiques avec qui l’on peut discuter : il n’y aura probablement aucune exaction dans les premières semaines, voire les premiers mois. Mais ils ont tout à craindre dans l’avenir. Le Laboratoire de la République : En parlant de stratégie de communication, le leader des islamistes, Abou Mohamed al-Joulani, a délaissé sa tenue traditionnelle pour le costume ou le treillis militaire, et depuis l’offensive qui a mené à la chute de Bachar al-Assad, il demande désormais qu’on l’appelle par son patronyme civil, Ahmed Hussein al-Charaa, et non plus par son nom de guerre. Faut-il y voir des signes positifs pour le futur de la Syrie ou est-ce de la poudre aux yeux ? Patrice Franceschi : C’est toute la force de la taqîya (dissimulation de la foi dans un but de conquête, NDLR). Il s’agit de faire baisser la garde aux ennemis potentiels, c'est à dire à l'Occident, leur faire croire que l'on a complètement changé, que l'on est en réalité un groupe parfaitement raisonnable, fréquentable, compatible avec les valeurs humanistes. Abou Mohammed al-Joulani n’imposera pas la sharia dès les premières semaines, la stratégie est pensée à long terme. HTC va simplement tromper la communauté internationale et attendre le moment opportun pour établir son régime totalitaire, une fois qu’ils se sentiront suffisamment solidifiés au pouvoir. Les islamistes qui viennent de renverser Bachar al-Assad ne commettront pas les mêmes erreurs que les talibans qui se sont décrédibilisés trop vite sur la scène internationale. Le Laboratoire de la République : Jean-Noël Barrot, le chef de la diplomatie française démissionnaire a annoncé après la chute de Bachar al-Assad que l’appui de la France à la transition politique « dépendra du respect des droits des femmes, des minorités et du droit international ». Or, vous soulignez avec justesse que ces droits seront respectés dans le cadre de la taqîya, au moins pendant les premiers mois du nouveau régime. A quoi faut-il conditionner l’appui de la France dans ce cas-là ? Patrice Franceschi : Il ne faut pas être dupe et intégrer le fait que les signes positifs que l’on risque de constater dans les premiers mois en Syrie - notamment pour les femmes - font partie d’une communication soigneusement orchestrée et pensée en amont. Il faut donc bien sûr renouer des liens diplomatiques, s’impliquer et discuter avec les pouvoirs en place mais sans naïveté. On peut imaginer par exemple imposer à al-Joulani que les Kurdes – qui contrôlent un tiers des territoires et qui sont pour l’instant les seuls vrais démocrates de la région - soient une composante des discussions, et non pas seulement des cibles à éliminer pour l’armée nationale syrienne. Il est nécessaire que l’on conditionne le soutien de la France à la garantie de sécurité des Kurdes et à leur intégration dans la construction d’une solution politique : si les nouvelles forces politiques en Syrie se plient à ces exigences, alors ce sera un gage de sérieux, sinon c’est de la pure taqîya qu’il faudra dénoncer. Reste aussi l’inconnue de la stabilité réelle de la coalition islamiste d’HTC : il ne faut pas oublier que tous ces groupuscules issus de Daesh, des différentes milices, d’Al-Nostra etc. se détestent entre eux. Il n’est pas impossible que la Turquie ne parvienne pas à contenir les rivalités de pouvoir qui vont se faire jour dans les prochaines semaines et que cet épisode ne se termine à la libyenne.  

Dernière Lettre d’Amérique (5) : Le Retour de Donald Trump à la Maison Blanche

par Alexandre Alecse , Elise Torché le 30 novembre 2024 Victoire de Trump à l'élection présidentielle de 2024
Alors que l’Amérique sort à peine de l’effervescence électorale, le raz-de-marée politique de Donald Trump marque un tournant historique. Élu avec une victoire éclatante, le 45e président des États-Unis s’apprête à entamer un second mandat, bouleversant les équilibres internes et internationaux. Dans cette dernière lettre, rédigée par Élise Torché et Alexandre Alecse, membres de l’antenne américaine du Laboratoire de la République, nous revenons sur les enjeux de cette réélection. Quel bilan tirer de cette victoire ? Quelles implications pour les démocraties occidentales et la place de l’Europe dans un monde redéfini par la stratégie Trump ? Une analyse essentielle pour comprendre cette nouvelle page de l’histoire américaine.
Chers Laborantins, En ce weekend de Thanksgiving, cela fait plus de 20 jours que Donald Trump a remporté l’élection américaine qui l’opposait à Kamala Harris. Sa Victoire est totale : vote populaire, grands électeurs, majorité à la Chambre des représentants, majorité au Sénat… Un réel raz-de-marée MAGA. La soirée du 5 novembre s’est déroulée beaucoup plus vite que prévu. Vers minuit les estimations donnaient une victoire du camp Républicain avec un degré de confiance étonnant. Pas de course serrée, mais plutôt un Donald Trump clairement en tête. Les jours ayant suivi l’élection furent comme sclérosés à Boston, et nous souhaitions éviter l’écueil de la précipitation, expliquant le laps de temps entre l’élection et cette dernière lettre. Nos discussions récentes à Boston et à Washington soulignent elles aussi la défaite à plate couture des démocrates. Non, la Kamala Mania n’aura pas conquis les Etats-Unis. Oui, Donald Trump va revenir à la Maison Blanche. Que penser de cette victoire et comment prédire les années à venir ? Les récentes nominations aux postes politiques clefs démontrent que le camp Trump est mieux préparé qu’en 2016, plus uni pour exercer le pouvoir. Vu d’ici, une des nominations les plus attendues est celle du Trésor. Le nom est tombé il y a quelques heures, cela sera Scott Bessent. Le candidat est finalement relativement conventionnel, ce qui a eu le mérite de rassurer les marchés. Moins conventionnel sera le rôle d’Elon Musk. Nommé à un ministère de l’efficacité gouvernementale (Doge, comme le nom de sa cryptomonnaie). Pour Trump, le but est de «démanteler la bureaucratie gouvernementale, sabrer les régulations excessives, couper dans les dépenses inutiles, et restructurer les agences fédérales. » Le milliardaire aura donc entre ses mains l’organisation (ou la désorganisation) de la bureaucratie américaine. Des agences comme le CFPB (bureau de protection des consommateurs) ont vu leur avenir s’assombrir depuis le scrutin. Que va faire Président Donald Trump lorsqu’il reviendra à la Maison Blanche ? N’oublions pas que Trump est un deal maker, son raisonnement consiste à conclure des accords, tant qu’il en retire un bénéfice. Le péril démocratique posé par un second mandat Trump revient souvent dans les discussions. L’une des postures consiste à se rassurer sur la résilience des institutions, de rester convaincu qu’il ne dispose pas d’un pouvoir sans limite mais que les checks and balances de la Constitution resteront relativement solides. L’autre positionnement est plus alarmiste, pointant une victoire sans limite qui donnera une confiance totale au Républicain. Avec la chambre haute et basse à son soutien, Trump a une Avenue pour mettre en place sa politique sans encombre. Cette perspective s’étoffe d’autant plus depuis que toutes les charges judiciaires contre l’ancien président ont été abandonnées. Harris n’a pas bénéficié d’un réel vote d’adhésion. Elle a reçu les votes anti-Trump et démocrates classiques mais les votes pro-Harris n’ont pas afflué. La preuve est qu’Harris a obtenu le plus faible score démocrate de l’État de New York, un historique bastion démocrate. Trump a gagné des votes quasiment partout, en particulier son soutien chez les hommes Latino a augmenté de manière significative. Le vote rural a aussi été trop sous-estimée dans une Amérique si polarisée par les problèmes d’inflation et d’emploi. Enfin, sur le plus long-terme politique, les Démocrates vont devoir s’unir autour d’un projet plus clair, plus aligné aux préoccupations et valeurs des Américains. Une discussion difficile va devoir avoir lieu, et rapidement, s’ils souhaitent rebondir dès les élections de mi-mandat. D’ici là, c’est à nouveau au tour de Donald Trump de piloter le vaisseau américain, et cela aura sans aucun doute de réelles conséquences pour l’Ukraine, le Moyen-Orient, l’Indo-Pacific et les relations transatlantiques mais aussi pour l’ordre économique mondial et la lutte contre le réchauffement climatique. Nous souhaitions, en tant que transatlanticistes finir sur un message d’alerte aux européens. L’élection de Trump doit être un réveil, et un réveil matinal, du point de vue de la sécurité européenne. Il y a une vraie opportunité pour l’Europe d’émerger comme un acteur de sa propre sécurité, d’agir plus audacieusement. Il faut être plus agressif pour consolider, renforcer notre base industrielle de défense, l’Union Européenne ne doit pas passer à côté de ce momentum au risque de manquer le train.

Lettre d’Amérique (4) : Entre deux Amériques, le destin de la démocratie

par Thomas Clay le 4 novembre 2024 Militants USA entre Trump et Harris
Alors que l'Amérique se prépare à des élections cruciales, deux visions du pays se confrontent avec une intensité inédite. D'un côté, une Amérique ouverte, éduquée et connectée au monde redoute le retour de Donald Trump, incarnant à ses yeux une menace directe pour la démocratie. De l'autre, une Amérique ancrée dans ses certitudes, prête à le suivre envers et contre tout, même au risque de diviser la nation. Cette lettre d'Amérique plonge au cœur de cette polarisation extrême et des enjeux vertigineux qui en découlent, montrant que l'avenir de la démocratie américaine ne tient peut-être qu'à un fil. Thomas Clay, professeur invité à l'Université de Columbia pour l'année, nous envoie cette quatrième lettre d'Amérique sur l'élection présidentielle qui arrivera à son terme demain.
Chers Laborantins, Ce matin, l’Amérique a peur. L’Amérique des villes, l’Amérique instruite, l’Amérique ouverte sur le monde, l’Amérique qui ne détermine pas son vote en fonction de sa seule feuille d’impôts, cette Amérique a peur. Elle a peur de l’autre Amérique, qu’elle ne comprend pas, dans laquelle elle ne se reconnaît plus et qui s’est choisie pour champion le pire de ce que la politique peut générer. Ces deux Amériques se font face désormais, et les Etats-Unis n’ont plus d’unis que le nom. Les clivages sont trop profonds, le dialogue avec un soutien de Donald Trump tient de l’expérimentation vertigineuse, le pays de Lincoln, Roosevelt et Obama risque de sombrer, entraînant avec lui une partie du monde. Dès que les résultats seront connus, il n’y aura que deux mauvaises solutions : soit Donald Trump est élu, soit il contestera les résultats au motif égotique qu’il ne peut pas perdre sans tricherie. On connaît bien cette rhétorique qu’on trouve habituellement plutôt chez les joueurs bonto : pile je gagne, face tu perds. Avec Trump, c’est pile je gagne, face tu as triché. En réalité, l’ancien président est un multi-récidiviste de la contestation. Chacun sait qu’il n’a jamais accepté le résultat des élections de 2020, ni d’ailleurs son colistier, le plus propret JD Vance, mais beaucoup ont oublié que dès 2016, il avait déjà annoncé que soit il l’emportait sur Hillary Clinton, soit l’élection serait truquée. Et l’un de ses partisans, le conspirationniste Alex Jones, a déclaré, hier 3 novembre lors du meeting de Trump à Lititz, en Pennsylvanie, qu’il fallait se « préparer aux conditions de la guerre civile ». Les choses sont clairement annoncées. Il serait réducteur d’y voir là uniquement une preuve de son ego certes surdimensionné. Il s’agit bien plus d’une méthode politique qui allie menace et intimidation, mais qui, surtout, corrode en profondeur le contrat rousseauiste à la base de toute acceptation de la représentation politique. C’est la démocratie qu’on assassine. Chacun sait qu’elle n’est acceptable que grâce à la confiance dans l’intégrité du scrutin. Et il est probable que, en cas de score favorable à Kamala Harris, des contestations se multiplient, lesquelles peuvent intervenir aux États-Unis à quatre niveaux différents, chacun étant déjà noyautés par les partisans de Trump l’arme au pied, et finalement arbitrées par la Cour suprême, dans laquelle Donald Trump a placé suffisamment d’affidés pour qu’il soit confiant sur le sort des recours qu’il déposera de manière systématique. Pile je gagne, face tu perds… Mais si cette élection est aussi importante, cela ne tient pas seulement aux conséquences domestiques dramatiques, ni même aux conséquences géopolitiques tragiques dans les crises actuelles, mais aussi au message envoyé à tous les tyrans de la planète et, au fond, au risque de contagion, sous le haut-parrainage de l’Oncle Sam. C’est aussi à cette aune qu’il faut comprendre le retour des coups d’États militaires en Afrique, qui ont vu en moins de trois ans, sept pays basculer dans des dictatures militaires sans que nul ne s’en émeuve : Mali, Guinée, Tchad, Soudan, Burkina Faso, Niger et Gabon. On aura vu également des signes avant-coureurs de l’essoufflement des démocraties avec Bolsonaro au Brésil, Duarte aux Philippines où Milei en Argentine. Sans oublier Poutine évidemment. La réélection de Trump sonnerait comme permis de putsch, un blanc-seing au reste du monde, dont les plus grands bénéficiaires seraient la Russie et la Chine. L’Europe serait la grande perdante, et avec elle une certaine idée de la démocratie née avec les Lumières et morte avec Trump. Ce serait la fin du modèle d’organisation du pouvoir par la démocratie, « le pire des systèmes à l’exception de tous les autres » ? Ce funeste pronostic tient à la personnalité de Donald Trump. À l’inverse de 2016, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Le mensonge et l’insulte érigées en mantra, avec des menaces, y compris physiques, sur les opposants politiques qualifiées d’« ennemis de l’intérieur » ne peuvent triompher que dans un système malade. Il est faux de dire qu’on a le choix entre deux programmes et deux candidats, comme c’était le cas jusqu’à Trump. C’est même un odieux sophisme que de les renvoyer dos-à-dos comme viennent successivement de le faire de manière indigne le Los Angeles Times et le Washington Post, comme s’ils étaient équivalents. Ne serait-ce que sur le plan judiciaire, il y en a un qui est poursuivi et parfois condamné sur un arc pénal qui va du viol à la tentative de coup d’État, en passant par la fraude électorale, la fraude fiscale, le vol de documents classifiés, etc., alors que l’autre a pour métier précisément de poursuivre ceux qui commettent de telles infractions pénales. Dans n’importe quel autre pays, la situation pénale de Donald Trump, et notamment la tentative de coup d’État, le disqualifierait de manière définitive. Ici, à l’inverse, c’est à Kamala Harris qu’on ne passe pas la moindre approximation, même quand elle est le fait de Joe Biden. Malgré tout cela, l’Amérique est un pays plein de ressources, et la France n’a pas de leçon à donner, surtout quand on connaît le marasme politique actuel dans lequel elle se débat. Et c’est bien fort de ces ressources exceptionnelles que, en ces dernières heures d’une campagne à nulle autre pareille, il est possible de rester optimiste et d’espérer que l’arsenal des mesures de résistance démocratique sera au finish plus fort que les armes dressées par ceux qui veulent l’abattre. L’avenir du monde, qui se joue ici à Washington, d’où je vous écris cette ultime lettre d’Amérique, ne peut pas dépendre d’un pile ou face. Thomas Clay

Lettre d’Amérique (3) : Les indécis, arbitres de l’élection américaine

par Alexandre Alecse , Elise Torché le 28 octobre 2024 Trump/Harris_election_USA
Dans cette troisième lettre d’Amérique, les laborantins sur place analysent le rôle crucial des indécis à l’approche du scrutin du 5 novembre. Entre mobilisations ciblées et campagnes médiatiques, Démocrates et Républicains redoublent d’efforts pour convaincre ces électeurs, qui pourraient faire basculer l’élection. Au-delà du résultat, cette course pour capter les dernières voix interroge sur la représentativité et les réformes du système électoral, un débat qui fait écho de part et d’autre de l’Atlantique.
Chers Laborantins, L’échéance du 5 novembre approche, les votes par anticipation ont commencé, pourtant certains électeurs n’ont pas encore fait leur choix. Dans une course qui risque de se jouer à quelques voix, ces indécis ont un poids considérable. Quels facteurs peuvent changer d’ici au 5 novembre pour les faire pencher d’un côté ou de l’autre ? Quelle motivation à aller voter ? Voter ou s’abstenir est un premier choix, le second est de savoir à quel candidat donner sa voix. Les sondages estiment que 5% des électeurs demeurent incertains. Ces électeurs ont tendance à être très peu impliqués en politique, une majorité finissant souvent par simplement ne pas aller voter. Au cours des deux dernières présidentielles, les indécis ont fini par favoriser Donald Trump. Il a remporté leurs voix avec une marge de plus de 20%. Si la même tendance se répète en 2024, elle ajouterait 1% net en faveur de Donald Trump, sachant que dans certains états clefs comme la Pennsylvanie Kamala Harris a une avance estimée à 0,8%, le résultat est rapide à calculer. Quelle stratégie pour les candidats pour motiver ces indécis à voter ? Du côté Démocrate c’est peut-être la raison derrière la multiplication d’interview TV pour tenter de toucher un public moins intéressé par la politique à travers des émissions regardées par un grand nombre. Ces électeurs indécis semblent être plutôt jeunes, et souvent Latino ou Afro-Américains. Cela transpire dans les annonces de cette semaine alors que Donald Trump multiplie les podcasts dont l’audience est majoritairement jeune et blanche. La campagne de Kamala Harris multiplie le porte-à-porte dans les quartiers majoritairement habités par les Afro-Américains pour encourager les résidents à voter. Au niveau propositions, Harris se concentre sur des programmes visant à réduire les inégalités en matière de santé, qui touchent disproportionnellement les hommes noirs. L’ancien Président Obama, conscient du déclin du soutien des Afro-Américains au parti démocrate s’est déplacé en Pennsylvanie pour motiver le vote à coup d’argument de fraternité et en allant même jouer sur la provocation en suggérant que si les électeurs supportaient moins Harris que lui en 2008, c’était parce qu’elle était une femme. Plus récemment, lors d’un meeting dans le Michigan, l’ancien président a même rappé sur Lose Yourself d’Eminem, le chanteur étant invité au meeting. Ces techniques de communications originales peuvent-elles motiver les électeurs indécis ? Mélanger politique et rap américain défroissera peut-être l’image d’une Kamala Harris trop lisse pour certains électeurs. Le vote de ces électeurs indécis est crucial, difficile à prévoir mais central. Ce vent de panique chez les démocrates est aussi lié à une pratique du vote propre aux États-Unis. Alors que l’élection se tient dans une dizaine de jours, plus de 30% des Américains ont déjà voté.  Cela est rendu possible par le vote par correspondance. Ce dernier a connu un rebond après que Donald Trump ait explicitement appelé ses électeurs à se rendre aux urnes par anticipation. Grand revirement pour le candidat qui est habituellement un fervent critique de cette pratique de early vote. Ces encouragements ont été spécifiquement adressés aux électeurs du Wisconsin, de la Caroline du Nord et de Pennsylvanie, états clefs pour le résultat du scrutin final. Cet appel a fait son effet, et les républicains semblent déjà se rendre aux urnes. L’inquiétude provoquée par ces early votes chez les démocrates est que des républicains réussissent à davantage mobiliser leur base électorale, ce qui favoriserait Donald Trump. Point crucial au cadre de réflexion autour du choix de se rendre aux urnes ou non, l’écart entre les deux candidats semble se resserrer. Le dernier sondage du New York Times et du Siena College annonce une égalité entre les deux candidats, chacun récoltant 48% des voix. Si le résultat sera serré, si ce sont les électeurs aujourd’hui indécis qui font pencher la balance d’un côté ou de l’autre, la représentativité de l’élection risque à nouveau d’être questionnée. Cela renforce la question d’une réforme du système électoral et notamment de la place du Collège Électoral. Environ 63% des Américains préfèrerait voir le Président élu à la majorité des votes des électeurs. Les perspectives de réformes sont très étroites, et questionnent sur l’adéquation des règles électorales et des préférences des constituants. Ce débat semble encore une fois commun aux démocraties Américaines et Françaises alors que chez nous se pose la question de l’élection de l’Assemblée nationale à la proportionnelle. Réformer ces systèmes rigides est un vrai débat sur le fonctionnement de nos démocraties, les électeurs ont-ils perdus le pouvoir d’agir sur les règles qui désignent leurs représentants ? Qu’est-ce que cela dit de la démocratie représentative ? N’y a-t-il pas là la source de la perte de confiance dans nos politiques ? ou bien à l’inverse est-ce cette perte de confiance qui nourrit la volonté de réformer le système ? Alexandre Alecse Elise Torché

Lettre d’Amérique (2) : quelle vérité aux Etats-Unis ?

par Thomas Clay le 21 octobre 2024 élections américaines
Alors que les États-Unis se préparent à une nouvelle échéance électorale décisive, l'ombre du doute et de la désinformation plane sur le processus démocratique. Dans cette deuxième "Lettre d’Amérique", nos laborantins sur place partagent leurs observations sur un climat politique où la vérité semble devenir un enjeu secondaire, reléguée derrière des stratégies de communication agressives et des mensonges répétés. Ce phénomène, déjà aperçu lors des élections de 2016, semble aujourd’hui s'intensifier à l'intérieur même du pays, mettant à rude épreuve la démocratie américaine.
Chers Laborantins, À mesure que l’échéance approche la fébrilité gagne partout. Sur la côte est, le pessimisme gagne chez les libéraux qui ne comprennent pas cette Amérique capable de voter pour ce Donald Trump, aussi caricatural. Lui-même n’en cure et il a même trouvé cette semaine de nouveaux caps à franchir dans l’ignominie et le mensonge. Rien ne l’arrête. Et il a raison puisque ça marche. On reproche même désormais à Kamala Harris d’être trop lisse… C’est sûr que, par comparaison avec les fantasmes agités, celle qui dit la vérité pourrait paraître ennuyeuse par rapport à celui qui la traite de déficiente mentale. Faut-il insulter pour être entendu ? Faut-il mentir pour être compris ? Tel est le sujet de cette deuxième lettre d’Amérique : la vérité. La vérité des propos, mais aussi la vérité des résultats, dont on annonce déjà qu’ils seront contestés par Donald Trump s’il perd. En somme, soit il gagne, et les résultats sont exacts, soit il perd et ils sont faux. La vérité n’est clairement ici ni une préoccupation ni une finalité. Lors de la campagne de 2016, la désinformation semblait venir de l’extérieur, notamment de Russie. Pour ce nouveau scrutin, elle semble nourrie de l’intérieur. Véritable cheval de Troie contre la démocratie, la désinformation ou mésinformation semble avoir pénétré la société américaine. La Constitution américaine accorde une place proéminente à la liberté d’expression, les tentatives de modération de contenu sont presque automatiquement considérées comme de la censure. Il faut faire la distinction entre l’expression sur les réseaux sociaux qui bénéficie d’une protection quasi-absolue, et la liberté de la presse. Les réseaux sociaux ont permis de faire émerger un nouveau mode d’expression permettant d’échanger globalement et d’avoir une audience plus large que par les médias traditionnels. Il est très compliqué pour le gouvernement américain de réguler les réseaux sociaux. Même les tentatives de modérations par les plateformes elles-mêmes peuvent être très critiquées. Il s’agit d’un nouvel espace de discussion mais aussi de campagne. Les personnalités politiques profitent de ce nouveau moyen de communication, protégé par la Constitution, pour faire une campagne plus agressive, choc, agrémenté de formules chocs et d’informations erronées. La digitalisation généralisée de la campagne actuelle renforce la pratique de désinformation. Théâtres des dérives antidémocratiques, les réseaux sociaux pullulent de fausses informations sur les candidats. Dans ce déluge de mensonges, difficile pour l’électeur de faire un choix éclairé. Plus difficile encore d’avoir un espace de débat politique neutre et analytique alors que la plupart des médias prennent parti. Donald Trump est bien connu pour son utilisation compulsive de son propre réseau social, malicieusement nommé « Truth Social », ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour celui qui a érigé le mensonge en mantra. Singulier retournement de l’histoire que ce réseau social créé après avoir été évincé de Tweeter, alors que celui-ci, devenu X, est désormais la propriété d’Elon Musk, lequel fait campagne pour Trump en épousant totalement les excès et les mensonges. Mais où est la vérité si elle n’est ni sur X ni sur Truth Social ? Les médias traditionnels sont eux aussi de plus en plus traversés par des postures politiques revendiquées. C’est la « Foxnewsisation » des médias. CNN fait office de contrepoids, même si elle ne transige pas, elle, avec la vérité. Ainsi la première interview de Kamala Harris sur Fox News fut édifiante : on a assisté à une réelle passe d’armes avec Bret Baier, le plus politique des présentateurs de la chaine d’extrême droite. Parfait exemple de framing, la façon de formuler les questions influait sur ce que le spectateur allait retirer de l’interview. Demander à la candidate Harris “ how many illegal immigrants [the Biden administration had] released into the country” (se traduisant par : combien d’immigrants illégaux l’administration Biden a libéré dans le pays) sous-entend directement, peu importe la réponse, que l’administration actuelle aurait délibérément “lâché” dans la société américaine des immigrants illégaux. La collusion entre les médias et la campagne est particulièrement délétère pour la démocratie. La presse, qui devrait jouer un rôle de supervision des politiques, semble malléable et partisane. Avec ces vérités plurielles, difficile d’imaginer comment les électeurs de la city upon the hill peuvent faire un choix éclairé et libre de toute influence dans deux semaines. L’ironie de telles pratiques dans la plus vielle démocratie du monde devrait nous inquiéter. L'exercice démocratique semble entaché de mensonges qui brouillent la capacité de réflexion, et de choix. Les jours qui nous séparent de l’élection risquent de voir une course à la surenchère de fausses informations pour discréditer la partie adverse. Espérons que mensonges et demi-vérités ne triompheront pas car c’est bien la démocratie qui est en jeu. Et, malheureusement, on le sait, les Etats-Unis sont souvent à l’avant-garde de ce qu’on trouve ensuite en Europe. Thomas Clay

Lettre d’Amérique

par Alexandre Alecse , Elise Torché , Thomas Clay le 14 octobre 2024 Maison blanche
Cette Lettre des Etats-Unis hebdomadaire a pour objectif de profiter de la présence de certains membres du Laboratoire aux États-Unis pendant cette période politique exceptionnelle que constitue l’actuelle campagne électorale pour l’élection du 5 novembre. Chacun sait que ce qui se joue ici n’est pas seulement l’élection du prochain président des Etats-Unis, mais une part de l’avenir du monde, en même temps qu’une pratique de la démocratie, qui correspond au cœur de métier du Laboratoire de la République.
Chers Laborantins de la République, Cette Lettre des Etats-Unis hebdomadaire a pour objectif de profiter de la présence de certains membres du Laboratoire aux États-Unis pendant cette période politique exceptionnelle que constitue l’actuelle campagne électorale pour l’élection du 5 novembre. Chacun sait que ce qui se joue ici n’est pas seulement l’élection du prochain président des Etats-Unis, mais une part de l’avenir du monde, en même temps qu’une pratique de la démocratie, qui correspond au cœur de métier du Laboratoire de la République. Vu d’ici, la perspective n’est pas exactement la même que de France, et ce qu’on observe au contact, comme disent les militaires, mérite d’être rapporté aux membres de notre Laboratoire. Car c’est bien aussi une forme d’expérimentation, non pas de la République, mais de la démocratie qu’on observe ici, tels des laborantins avec leurs paillasses et leurs éprouvettes. Le scrutin qui désignera le prochain occupant de la Maison Blanche se tiendra dans un peu moins d’un mois. Les votes par correspondance ont déjà ouvert, en témoignent les boîtes postales couvertes de signes “Official Ballot Drop Box”. Suite au résultat du 5 novembre prochain, Donald Trump (Républicain) reprendra ses quartiers à la Maison Blanche ou bien Kamala Harris (Démocrate) déménagera de l’Observatory Circle à Pennsylvania Avenue pour le bureau Ovale. Le scrutin de novembre voit se disputer deux candidats aux parcours et aux personnalités très différentes : Donald Trump, Président de 2016 à 2020, Républicain, prétendument milliardaire, ancien animateur de télé-réalité et Kamala Harris, Vice-Présidente des Etats-Unis (2020-2024), ancienne procureure générale de Californie, fille d’un immigrant jamaïcain et indien. Les élécteurs américains vont-ils élire pour la première fois une femme à la Maison Blanche ou bien réélire pour un second mandat leur Président le plus clivant sur la scène internationale, par ailleurs pénalement poursuivi et condamné ? Mais vu d’ici, il y a match et c’est très serré. Les derniers sondages, conduits du 4 au 7 octobre, indiquent 50% des voix pour Kamala Harris, 48% pour Trump (sondages conduit sur les électeurs inscrits sur les listes). Mais le système de scrutin indirect avec les Grands électeurs par État, au scrutin parfois majoritaire parfois proportionnel, rend l’examen des projections nationales inutiles, puisque tout se joue dans les sept fameux Swing States. C’est là que la bataille se mène et que les électeurs sont sur-sollicités, voire harcelés, pour voter pour lui ou elle. Parmi ces sept Swing States, le plus important est la Pennsylvanie (19 grands électeurs) et la plupart des cantons de cet État sont déjà figés. Résultat : le vote de deux cantons fera pencher la balance vers un candidat ou l’autre et tranchera l’élection du chef de la première puissance mondiale. Sans parler des débats politiques qui sont d’un niveau extrêmement faible et dans lesquels clairement la recherche de la vérité n’est un objectif. La punchline sert de viatique. Le sujet principal est le montant des fonds de soutien qui auront été levés, et le soutien supposé de certaines catégories de la population, qui se trouve saucissonnée. Le vote est recherché en fonction de ce qu’on est et non pas de ce qu’on pense. Il faut convaincre la femme noire de plus de 50 ans habitant dans le canton sud de Pittsburg. C’est là que ça se joue ! Est-ce vraiment cela la démocratie ? Quels enseignements en tirer pour nous, pour la République, pour le Laboratoire de la République ? Les histoires mutuelles de la France et des Etats-Unis n’ont-elles pas des influences communes ou réciproques, dans lesquelles ils font à nouveau se plonger pour en tirer le meilleur des deux côtés de l’Atlantique ? Tel est l’objet de cette lettre des Etats-Unis. Suite au prochain numéro. Thomas Clay Alexandre Alecse Elise Torché Laborantins actuellement aux Etats-Unis

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